Pierre Botton : La prison mérite une correction !
Cette semaine, Emmanuel Macron a présenté une réforme pénale ayant pour ambition de renforcer l'efficacité des prisons françaises. Nous vous proposons à cette occasion de redécouvrir une interview de Pierre Botton. Les 602 jours qu’il a passé en maison d’arrêt pour abus de biens sociaux il y a vingt ans l’ont changé pour toujours. Il a depuis créé une association qui cherche à humaniser la prison et à éviter les récidives. Rencontre avec un militant qui refuse la logique du tout carcéral.
Quel est selon vous aujourd’hui le plus préoccupant concernant les prisons en France ?
Pierre Botton : Sans aucun doute, la surpopulation. Je me trouvais hier à Villepinte, la prison de la Seine Saint -Denis. Il y a 556 places pour 983 détenus et31 matelas au sol. On couche donc par terre, à trois ou quatre dans neuf mètres carrés, le bruit est incessant, l’intimité impossible. On ne se lave pas tous les jours. Comment voulez-vous donner un sens à une peine dans ces conditions ? La première minute de condamnation doit être la première minute de réinsertion. On en est loin ! Depuis mon incarcération, les choses se sont progressivement aggravées dans une indifférence quasi-générale.
Comment en est–on arrivé là ?
On continue à envoyer en prison des gens qui n’ont rien à y faire. La prison, vous savez cela peut arriver à tout le monde. Un jeune trouvé avec du cannabis dans sa poche, un type qui a bu au volant, un divorcé qui ne paie pas sa pension alimentaire ou quelqu’un qui manifeste, comme à Calais récemment. Il faudrait enfermer ceux qui sont dangereux pour les autres mais mettre en prison des petits délinquants, des citoyens qui ont eu des problèmes financiers, c’est prendre le risque de les voir sortir détruits, incapables de se réinsérer et parfois radicalisés.
Votre association Ensemble contre la récidive lutte depuis sa création en 2009 contre le choc carcéral de la première heure. Pourquoi est-ce si important ?
Vous sortez de 48 heures de garde à vue et l’on vous demande de vous déshabiller, le personnel pénitentiaire peut vous fouiller au corps si l’on estime que vous êtes dangereux pour la sécurité de l’établissement, vous n’avez pas des nouvelles de votre famille, alors que vous êtes, je le rappelle, présumé innocent… Rien ne vous prépare à ce système archaïque qui ne prend pas en compte la dimension humaine.
Très concrètement, nous avons obtenu qu’il y ait des bancs dans les cellules d’accueil pour ne pas avoir à s’asseoir par terre, un panneau des droits de l’homme que l’on voit en arrivant et à la valeur très symbolique, des toilettes classiques et non à la turque. Il y a également la projection d’un petit film de sept minutes expliquant ce qui va se passer et que vous avez droità un coup de téléphone à vos proches, un numéro de parloir où vous pourrez être joint ainsi qu’un kit propreté dans 20 établissements comprenant un tee-shirt, un survêtement, une brosse à dents, un savon, un parfum sans alcool pour sentir bon quand vous recevrez de la visite. En six ans de combat, nous avons aussi obtenu que les détenus aient la possibilité de signer les carnets de notes de leurs enfants, les documents médicaux de ceux-ci, et que dessins d’enfants et photos puissent entrer en prison, l’accès à Internet sur des sites sécurisés. En laissant entrer l’extérieur à l’intérieur d’une prison, on ne coupe pas un détenu desa vie et l’on facilite sa sortie. Car s’il faut purger sa peine, et je ne fais pas d’angélisme là-dessus, la société a le devoir de toujours se poser la question de l’après : que va-t-il se passer à la sortiepour le détenu ?
On évite ainsi la radicalisation de certains prisonniers...
Bien entendu. Jusqu’aux attentats, il était tabou de parler de ce sujet épineux. 60 % de la population carcérale en France est musulmane et la radicalisation peut concerner quelques centaines d’entre les détenus. Le 13 novembre, on a entendu des« Allah Akbar» et la minute de silence a été sifflée dans plusieurs établissements. Les petits voyous sans attaches et sans parloirs sont ciblés par des radicaux. La prison joue alors un rôle d’incubateur à djihadistes avec des imams auto-proclamés qui tiennent ce discours : «Regarde comme l’Etat français te traite mal, nous, nous allons bien nous occuper de toi, nous allons donner un sens à ta vie, répondre à toutes tes questions, s’occuper de ta famille». Sur un esprit faible, les dégâts peuvent être considérables et j’en parle très librement car j’ai été aussi un esprit faible. Quant aux islamistes radicaux incarcérés, ils sont en contact avec la population carcérale et font du prosélytisme. Mon association ne s’intéresse pas à eux, nous nous occupons des petites peines de moins de cinq ans, hors crimes de sang et de crimes sexuels, mais je pense qu’il est urgent d’isoler les terroristes, de les faire garder par l’armée, pour éviter qu’ils ne « contaminent » les autres. C’est ce qu’on commence à faire, avec des unités de prise en charge à Fresnes, Fleury à Lille et à Osny.
