Reportage - A Paris, la gauche anti-Sarkozy dope la mobilisation
L'arrivée de François Fillon en tête du premier tour de la primaire de la droite et du centre a créé l'étonnement. Avec 44,1% des suffrages (résultats quasi-définitifs), il devance de loin Alain Juppé (28,6%) et Nicolas Sarkozy (20,6%).
Un étudiant de l'Ecole de journalisme de Sciences Po, Antoine Piel, a passé la journée de dimanche dans un bureau de vote du 14ème arrondissement de Paris, dans lequel il a constaté une forte mobilisation contre Nicolas Sarkozy, notamment de la part de sympathisants de gauche. En revanche, contrairement au résultat national, l'homme qui a récolté le plus de suffrages dans ce bureau est Alain Juppé et non François Fillon. Un reportage pour vous faire revivre ce premier tour riche en surprises...
Dans ce bureau de vote du 14ème arrondissement de Paris, à l’école élémentaire d’Alésia, il est seulement 18h quand les enveloppes viennent à manquer. Les militants locaux avaient tablé sur une participation de 10% du corps électoral, elle est en fait de 13,3. Les 500 enveloppes étant épuisées, on attaque déjà celles du deuxième tour. Le bureau de vote est pourtant marqué à gauche. Lors des municipales de 2014, Nathalie Kosciusko-Morizet, qui affrontait la socialiste Anne Hidalgo, n’y a obtenu que 35% des voix au second tour dans l’arrondissement où elle se présentait. Mais le président du bureau de vote Philippe Buscal, colistier de NKM en 2014, aux faux airs de Gérard Depardieu, vante la réussite du scrutin : "Il n’y a eu aucun incident, seulement deux personnes ont résisté pour payer et tout le monde a signé la charte." Pourtant une dame ne l’a même pas remarquée. La charte est en effet collée au fond d’une table, derrière une liste d’émargement.
"Je vote dès que je peux" confie cette enseignante de gauche à la sortie du bureau de vote. Mais elle ne partage rien des valeurs de droite : "Les programmes sont révoltants, il n’y a rien sur la question sociale. La dégressivité des allocations chômage c’est un scandale !" s'insurge-t-elle. Caroline a été profondément "déçue" par François Hollande. "Avec moins de 2000€ par mois, j’ai de plus en plus de mal à joindre les deux bouts" confesse-t-elle. Elle lui en veut de ne pas avoir augmenté les salaires (ils seront revalorisés à partir de 2017, ndlr), évoque un "délaissement". Elle se dit plutôt proche de Nuit Debout, est fatiguée des politiciens traditionnels mais voulait éviter le retour de la "vulgarité" de Nicolas Sarkozy. Ce sera donc par défaut Alain Juppé.
Roger, 53 ans, est également de gauche. Il est commissaire aux comptes. Lui évoque le quinquennat "désastreux" de François Hollande. "Il a mis 5 ans pour apprendre son boulot", affirme-t-il. Pour lui encore c’est Alain Juppé qui est le mieux placé pour le représenter. Il voterait même pour lui au premier tour de la présidentielle. "Lui il est sérieux" dit-il. Sans citer de mesure en particulier, il le trouve "plus modéré" que les autres.
Ici, Juppé fait plus du triple que Sarkozy
Quelques minutes plus tard, à une table, la conversation bat son plein entre 4 personnes qui attendent les enveloppes de vote. Une retraitée affirme que c’est la première fois qu’elle participe à un dépouillement. "Je suis venue barrer la route à Nicolas Sarkozy" dit-t-elle. Alors qu’elle avoue son orientation politique, de gauche, Gauthier, assis juste en face d’elle, retraité lui aussi, ancien commercial au crâne dégarni lâche en montant la voix : "Mais c’est la primaire de la droite ! Pour moi ce n’est pas normal." Alors que les enveloppes s’ouvrent petit à petit, il ponctue chaque vote pour Nicolas Sarkozy d’un "AAAH" satisfait. Mais ici c’est Alain Juppé qui écrase la course avec 240 voix sur 554 exprimées soit 43,3%. François Fillon suit 50 voix derrière, l’ancien président arrive bon troisième avec seulement 13% des voix. Gauthier regrette tout juste que Nicolas Sarkozy ait doublé tout le monde le matin même pour aller voter : "C’est dommage !".
A la sortie du bureau de vote, alors que le dépouillement est terminé chacun consulte frénétiquement son portable en quête des résultats nationaux. Un scrutateur de seulement 17 ans consulte Twitter. "Fillon serait en tête juste devant Juppé !" s’exclame-t-il. Gauthier veut encore y croire : "Sarko sera forcément au deuxième tour, Juppé est grillé par le lien avec Bayrou" professe-t-il.
Par Antoine Piel
Photo d'illustration : Un bureau de vote en juin 2007 / CC Rama