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Fiction - Le scénario (à l'eau de rose) de la réélection de François Hollande

Nous sommes le 8 mai 2017. François Hollande vient d'être réélu. C’est en tout cas ce qu’imagine Éric Dupin, alumni journaliste, écrivain et ancien militant au Parti Socialiste. Si tout le monde ne partagera pas, bien entendu, ce pronostic, saluons tout de même cette prise de risque…

François Hollande sourit intérieurement, lové dans les bras de Julie Gayet. Le président de loin le plus impopulaire de toute la Vème République –et ceci jusqu'à la veille du scrutin– vient d'être réélu. Il songe à Napoléon qui exigeait de ses généraux: «Ayez de la chance!» Le bienheureux Hollande a toujours été auréolé d'une sacrée veine. Mais lui qui n'a jamais douté de sa nouvelle victoire a aussi su se faufiler entre les événements fortuits avec sa dextérité coutumière pour finalement l'emporter.

Oh, c'est assurément tout sauf une belle victoire. Le président sortant n'a obtenu que 54,64% des suffrages exprimés, au second tour, face à Marine Le Pen –soit seulement trois points de mieux qu'en 2012 contre Nicolas Sarkozy. Le taux d'abstention a battu des records (35,14% des inscrits, quatre points de plus qu'en 1969) de même que le pourcentage de bulletins blancs et nuls (9,42% des votants). Une bataille médiocre, mais remportée.

Hollande a toujours su que le drôle de match de 2017 serait gagné, non pas par le candidat le plus aimé, mais par celui qui serait le moins rejeté des Français. Dans cette visée, une candidature revancharde de Sarkozy était ardemment souhaitée par son adversaire victorieux de 2012.

Le moins qu'on puisse dire est que l'ancien président n'a pas déçu son successeur. Privé de ses têtes pensantes, le Sarkozy de 2017 s'est révélé autrement moins talentueux que celui de 2007 et bien plus scandaleux encore que le candidat de 2012.

Le président des Républicains a d'abord été affaibli par sa piètre victoire contre Alain Juppé le 27 novembre 2016. Des primaires à l'organisation chaotique, émaillées d'incidents et de contestations diverses. Craignant la défaite de leur champion, les sarkozystes surchauffés n'avaient pas lésiné sur les moyens les moins recommandables pour dissuader les électeurs modérés de participer au scrutin. Avec succès.

Le candidat LR s'est ensuite lancé dans une fuite en avant aussi droitière que démagogique qui a fini par inquiéter énormément de monde –des catholiques pratiquants au Medef. Sa proposition de déchoir de la nationalité française tous les délinquants a sidéré jusque dans les rangs du FN, soufflé de se voir dérober une partie dure de son programme. Sans parler d'une rime hasardeuse entre Africains et Huns au détour d'un meeting survolté. La grande bourgeoisie, pour sa part, n'a pas du tout apprécié la tonalité grossièrement interventionniste et protectionniste d'un programme économique dangereusement improvisé.

Tout ceci a offert un bel espace à l'infatigable François Bayrou pour sa quatrième campagne présidentielle. Soutenu en sous-main par les juppéistes, le candidat centriste avait recueilli 17,84% des voix au premier tour. Il avait ainsi privé le candidat de droite de suffisamment de suffrages modérés pour que Hollande coiffe Sarkozy d'une courte tête: 19,88% contre 19,18% (Le Pen obtenant 25,86%).

Encore fallait-il, pour parvenir à ce résultat peu glorieux mais efficace, rassembler, autant qu'il était encore possible, une bonne part de l'électorat de gauche au premier tour. La légendaire habileté hollandienne a ici fait merveille.

Le président s'était offert le soutien du PS dès le congrès de Poitiers de 2015. Toujours plus soumis à la logique de la Vème République, les socialistes se sont tranquillement assis sur leurs statuts en se dispensant de l'exercice des «primaires». Moyennant l'assurance d'une survie de leurs députés grâce à l'introduction d'une dose calculée de proportionnelle, les écologistes ont rallié en maugréant pour la forme le président sortant.

Les crises à répétition qui ont miné la «gauche de la gauche» ont, par ailleurs, merveilleusement servi le dessein hollandais. Le Front de gauche a fini par éclater en trois pôles –les fidèles de Jean-Luc Mélenchon, le PCF et les partisans de Clémentine Autain– et autant de candidatures. Avec la présence, sur les rangs, de Pierre Larrouturou et même d'un dissident écologiste de gauche, la dispersion de ce camp l'a définitivement privé de toute dynamique.

Les bienfaits aléatoires de la conjoncture et une gestion professionnelle de la campagne ont fait le reste. La reprise économique a eu le bon goût de s'affirmer l'année précédant l'échéance présidentielle avec une croissance tutoyant les 2%. La fameuse inversion de la courbe du chômage –condition posée d'une nouvelle candidature du président sortant– s'est enfin produite même si ce fut, pour une bonne part, au prix de l'explosion du travail à temps partiel.

Par un heureux hasard, le mariage de François Hollande et Julie Gayet fut célébré, avec une médiatisation millimétrée, au moment précis ou pointait cette embellie économique et sociale. L'optimisme national renaissant se conjuguait ainsi admirablement avec le roman présidentiel. Les magazines people devinrent aussitôt le vecteur le plus puissant de la réélection du chef de l'Etat.

Ajoutons que le président-candidat a su faire bon usage de la tradition ancestrale des cadeaux de campagne. Il a très habilement exploité l'instauration d'un impôt à la source en faisant miroiter les possibilités ouvertes par la non-imposition des revenus de 2017. Les détenteurs de capitaux et les virtuoses de l'optimisation fiscale en seront les grands gagnants –ce qui a encore renforcé la bienveillance des possédants à l'endroit du président sortant.

Ceux-ci ne se sont guère émus du discours de Roissy qui ne s'adressait point à eux. Le 22 janvier 2017, retrouvant ses accents de tribun, le candidat Hollande a fait mouche auprès de l'électorat de gauche. «Mon ennemi, c'est le conservatisme», s'était-il exclamé sous des applaudissements aussi nourris que candides.

La même phrase fut ensuite commentée à l'infini: «J'ai consacré mon premier quinquennat au redressement économique indispensable de la France. Mon second sera placé sous le signe de l'exigence et du progrès social pour les Français !» Après l'effort, le réconfort. Les électeurs de gauche avaient envie d'y croire. Doublement effrayés par Sarkozy et Le Pen, ils se jetèrent à nouveau, pour un bon nombre d'entre eux, dans les bras de Hollande.

Le président nouvellement réélu songe à tout cela en ce jour de victoire. A vrai dire, il ne sait pas lui-même de quoi son second mandat sera précisément fait. Comme d'habitude, il avisera en temps utile, placidement obéissant aux logiques de situation. Hollande sourit à nouveau à son épouse. Et il se remémore ce passage des Misérables de Victor Hugo: « Ayez de la chance, vous aurez le reste ».

 

Merci au site Slate.fr de nous avoir donné l’aimable autorisation pour reproduire cette fiction dans nos pages.

Crédit photo : présidence de la République - J.Bonet - L.Blevennec