La section LR de Sciences Po, symbole d’une droite en déshérence

La section LR de Sciences Po, symbole d’une droite en déshérence

Après les 4,8 % de Valérie Pécresse au premier tour de la présidentielle, la droite française tente de se reconstruire, prise en étau entre Emmanuel Macron et l’extrême droite. Un tiraillement particulièrement visible à l’antenne LR de Sciences Po, affaiblie par des défections vers Éric Zemmour. Quelques jours après l’élection du nouveau président du parti, Émile vous livre son enquête sur l’état de la droite rue Saint-Guillaume. 

Par Ismaël El Bou-Cottereau  

Le 27 rue Saint-Guillaume. (Crédits : Sciences Po)

Anaïs* en a eu assez de la « droite bling bling » et « bourgeoise ». Après avoir rejoint la section LR de Sciences Po Paris, elle décide, en janvier 2022, de soutenir la candidature d’Éric Zemmour, alors même que celui-ci ne s’est pas franchement distingué pour ses propositions sociales. « C’est très fric chez LR, nous dit-elle. Je suis plus sociale que certains militants de ce parti. Je suis boursière, j’ai un capital économique assez faible. Il y a des revendications économiques à gauche avec lesquelles je suis d’accord. » La désignation de Valérie Pécresse comme candidate de la droite républicaine l’a poussée à franchir le Rubicon. « C’était un point de rupture, explique-t-elle. Valérie Pécresse est Macron-compatible. Moi, je suis fière d’être française, j’aime les traditions. Zemmour incarnait un nouvel espoir. »

Une section LR affaiblie et écartelée entre le centre-droit et l’extrême droite

Au sein de la section LR de Sciences Po, ce cas est loin d’être isolé. Après la fuite de militants chez Éric Zemmour et la création d’une antenne du parti de centre-droit « Horizons » à Sciences Po à la rentrée dernière, la section LR ne bénéficie – à l’instar du parti au niveau national – que d’un espace politique rétréci, réduit à un noyau dur de militants. « La droite classique voit ses brebis s’égarer au centre et à la droite de la droite », comme l’écrit le politologue Pascal Perrineau dans le dernier ouvrage qu’il a dirigé, Le vote clivé. Mais à Sciences Po, cet écartèlement est déséquilibré. Durant la campagne présidentielle, les départs ont été plus importants vers l’extrême droite que ceux vers « l’extrême centre » macroniste, comme l’ont confirmé à Émile d’anciens militants LR qui ont cédé aux sirènes du « zemmourisme ». C’est le cas de César Lauthier, diplômé de Sciences Po cette année. Selon lui, une dizaine de personnes – sur une vingtaine de militants actifs – ont officiellement rejoint « Reconquête » durant la campagne, mais beaucoup de LR n’ont pas osé franchir le pas par « peur de perdre des places ». « LR est un parti avec beaucoup d’élus locaux, il y a donc des possibilités de postes, de stages pour les militants. Quitter LR pour rejoindre Zemmour, c’était risqué. »

La section compte aujourd’hui environ 40 personnes. C’est deux fois moins qu’il y a dix ans. « Quelques personnes nous ont rejoint cette année, ce qui est assez étonnant après ce qu’on a vécu aux présidentielles », précise toutefois Hector Vesproumis, président de l’antenne LR de Sciences Po et élu du 15ème arrondissement. Mais, plus globalement, il y a une baisse notable de l’engagement partisan à Sciences Po qui concerne tous les partis politiques. » Un constat étayé par l’enquête conduite par les politologues Anne Muxel et Martial Foucault dans leur dernier ouvrage, Une jeunesse engagée. Ils observent que les étudiants sont davantage politisés, mais pas nécessairement encartés. 

Dans une école où la gauche est hégémonique parmi les étudiants, qui ont voté à plus de 55 % pour Jean-Luc Mélenchon dès le premier tour de l’élection présidentielle – contre 2,6% pour Valérie Pécresse –,  les militants de droite de la rue Saint-Guillaume peinent à attirer de nouvelles personnes et à se faire entendre. Leurs réunions sont souvent clairsemées ; leurs affiches systématiquement arrachées au bout de quelques minutes. « Il est difficile d’assumer d’être de droite à Sciences Po », résume Jade Journée, étudiante en troisième année et actuelle secrétaire générale adjointe de l’antenne LR. 