Pourquoi la France affiche-t-elle un taux de récidive aussi important ?
L’objectif de la prison doit être de protéger la société et d’empêcher la récidive, d’être un rempart. Le Québec ou les pays nordiques l’ont bien compris. Or avec59 % des détenus qui rechutent, la prison agit comme un tremplin : nous sommes les champions d’Europe de la récidive ! Là encore, la surpopulation est à blâmer. Quand les prisons sont occupées à 190%, il n’y a pas de sport pour tout le monde, les parloirs sont compliqués, le travail est plus rare, les activités aussi. Résultat : ceux qui sortent retombent très vite dans les magouilles, les délits de toutes sortes. Le petit délinquantretourne en prison comme grand délinquant. Malheureusement, ce discours «raisonnable » que je tiens n’est plus audible depuis les récents attentats.
Qu’est ce qui a changé ?
Aujourd’hui, on est dans une logique du tous en prison. La France a peur et soutient une incarcération à tout va, mélangeant primo-délinquants et terroristes patentés. Or il n’y a que 400 terroristes - qui, commeMerah, Coulibaly, Kouachi - possèdent le même profil : ils sont tous passés par la case prison - pour une population carcérale totale de 68 500 détenus. Pour ceux-ci, la peine de prison moyenne en France est de quatre mois et demi et il faut travailler sur ce temps là, pas seulement le subir.
Que proposez-vous alors pour les petites peines ?
Je pense que des travaux d’intérêt publics sont plus adaptés à leur cas : vous mettez un jeune sur un chalutier par exemple, il va apprendre à se lever tôt, à travailler en équipe, il sera fier de ce qu’il a accompli à la fin de sa journée. Celui qui a causé un grave accident pourrait se rendre à Garches pendant quatre mois, au chevet des blessés de la route : il en reviendra changé à jamais. Sinon, le point de départ de la réinsertion est d’avoir un métier, cela permet d’éviter le dégoût de soi, la haine de la société, les tentatives de suicide. 60% des tentatives de suicides ont lieu pendant le premier mois !
Nous avons ouvert l’été dernier le premier centre expérimental de réinsertion de condamnés à Saint Quentin-Fallavier dans l’Isère où les détenus, en semi-liberté, ou sous bracelets électroniques suivaient une formation d'électricien, de chocolatier, ou métiers du bâtiment qui débouchait ensuite sur un CDI payé au Smic. Il était possible de s’initier à l’informatique, de faire du sport, de bénéficier d’un suivi psychologique. Une demi-douzaine de détenus a travaillé sur le Grand Stade à Lyon. Nous recommencerons l’expérience en 2017 mais cette fois-ci avec tous les acteurs locaux qui travaillent à la pérennisation du projet (Pôle emploi, région, département, pénitentiaire, services judiciaires et bien entendu mécènes) en permettant à des détenus de travailler dans le domaine agro-alimentaire, avec Sodexo et le chocolatier Bernachon à Lyon, ou dans les imprimantes 3D à la maison d’arrêt pour femmes de Versailles. Ce dernier projet est particulièrement intéressant : les détenues apprennent un nouveau métier numérique au sein de l’atelier Print 3D et créent des jouets pour leurs enfants, ce qui améliore les relations familiales.
Les grands patrons français vous ont suivi. Pourquoi ?
Quand j’ai commencé à m’occuper des prisons et de la seconde chance, je n’ai eu le soutien de personne. J’ai la chance d’avoir pour ami depuis longtemps Martin Bouygues et d’être aussi particulièrement pugnace, j’ai rencontré Vincent Bolloré, Arnaud Lagardère, Henri De Castries d’Axa, Henri Lachmann, Christophe De Marjorie le regretté emblématique patron de Total, les dirigeants de la Fondation M6, d’Orange, de Vinci, d’EDF, de Safran et je les ai tous convaincus de nous aider. Afin de les sensibiliser et de toucher à travers eux le grand public, j’organisedes visites des prisons et je peux vous dire que lorsque ces grands patrons viennent pour la première fois à Fresnes ou à Nanterre, il se passe quelque chose. Monsieur Bébéar, 80 ans, se met à discuter avec des prisonniers. A la fin de la visite, certains ont les yeux humides. Soudain la prison n’a plus rien de virtuel, on est plongé dans le bruit, la saleté, on a le sentiment d’étouffer. Depuis 2010, nous recherchons aussi le soutien des personnalités, Michel Drucker, Marc-Olivier Fogiel, Pierre Arditi, Bruno Solo, Jean-Jacques Bourdin ou Yannick Noah sont nos ambassadeurs auprès du grand public. Aujourd’hui, pour la première fois, je vais demander l’aide de l’État, pour des projets avec la région.
