Émile Magazine

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L'infiltré - Le chant du départ

A travers les couloirs des palais de la République, je circule parmi mes semblables, souvent d'anciens Sciences-po attirés par les lumières de la politique. Je suis un infiltré au cœur du pouvoir, j’en connais tous les codes, tous les usages.

Ce quinquennat devait être placé sous le signe du changement, il est devenu celui du renoncement.

Depuis plusieurs mois, c’est la question qui tue à l’Assemblée nationale. A chaque réunion, en cachette des journalistes, les députés socialistes s'interrogent comme on demande des nouvelles à un grand malade : « Alors tu y retournes ? » Ils sont déjà 80 à avoir répondu officiellement par la négative. Et on annonce d'autres abandons...

Dans leur cas, à coup sûr, le renoncement du Président y est pour quelque chose.

Depuis le 8 décembre, c'est comme un soulagement, une délivrance, une libération. Puisque lui renonce, pourquoi pas moi ?

Mais, mis à part le mimétisme, comment expliquer une telle hémorragie de candidats ?

D'abord sans doute par peur électorale. Dans « Le chant du départ », chanson révolutionnaire qu'ils connaissent tous par cœur, c'est la victoire en chantant qui ouvre la barrière. En l'occurrence pour eux, c'est plutôt la perspective d'une défaite cuisante qui s’annonçait.

Ensuite,  par l’usure du temps.  Certains ont été élus il y a si longtemps qu'ils ne s'en souviennent plus. Les plus jeunes l'ont été à l'époque de Lionel Jospin quand les plus anciens se souviennent encore de Guy Mollet. 

Les effets du non cumul peuvent aussi justifier cette retraite en rase campagne. Il vaut toujours mieux être roi en son royaume que godillot au Palais Bourbon, alors pour la plupart ils ont fait le choix de déserter Paris.

Enfin, il y a ces députés, encore jeunes, mais déjà désabusés. C’est de loin la catégorie la plus inattendue.

J’en connais, à peine 40 ans, qui ont repris leurs études, dégoutés et fourbus, rincés physiquement et (personne n’oserait le croire) financièrement, et qui préparent leur CV avec fébrilité. 

Ceux-là en veulent bien sûr à Francois Hollande mais peut-être encore plus à eux-mêmes d’avoir cru à toute cette histoire qu'on leur a raconté depuis leur plus jeune âge. Ils veulent, disent-ils, "passer à autre chose".

En annonçant leur départ, ils ont nourri un peu plus l'incompréhension de leurs aînés qui ont tiré au maximum sur la corde et emportent avec eux, en bandoulière, l'amertume de ce quinquennat raté.

Alors, comme la politique a horreur du vide (sauf de celui des idées), ils laissent leur circonscription, pas si mauvaise que ça au regard des critères de la rue de Solférino, à l'avidité de certains de leurs camarades, de jeunes ministres qui rêvent de creuser leur sillon dans l'Histoire et qui voudraient montrer sur le terrain l'utilité qu'ils n'ont jamais su déployer en tant que membres du gouvernement.

On dit même dans les couloirs de l'Assemblée nationale que l'actuel Premier ministre, lui non plus, ne se représenterait pas et souhaiterait, après les élections, se consacrer à sa passion secrète : la botanique. C'est un talentueux rosiériste. Qui sait... il pourrait donner le nom de « Rose du Bourget » à une de ses créations...