Émile Magazine

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Le choix d'un mot : crise

Définition crise :
1 Terme de médecine. Changement qui survient dans le cours d'une maladie et s’annonce par quelques phénomènes particuliers.
2 Fig. Moment périlleux et décisif.
(source : Littré)

ROBIN RIVATON (PROMO 11), ESSAYISTE ET MEMBRE DU CONSEIL SCIENTIFIQUE DE LA FONDAPOL NOUS LIVRE SA DÉFINITION D’UN MOT AU CHOIX. UN MOT UTILISÉ À TORT ET À TRAVERS, QUI NE VIENT QUE TROP SOUVENT ANIMER L’ACTUALITÉ POLITIQUE…

Tout le monde connaît la crise. Elle est partout. Elle a infiltré tous les aspects de nos vies. Depuis sept ans, la crise économique est revenue en force avec la crise des subprimes qui a accouché de la crise des dettes souveraines. À peine sortons-nous de la crise grecque qu’on nous parle déjà d’une nouvelle crise boursière en Chine. La crise n’a ni drapeau, ni territoire de prédilection, elle concerne la monnaie en Russie, le porc en Normandie. Il n’y a bien que le chômage face auquel la résignation est telle qu’il n’est plus une crise.

Fi de l’économie, c’est la crise des migrants qui s’invite au journal télévisé, faisant éclater au grand jour un exil remontant déjà à plusieurs années. Désespérés, nous n’osons en appeler à nos responsables politiques, ne règne-t-il pas déjà là-bas la crise de confiance ? Si nous nous tournons vers le miroir, nous qui pensions être sortis de la crise d’adolescence, nous voilà déjà plongés dans la crise de la trentaine, cette fuite en avant dont nous sentons qu’elle n’immunisera guère de la crise de la quarantaine.

Serions-nous une civilisation de crises, reflet d'une civilisation en crise ? La crise n’aurait dû être qu’orage, ces lourds nuages noirs dont on attend qu’ils passent pour enfin laisser percer le soleil. Mais d’un phénomène éruptif et passager, la crise est devenue la fidèle compagnonne de nos vies. Depuis le choc pétrolier de 1973, la France ne cesse de se penser en crise. Son absence ne manquerait d’ailleurs pas de déclencher une… crise d’angoisse.

C’est peut-être parce qu’elle est mal comprise que la crise perdure. Si, aujourd’hui, le mot est synonyme d’une période de difficultés plus ou moins longue, dans son sens étymologique il signifie faire un choix, décider. La racine indo-européenne krei correspondait à l’action de juger, distinguer, passer au crible. Or, nos gouvernements, engoncés dans le fatalisme, escomptent trop souvent que la crise du moment passe, laissant place à la suivante, bien plus qu’ils ne formulent et exécutent ces choix.