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Philippe Besson : "Il y a une part d’opacité et de mystère chez Emmanuel Macron"

Dans Un personnage de roman, son dernier ouvrage sorti en septembre dernier, Philippe Besson raconte la campagne présidentielle d'Emmanuel Macron. Un portrait empathique, mais pas « hagiographique » selon l’écrivain, qui assume son amitié avec le chef de l’État. Interrogé par Émile, il nous livre son sentiment sur l’exercice du pouvoir, la solitude ou l’opacité qu’il engendre et qui, parfois, change les hommes. 

Propos recueillis par Anne-Sophie Beauvais, Sandra Elouarghi et Maïna Marjany

En lisant votre livre, on repense à la relation que François Mitterrand entretenait avec certains intellectuels et écrivains, qui lui étaient acquis et dévoués. N’avez-vous pas peur, après cette campagne partagée d’aussi près, et après cet exercice d’écriture, d’être devenu un courtisan d’Emmanuel Macron ? 

Philippe Besson

Photo : Manuel Braun

Je n’ai jamais caché mon amitié pour Emmanuel Macron. Je le connaissais bien avant qu’il ne devienne président. Mais justement cela signifie que je n’ai pas déclaré ma flamme à l’occasion de cette aventure littéraire, ce qui serait, pour le coup, la définition du courtisan. Ensuite, la neutralité ne m’intéresse pas, je revendique une absolue subjectivité, j’assume mon admiration quand elle est là, et j’exprime, par ailleurs, ma lassitude ou ma colère quand j’ai des raisons d’en manifester. Au final, ce livre me semble être sans complaisance ou compromission. Et, par ailleurs, je trouve ça beaucoup plus rassurant les présidents qui se confient à des écrivains que ceux qui copinent avec des journalistes... 

 

Mais si Emmanuel Macron vous a choisi, c’est en raison de cette complicité entre vous?

Il ne m’a pas choisi. C’est l’inverse ! C’est moi qui lui ai proposé d’écrire un livre. Et s’il a accepté sans réserve, c’est sans doute, effectivement, du fait de notre complicité. Nous n’avions pas à nous apprivoiser. De surcroît, Emmanuel Macron a un rapport très fort à l’écriture. Il aime les écrivains… pas moi en particulier, les écrivains en général. À 18 ans, il avait l’ambition de devenir romancier. Cela étant, je n’exclus pas qu’en acceptant la proposition que je lui ai faite, il cherchait aussi à sculpter sa propre statue, à travailler à sa propre gloire.

Dans votre livre, il y a un moment très sévère sur les intellectuels, sur certains intellectuels plus exactement : Michel Onfray, Emmanuel Todd, Régis Debray ou encore Alain Finkielkraut. Ça vous choque ?

Sa parole est libre, il peut penser ce qu’il veut, je n’ai pas à en être choqué. Et il faut comprendre le contexte : Onfray, Finkielkraut, Todd proféraient des horreurs à son sujet, il s'est contenté de réagir. Quant au fond, il dit des choses qui ne sont pas entièrement fausses : quel travail original a produit Onfray récemment ? Quelle est sa pensée ? On le voit matin, midi et soir, dans les médias. Il y a son rond de serviette, plein de lui-même. Pour moi, Michel Onfray, c’est un chroniqueur télé. Idem pour Emmanuel Todd. Je l’ai d’ailleurs vu l’autre jour commenter à chaud « L’Émission politique » d’Édouard Philippe. Ces gens se livrent au commentaire de commentaire. Est-ce cela que l’on attend d’un intellectuel ? Pas sûr.

Y a-t-il, selon vous, un nouveau paysage idéologique en France, comme semble le penser Emmanuel Macron ? Pour lui, le nouveau clivage se ferait, en effet, entre les conservateurs passéistes, qui proposent aux Français de revenir à un ordre ancien, et les réformateurs qui croient que le destin français est d’embrasser la modernité ?

