Émile Magazine

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Dissertation - L'échec en politique

La politique est un domaine où l’échec est particulièrement présent. Pour chaque élection, la victoire de l’un suppose nécessairement la défaite des autres. Parfois difficile à surmonter, l’échec peut aussi être bénéfique, sous certaines conditions. Le philosophe Charles Pépin nous livre son analyse et ses conseils sur le sujet.

En politique comme ailleurs, l’échec n’est profitable que sous conditions.

La première est qu’il n’y ait pas déni : pas de vertu de l’échec si l’échec n’est pas reconnu comme tel. Après son élimination au premier tour des élections présidentielles, Lionel Jospin a assumé en « se retirant définitivement de la vie politique ». Dès le lendemain, pourtant, il a accusé les autres candidats de gauche d’être responsables de sa défaite : le déni de l’échec est une tentation permanente.

La deuxième est qu’il n’y ait pas d’identification à l’échec : mon échec n’est pas l’échec de mon moi. Il est l’échec de mon projet, pas de ma personne. L’échec d’une rencontre – entre ma proposition et une conjoncture –, pas de mon « essence ». Charles de Gaulle, François Mitterrand, Jacques Chirac ou même Nicolas Sarkozy ont su vivre ainsi leur lot d’échecs, de traversées du désert ou de déconvenues. Plus encore, ils ont parfois éprouvé cette résistance du réel comme une occasion de prendre la mesure de leur vocation. « La difficulté attire l’homme de caractère », écrit Charles de Gaulle dans ses Mémoires : c’est contre elle qu’il affirme son désir. « Je suis contre les femmes, tout contre », écrit Sacha Guitry. Le désir, de même, est contre l’échec, tout contre. Idéalement, il faudrait réussir à distinguer l’entêtement pur et simple de la fidélité à son désir, mais la chose n’est pas aisée. Au fond, c’est l’Histoire qui juge : lorsqu’elle donne raison à celui qui insiste, elle change son entêtement en vocation. C’est peut-être aussi ma conviction politique qui décide de mon jugement : persistant malgré les échecs, celui que je n’aime pas ou en qui je ne crois pas me paraît sombrer dans l’entêtement, tandis que celui qui porte mes couleurs politiques me semble au contraire un chevalier de l’Universel, trouvant dans la fidélité à son désir des ressources nouvelles pour sa volonté.

La troisième est de prendre l’échec comme une question plus que comme une réponse : que vais-je en faire ? Faut-il bifurquer ou au contraire persévérer ? Il y a deux grands types d’échecs : ceux qui ouvrent des chemins nouveaux, inaugurent des bifurcations auparavant insoupçonnables, et ceux qui nous donnent l’élan pour continuer dans la même voie. Mais comment savoir dans quelle situation nous nous trouvons ?

Il faut pour cela du temps : c’est la quatrième condition. Prendre le temps d’entendre ce que l’échec a à nous dire. Sa voix est parfois faible, parfois même, au début, inaudible. Il faut d’abord que cessent les commentaires, comprendre que les autres ne savent pas. Se retrouver seul avec soi-même. S’écouter enfin. Peut-être que nous n’échouons que pour nous rendre enfin capables d’écouter cette part de nous-mêmes qui autrement n’aurait pas droit de cité, que le succès étouffe si souvent. L’ivresse du succès est bien agréable, mais la sagesse de l’échec est plus profonde, comme si le réel – en politique, l’Histoire – se rencontrait davantage dans l’échec que dans le succès.