Émile Magazine

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Débat - Grands patrons et jeunes entrepreneurs : les défis à relever en 2017

Émile a réuni autour de la table quatre Alumni issus du monde de l'entreprise aux profils variés : jeunes entrepreneurs, énarque à la tête d'une banque, PDG. d'une marque "Made in France"... À quelques mois de l'élection présidentielle, ils ont évoqué les défis de leurs secteurs d'activité respectifs et ont plaidé pour un rapprochement entre élites politiques et économiques.

Les participants au débat


Thierry Oriez, P.-D.G. de J.M. Weston (promo 81)

Après une enfance et une adolescence passées à l’étranger grâce à un père diplomate, Thierry Oriez a été diplômé de Sciences Po, puis de l’Essec. Après trois ans chez Nestlé, il rejoint Lesieur à la tête du marketing. Il est directeur général adjoint chez Baccarat, avant de prendre en 2007 la présidence de Christofle. En 2014, il devient P.-D.G. de J.M. Weston, marque made in France de chaussures et de maroquinerie haut de gamme fabriqués à Limoges. 


Marie Cheval, directrice générale de Boursorama (promo 95)

Son diplôme de Sciences Po en poche, la jeune femme issue d’une famille champenoise sort de l’ENA (promotion Cyrano de Bergerac) en haut de la botte et opte pour l’inspection des Finances. Elle rejoint La Poste en 2002, où elle est nommée à la direction des opérations à 35 ans, puis décide de partir pour la Société Générale en 2011. Deux ans plus tard, elle est nommée DG de Boursorama, banque en ligne filiale de la Société Générale. 


Sophie Halliot, entrepreneure cofondatrice de LIPP (promo 12)

Entrepreneure, Sophie Halliot a monté sa startup avec un ami de promo, Marc-Antoine Durand, après avoir été diplômée de Sciences Po. L’appli Lipp, qu’elle a cofondée en 2012, compte plusieurs millions d’utilisateurs. Elle permet de modifier ses vidéos comme on le souhaite et de les partager sur les réseaux sociaux. Depuis 2016, elle donne des cours à l’École de la communication de Sciences Po. 


Maxime Alay-Eddine, entrepreneur fondateur et président de Cyberwatch (promo 16)

Agé de 26 ans, Maxime Alay-Eddine est diplômé de l’École centrale de Nantes et de Sciences Po. En 2015, soutenu par l'incubateur de Sciences Po, il a lancé Cyberwatch, société de sécurité informatique spécialiste de la gestion des vulnérabilités qui propose des services d’audits aux PME. Son engouement pour l’informatique remonte à loin : à 12 ans, il récupérait le code source de ses jeux vidéo pour pouvoir y jouer sans CD. 

Quel regard portez-vous sur votre secteur au sein de l’économie française ? Et quelle première mesure voudriez-vous voir appliquée si vous aviez l’oreille du/de la président(e) élu(e) ?

Thierry Oriez : Je dirige une entreprise particulière, puisque nous fabriquons l’ensemble de nos produits en France. Ce pays a énormément d’atouts, dans un contexte administratif maîtrisé, bien que très souvent discuté, et un climat politique stable. Malgré tout il y a deux enjeux à régler : la confiance et la simplification. Nous faisons face à une complexité des procédures qui aboutit souvent à une perversion du système alors que ses objectifs initiaux étaient bons. Il faut aller de l’avant.

Sophie Halliot : Pour les startups, l’environnement est de plus en plus favorable : les levées de fond dans la deuxième moitié de l’année 2016 ont été plus importantes en France qu’en Angleterre ! Pour les jeunes entrepreneurs, les freins se situent du côté d’un contexte réglementaire difficile à appréhender, et qui comporte des aberrations administratives connues de tous mais qui restent inchangées. Comme première mesure, je tuerai le RSI [régime social des indépendants, ndlr] qui n’apporte pas de valeur. On pourrait plutôt aller vers un adossement des indépendants au régime général de la Sécurité sociale.