Philippe Besson

Photo : Manuel Braun

Cette analyse me parait un peu simpliste. En apparence, elle est vraie. Effectivement, Emmanuel Macron a construit son succès sur la volonté de se débarrasser du vieux monde, de vieilles pratiques, d’une vieille caste, avec ces élus qui cumulent depuis 30 ans tous les postes. Il a considéré que le tic-tac de la droite et de la gauche, depuis des décennies, n’avait produit aucun résultat probant, qu’il est mortel pour la France, et visiblement les Français ont été d’accord avec lui. Mais pour autant on se tromperait si on ramenait Emmanuel Macron à la seule modernité. C’est un jeune homme en son vieux pays. S’il a le souci du mouvement, du progrès, il s’inscrit aussi dans une histoire très ancienne, qui ne commence pas en 1958 avec la Ve République, ni même en 1789 avec la Révolution. C’est une histoire qui vient de loin, des rois, de l’Empire... Emmanuel Macron est un homme pétri d’une grande culture. Il a le sentiment de devoir s’inscrire dans une lignée de monarques, d’empereurs et de présidents, et de devoir porter quelque chose de cette histoire de France. Donc il ne peut pas être résumé à la modernité.

La génération à laquelle il appartient, et que vous décrivez très bien, a-t-elle influencé, selon vous, sa façon de conquérir le pouvoir et aujourd’hui de l’exercer ?

Il n’a pas fait de sa jeunesse un étendard. En revanche, il a intégré que son âge et son inexpérience pourraient être un handicap politique. Quand il dit : « Je veux offrir le visage de la Pietà », il en tient compte, il veut être impassible, faire preuve de sang-froid, de tenue, de hauteur en toute circonstance. De fait, l’avantage que je vois à sa jeunesse, c’est la formidable énergie qui lui est associée. Il dort quatre heures par nuit, il est infatigable. Et puis, sur les nouveaux grands enjeux de notre temps, comme le numérique et l’écologie, il a sans doute une appréhension du réel plus fine, plus aiguë qu’une grande partie de la classe politique.

Son âge reflète une jeunesse qui n’a pas été la même que celle de ses prédécesseurs. Cela ne le rend-il pas forcément différent, d’un point de vue politique ?

Ses prédécesseurs avaient connu les Trente Glorieuses, la croissance, le plein-emploi. Lui a toujours connu une France qui va mal : le chômage de masse, la croissance faible, les déficits, la dette... Par ailleurs, les générations d’avant ont connu la guerre ou grandi avec son souvenir. La sienne a pris de plein fouet la nouvelle guerre, qui se nomme terrorisme, essentiellement islamique. Lui a vu cette violence terroriste. De surcroît, il était au gouvernement, quand se sont produits les évènements de Charlie Hebdo et du Bataclan. Je crois que les hommes se révèlent face au tragique. Il sera intéressant de voir comment il se comportera face à la violence aveugle du terrorisme, face à la mort. Il en parle d’ailleurs à la fin du livre. J’évoque sa propre mort, et il dit : « Les menaces qui pèsent sur moi ne m’intéressent pas, ce qui m’intéresse c’est la mort à laquelle la France est confrontée. » Et donc, la vraie question est là : quand la France sera confrontée à la mort, comment réagira-t-il ? Nous verrons à ce moment-là s’il est un grand président ou non.

Ses premières priorités semblent être de nature économique. Ne rend-il pas responsable la génération des baby-boomers d’avoir creusé les déficits et aggravé le chômage ? Ne veut-il pas, avec l’augmentation de la CSG pour les retraités, mettre à contribution cette génération-là au profit des plus jeunes ?