« Au bout d’un moment, quand on est traités de “fascistes”  et qu’on ne peut rien faire, autant ne plus avoir rien à perdre. »
— Anaïs (le prénom a été changé)

Pour Anaïs, passée chez « Reconquêtes », cette sensation d’absence de pluralisme et de marginalisation pousserait certains vers l’extrême droite – terme qu’elle renie –,  et les conduirait à assumer des opinions plus radicales : « Au bout d’un moment, quand on est traités de "fascistes"  et qu’on ne peut rien faire, autant ne plus avoir rien à perdre. Je me suis dit qu’il fallait travailler mes idées et les assumer. » Tout en soutenant la théorie conspirationniste et xénophobe du grand remplacement, elle dit être simplement de droite et ne pas promouvoir des idées racistes : « Le grand remplacement, ce n’est pas une théorie ; c’est une confrontation des cultures. On a le droit de décider qui peut venir en France ou non. Ce qui me fait dire que je suis de droite, c’est que la gauche souscrit à la théorie rousseauiste selon laquelle l’homme est bon par nature. Pour la droite, il ne faut pas être naïf : l'homme est, en réalité, un loup pour l’homme. Mais je ne veux pas désespérer des hommes, c’est pour cela que je suis catholique. » César Lauthier, lui, dit avoir été séduit par la volonté de Zemmour de concilier « conservatisme sociétal et libéralisme économique », chose qu’il ne retrouvait plus à LR avec la candidature trop « centriste » de Valérie Pécresse. En stage auprès d’Éric Woerth, quand ce dernier était député LR et président de la commission des finances, il a assisté au basculement d’une partie de la droite vers la majorité présidentielle. Il s’engage alors pour Éric Zemmour et travaille auprès de Guillaume Pelletier, tout en étant chargé de mission au service administratif de Matignon, lorsque Jean Castex était Premier ministre. Mais depuis la défaite de l’ancien journaliste condamné pour « provocation à la discrimination raciale », il a pris ses distances avec Reconquête : « Zemmour est dans une impasse politique. Son parti s’est rétréci sur les enjeux d’immigration, il n’y pas de travail sérieux sur les autres sujets, notamment économiques. C’est devenu une simple bulle militante. Les déçus de Zemmour pourraient revenir chez LR. »

Tensions autour de l’union des droites 

« LR doit s’opposer aux visions foncièrement racistes de RN et de Reconquête. »
— Jade Journée

Pour ces anciens LR devenus zemmouristes, l’union des droites est la seule solution pour que le camp des « patriotes » soit majoritaire et puisse, conformément à un dessein politique gramscien, gagner la bataille de l’hégémonie culturelle et idéologique. Ce à quoi s’opposent frontalement les actuels responsables de l’association LR de Sciences Po, comme Hector Vesproumis qui refuse la moindre « porosité avec l’extrême droite populiste ».  « LR doit s’opposer aux visions foncièrement racistes de RN et de Reconquête », ajoute Jade Journée. Cette dernière n’a pas hésité à couper les ponts avec l’UNI, syndicat étudiant qui souhaite l’union de toutes les droites, et dont des membres de la section à Sciences Po ont fondé, l’an dernier, « Génération Z », un mouvement de soutien à Éric Zemmour. « Ils avaient des positions qui ne collaient pas à la vision que je me fais de la droite républicaine. Il n’y a donc pas eu de soutien officiel au moment des élections syndicales. Notre éloignement s’est confirmé lors de leur action conjointe avec la Cocarde et l’Action Française pour déloger ceux qui bloquaient Sciences Po durant l’entre-deux tours de la présidentielle. C’est une honte absolue, on ne peut pas être main dans la main avec des groupes violents, des milices fascistes », affirme-t-elle. Elle confie d’ailleurs à Émile préférer entretenir des liens avec la section du « Printemps Républicain », mouvement de centre-gauche défendant la laïcité. « On n’a pas la même vision de l’économie, mais on se fait démonter par l’extrême gauche sur le reste. »