Maxime Alay-Eddine : Le modèle social français n’encourage pas la prise de risque. Par exemple, quand j’ai lancé ma société j’étais moins bien couvert que mes employés ! Moi aussi je tuerai le RSI. Il faudrait peut-être penser à simplifier le modèle en rapprochant les régimes. Après, dans l’écosystème des startups, en termes d’aide publique il y a énormément de choses à aller chercher ; les incubateurs permettent d’être bien entourés sur ce point.

Marie Cheval : En 1995, à Sciences Po, j’aurais déjà répondu à cette question en parlant du chômage et de la dépense publique. On en parle donc depuis longtemps, il faut que ça bouge et qu'on libère un certain nombre de choses, dont le marché du travail. Le CDI, par exemple, devient un frein à l’embauche car son adhérence conduit les entreprises à s'interroger longuement avant de recruter, et donc à moins recruter. Il faudrait aussi simplifier le code du travail.

Sophie Halliot : Oui, tout est vu à travers le prisme du CDI. On ne peut pas louer d’appartement ou emprunter sans lui, mais il devient une forme de prison pour l’entreprise et le salarié. Parfois, le salarié reste alors qu’il ne s’épanouit pas, par peur de ne pas retrouver un autre CDI et de ne plus pouvoir rien faire, et l’entreprise se retrouve parfois dans des situations conflictuelles parce que la collaboration ne peut pas s’arrêter. Je crois en notre modèle social, mais il va falloir faire des efforts pour penser la pérennité de ce système.

Thierry Oriez : Le monde du travail est tellement bloqué que tout changement devient un stress. Le gâteau réglementaire est excessivement complexe. Ce qui me frappe aussi c'est l’éloignement de la jeunesse ; cette disparité entre les jeunes, formés par Sciences Po par exemple, ouverts sur le monde, connectés, qui ont une vision proactive de leur vie, et une jeunesse qui elle se trouve dans l’appréhension, avec des parents qui sont dans le regret du passé et la peur du futur. Les disparités politiques et sociales vont être extrêmement difficiles à gérer si on ne se relève pas les manches rapidement.

Si la volonté politique de porter le changement apparaît insuffisante, quel peut être le rôle des élites économiques ? Les entreprises peuvent-elles être à leur échelle actrices du changement ?

Thierry Oriez : On ne peut pas être chef d’entreprise sans avoir cette volonté chevillée au corps. On essaie de faire bouger les lignes le plus possible même si on est dépendants d’un cadre politique. Par exemple, à travers la fondation Weston, nous essayons de faire reconnaître les talents manuels au même niveau que les autres formations pour montrer que chacun a un rôle à jouer.

Marie Cheval : Si on veut faire bouger les choses, il ne faut pas opposer les élites économiques et politiques : les deux devraient agir de façon coordonnée et que tout le monde aille dans le même sens. Les élites politiques doivent connaître l’entreprise, avoir conscience des conséquences de leurs décisions sur ces acteurs, et à l’inverse les élites économiques doivent être capables de s’engager aussi, faire passer des idées, par exemple auprès des élus. Mais, probablement depuis 20 ans, on assiste à une divergence entre les deux, avec de moins en moins de passerelles.

Sophie Halliot : Cette divergence se retrouve à Sciences Po, en master. Quand on voit ses amis partir en affaires publiques et qu'on s'engage dans les masters plus « éco », le gouffre commence à se creuser de façon inexorable. Et si deux mois plus tôt on avait encore des cours ensemble, les chemins pris et les façons de travailler deviennent d’un seul coup très différents. C’est en fait le miroir de ce qui va se passer plus tard.

Marie Cheval : On verra à la prochaine échéance électorale si les choses changent et si davantage de passerelles se mettent en place. Mais en tout cas, Sciences Po a aussi un rôle à jouer puisque l’école forme historiquement à la fois des dirigeants politiques et économiques.

Propos recueillis par Laura Fernandez (promo 14)

Retrouvez le compte-rendu de cette table-ronde dans son intégralité dans le numéro 8 du magazine Émile