Il y a le sport, les cours d’éducation civique, l’initiation à l’informatique, l’écriture, la lecture. L’important, c’est de ramener les gens dans la « radicalisation sociale».
Le politique aussi a un rôle à jouer …
L’Etat ne m’a jamais aidé. Cela ne coince pas au niveau des ministres, ni de la justice mais plutôt de la technostructure de la Pénitentiaire, qui ne mise que sur la répression et joue l’immobilisme. J’ai obtenu que les journalistes puissent accompagner les députés dans leurs visites de prison. Nous avons contacté un par un 331 députés qui ont soutenu cette idée. Et bien, il a fallu patienter plusieurs années pour que les choses se concrétisent sur le terrain. Dans une démocratie, la transparence sur les prisons me paraît nécessaire. Les hommes politiques ne se mobilisent pas assez sur le sujet car ce n’est pas porteur électoralement, il manque un certain courage politique. Regardez Madame Taubira, nous n’avons jamais pu obtenir lorsqu'elle était Ministre une mesure somme toute modeste, une douche par jour dans les prisons françaises.
Quels sont les combats qui vous restent à mener ?
Malgré nos efforts, les cellules françaises (8, 5 mètres carrés en moyenne) ne sont toujours pas aux normes européennes (10, 54 mètres carrés) et on construit en ce moment même des maisons d’arrêt à Valence, à Riom et à Beauvais aux cellules trop petites, dans lesquelles on mélange encore les tueurs et les petites peines, avec des kilomètres de barbelés alors qu’on nous laisse les enlever dans les prisons existantes ; cherchez l’erreur ! Je milite pour l’encellulement individuel, qui permet de retrouver son intimité. Nous n’avons pas obtenu la suppression des caillebotis qui dans les cellules obstruent la lumière. Je voudrais aussi que les entreprises qui donnent du travail puissent bénéficier d’une entrée spécifique pour ne pas avoir à patienter 45 minutes devant les portes de la prison. Il faut changer de culture et faire entrer l’extérieur dans le monde carcéral. Les parloirs internet que nous allons tester à la maison d’arrêt de Nanterre doivent être généralisés. J‘aimerais aussi que la pénitentiaire, qui souffre de mauvaises conditions de travail, soit revalorisée, formée au numérique et défile un jour sur les Champs Élysées.
Vingt ans après, que retenez-vous devotre détention ?
Je crois que la justice a sauvé ma vie. J’étais un sale type qui en voulait toujours plus, qui gaspillait l‘argent, qui pensait avoir réussi avec ses trois bateaux, ses deux avions, son hélicoptère et son chef à demeure. J’ai été très riche très tôt, l’argent et le pouvoir étaient mes seules valeurs. J’ai été condamné pour abus de bien social et je méritais cette peine. J’ai connu l’isolement la plupart du temps, sept maisons d’arrêt en 602 jours, une tentative de suicide. Cela fait 20 ans que j’en suis sorti mais la prison reste dans ma tête. J’entends les bruits incessants des serrures de là-bas, je me souviens du temps contre lequel on doit lutter sans cesse, des médicaments pour tenir. Aujourd’hui je ne supporte pas d’être enfermé, je circule en scooter et non en voiture pour me sentir libre et il m’arrive de quitter à minuit une chambre d’hôtel car elle donne sur une cour, ce qui me donne un sentiment d’étouffement.
Je n’aime pas parler de rédemption, mais j’ai compris la bêtise de mes actes, les chances gâchées. J’ai ressenti la souffrance de ne pas voir grandir mes enfants, la douleur de mes proches. Aujourd’hui, en militant pour une seconde chance, j’expie mes fautes, j’ai le sentiment de me laver de ce que j’ai fait. J’ai rencontré des magistrats extraordinaires qui m’ont donné une seconde naissance et permis de retrouver une valeur à mes propres yeux.
Un mot pour conclure sur Sciences Po ?
Je suis autodidacte et pour moi Sciences Po représente l’excellence. J’ai donc été ému et fier quand il y a trois ans les élèves m’ont invité à tenir une conférence ou que, Gilles Kepel et ses équipes me reçoivent pour parler de radicalisation. En parlant aujourd’hui à Émile, j’ai l’impression de légitimer ma cause, de creuser un sillon très fort entre les décideurs et le monde carcéral. Mon message est très simple: la sécurité de vos enfants et la vôtre demain se prépare aujourd’hui en prison. C’est l’affaire de tous.
Propos recueillis par Anne- Sophie Beauvais (promo 01) et Ariane Bois (promo 83)
Cet entretien est paru dans le numéro 5 d’Emile.
Crédit Photo : Manuel Braun