Mon analyse est différente. Je pense qu’il est convaincu qu’une partie de ceux qui l’ont précédé n’ont pas fait le job. Quand il parle des fainéants, il ne parle pas des Français mais bien des « rois fainéants » qui l’ont précédé et n’ont pas fait assez. La force de Macron, c’est de regarder le réel en face. Il n’entend pas faire payer la génération 1968, mais prendre en compte les transformations profondes qui se sont produites ces dernières années. Il entend dire aux gens qu’il faut arrêter de penser que nos vieux schémas peuvent perdurer. C’est-à-dire arrêter de raisonner comme s’il restait trois actifs pour un retraité. Arrêter de raisonner comme si la durée de vie ne s’était pas allongée. Arrêter de penser que l’on peut gérer la France en 2017 comme on la gérait en 1977.

Si vous deviez donner une définition du macronisme ?

C’est l’apologie de la liberté, et je dis le mot liberté à dessein. J’ai parfaitement compris qu’Emmanuel Macron n’était pas de gauche. Il est libéral, sur le plan économique, et libéral également sur le plan des mœurs, de la culture... Pour lui, chacun mène le mode de vie qu’il souhaite avoir, il n’a pas de lecture moralisante de la société. Et puis, il y a chez lui l’idée qu’il existe des bonnes volontés partout, à droite comme à gauche, et qu’il faut faire travailler ensemble ces bonnes volontés. C’est ce qu’il a fait pour l’instant dans son gouvernement. Est-ce que ça tiendra sur la durée ? Je n’en suis pas sûr, mais il défend en tout cas l’idée que l’on doit rassembler les progressistes de tous bords.

Vous qui l’avez suivi pendant des mois, pensez-vous pouvoir dire aujourd’hui « je cerne Emmanuel Macron » ?

Philippe Besson

Photo : Manuel Braun

Non, et c’est justement une autre force du personnage, me semble-t-il. Je le dis à un moment dans le livre : « Voilà un homme que je connais depuis maintenant trois ans, j’ai passé dix mois avec lui, quasiment tous les jours, et à la fin il me résiste encore. » Il y a une part de lui que je ne comprends pas, une part de mystère et d’opacité. J’ajoute que cette part d’opacité a encore augmenté depuis qu’il est président. Cela tient à ce qu’il est, profondément, mais c’est aussi une volonté de sa part. Et j’aime bien l’idée qu’un sujet me résiste… Je veux dire par là que je déteste la transparence absolue, je déteste l’idée que tout le monde devrait tout dire de soi, tout montrer de soi. Et Emmanuel Macron est comme cela aussi, je crois. C’est l’exact inverse de François Hollande, qui disait tout à tout le monde, et qui envoyait 50 textos à 50 journalistes chaque jour.

Et pourtant la transparence, c’est important en politique. C’est aussi lié à la moralisation de la vie politique, chère à Emmanuel Macron...

C’est un autre sujet. Je suis d’accord avec la transparence présumée garantir l’honnêteté des hommes politiques. Mais je suis opposé à l’idée que tout un chacun serait tenu de dévoiler son intimité.

Et si vous deviez choisir une autre personnalité politique ; d’hier ou d’aujourd’hui, et la prendre comme héroïne d’un récit sous votre plume, qui serait-elle ?

Ce serait Mitterrand. C’est la personnalité qui me fascine le plus, et c’est d’ailleurs la personnalité que je rapproche le plus d’Emmanuel Macron. Pour la dimension romantique, pour le rapport à l’histoire et à la littérature, et pour la part de mystère… Mais aussi pour le goût de la verticalité, la rareté de la parole présidentielle, la geste monarchique. Il y a des similitudes assez troublantes.

Étiez-vous allé à l’Élysée avant l’arrivée d’Emmanuel Macron ?