De son côté, l’UNI Sciences Po invite les étudiants de droite à les rejoindre pour défendre leur conception de la méritocratie. Lors des dernières élections, le syndicat s’est attaché à lisser son image avec un programme plutôt consensuel, proposant notamment la création d’un potager autogéré. Non sans créer quelques remous en interne. « Pour certains, parler d’autogestion, c’est puiser dans une rhétorique de l’extrême gauche, raconte Anaïs. C’est débile, on peut être cool et être de droite. Si les affiches de LR et de l’UNI sont toujours déchirées, c’est bien qu’il faut changer l’image de la droite ! » Si l’UNI est censé rassembler toutes les composantes de la droite et de l’extrême droite, de LR à Zemmour, « les idées de Marine sont largement partagées à l’UNI Sciences Po », explique un membre éminent du syndicat, en appelant la dirigeante du RN par son prénom, à la façon d’un militant. Ce dernier, qui tient à garder l’anonymat, a d’ailleurs voté pour elle à la dernière présidentielle.

La reconstruction et l’incarnation de leur famille politique

Le congrès LR de ce début décembre n’a guère passionné au sein de la section. Pour Hector Vesproumis, qui soutenait la candidature d’Aurélien Pradié, la question de l’incarnation reste un défi pour le parti. « Un leadership ne se construit pas à coup de fausses cartes », dit-il, en faisant références à quelques irrégularités qui ont entaché les derniers scrutins internes de LR.

« On ne doit pas parler que d’immigration et d’autorité. C’est comme cela que LR pourra récupérer l’électorat plus modéré qui est parti chez Macron. »
— Hector Vesproumis

La capacité de leadership de Nicolas Sarkozy – qui appelle LR à nouer un contrat de gouvernement avec la majorité – n’a, depuis 2007, jamais été égalée. À part, peut-être, celle de Rachida Dati, qui plaît à droite mais aussi à gauche. « Elle a fait un vrai travail de popularisation de son image et de ses idées. Elle essaye de rendre audible son message et convainc des gens qui ne sont pas à LR. Elle représente le retour de l'autorité de l’État, la peine plancher, l’idée qu’il n’y a pas de petits délits », salue le président de l’antenne LR de Sciences Po. Une popularité qui cache un vide au niveau des idées, avec un recyclage d’une mesure datant du mandat de Nicolas Sarkozy. « Ce n’est pas une nouvelle idée, c’est une idée qui n’existe plus. Mais LR doit aussi faire des propositions sur l’environnement. Cette question n’est, pour l’instant, pas traitée. On ne doit pas parler que d’immigration et d’autorité. C’est comme cela que LR pourra récupérer l’électorat plus modéré qui est parti chez Macron », répond Hector Vesproumis. Mais, avec le très droitier Éric Ciotti à la tête du parti (il avait notamment dit qu’entre Éric Zemmour et Emmanuel Macron il choisirait le premier), cela semble sonner comme un vœu pieux. Jade Journée, qui refuse la compromission avec l’extrême droite, a pourtant soutenu Éric Ciotti au second tour du congrès : « Je viens du sud, où beaucoup de jeunes sont très à droite, explique-t-elle. Ce que je remarque, c’est que LR ne dit pas les choses et ces gens ont l'impression que Zemmour les comprend. Ciotti n’est pas concrètement en accord avec Zemmour, pour moi cette phrase est une récupération politique. Il a par ailleurs dénoncé les propos racistes du député RN Grégoire de Fournas. » 

« Notre génération va faire sauter le front républicain ! »
— César Lauthier

Mais le barrage républicain érigé en 2002 est bien en train de se lézarder. « La génération qui est actuellement aux manettes de LR refuse l’union des droites car elle a grandi avec l’idée du front républicain. Mais pour la nouvelle génération qui émerge sur le terrain, les frontières sont moins poreuses. Guilhem Carayon, président des “Jeunes LR” ; Stanislas Rigault, à la tête de “Génération Z” ; et Jordan Bardella du RN pourraient travailler ensemble », analyse César Lauthier. Et d’ajouter : « Notre génération va faire sauter le front républicain ! »

* Le prénom a été changé.

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