Non, la première fois que j’y suis allé, c’était pour voir Emmanuel. Et ce qui m’a frappé d’emblée, c’est que ce lieu enferme. C’est assez effrayant. Je trouve que c’est une cage dorée, une tour d’ivoire. Le risque que court Emmanuel Macron – risque encouru par ses prédécesseurs – est de perdre le contact avec le réel. Mon outil de mesure, face à ce risque, est la capacité que nous avons à pouvoir lui dire ce qu’il n’a pas envie d’entendre. En ce moment, par exemple, je lui dis : « Tu n’as pas un peu oublié ta gauche ? Tu voulais être de droite et de gauche, mais pour l’instant tu es plutôt de droite et de droite… » Et il me répond, on a une conversation, ça frotte de temps en temps, mais il entend, il argumente. Je pense que le jour où Emmanuel Macron n’aura plus envie qu’on lui dise des choses désagréables, il se sera perdu.

Justement, avez-vous l’impression qu’Emmanuel Macron a déjà été transformé par l’exercice du pouvoir ?

 Il n’a pas changé dans son rapport aux autres. Il a la même vivacité, le même humour, la même proximité, le même souci de convaincre, la même séduction. En revanche, ce qui a changé, c’est qu’il est infiniment moins accessible. Il est changé par la fonction et l’exercice du pouvoir. Il a gagné en gravité. Pour moi, c’est un compliment. Ça m’inquiéterait terriblement d’avoir un président léger et transparent.

Et vous, avez-vous changé depuis l’écriture de ce livre ?

Philippe Besson

Photo : Manuel Braun

 C’est drôle, je me suis posé cette question indirectement… Quand je me suis lancé dans l’écriture de ce livre, j’avais posé à Emmanuel Macron la condition suivante : pas de relecture, pas de contrôle a posteriori sur le livre. Il m’avait donné son accord et j’étais content d’avoir cette liberté totale. Et puis, une fois que le livre a été terminé, je me suis dit : si Emmanuel m’avait demandé une correction, j’aurais pu la refuser au candidat… mais comment dit-on non au président de la République ? Si le président de la République exige de moi des corrections, comment refuser ? Cela signifie que j’avais, moi-même, intégré la possibilité de devoir changer de comportement. Surtout que la première fois que vous vous retrouvez en tête-à-tête avec le président de la République, dans son bureau, il a beau être votre ami, c’est devenu quelqu’un d’autre ! J’ai eu la chance de ne pas avoir à répondre à cette question, puisqu’il ne m’a finalement demandé aucune correction sur le livre.

Et votre idée de la politique a-t-elle évolué avec cette campagne ?

À la différence de beaucoup de gens, je ne porte pas un regard sévère sur la politique. Je n’ai jamais considéré que la politique était faite par des gens malhonnêtes qui ne pensaient qu’à leurs intérêts. J’ai même une idée assez haute de la politique. Et, à l’épreuve des choses, cette haute idée m’est restée, même si j’ai vu la violence dans cette campagne, la médiocrité et les coups bas. Je reste convaincu que la politique est un métier noble. Peut-être suis-je extrêmement naïf… En revanche, ma distance à la politique n’a pas changé. Je n’ai jamais eu envie d’en faire, et ce sentiment a même été renforcé.

Diriez-vous que vous êtes heureux dans la société française actuelle?

 Si je me plaignais, cela serait assez indécent. Je fais le métier que je veux faire, je vis de ma plume, je suis heureux en amour, je mène une vie très confortable, de quoi pourrais-je franchement me plaindre ? Mais en élargissant le spectre, je me dis qu’il fait effectivement bon vivre en France… J’ai la chance de beaucoup voyager, et cela aide à mesurer la qualité de vie dans notre pays. Et à apprécier la protection dont nous bénéficions aussi. Combien de pays peuvent en dire autant ? Je suis donc heureux, mais également lucide. Il faut être conscient des dangers qui pèsent sur notre démocratie et notre vie quotidienne, conscient d’une certaine précarité, conscient aussi que tout n’ira pas mieux demain. Mais soyons heureux de ce que nous avons, car la France dispose d’atouts considérables.

Philippe Besson et Anne-Sophie Beauvais

Photo : Manuel Braun

 

Crédits photos : Manuel Braun