[Il y a 7 ans] Najat Vallaud Belkacem : "Je ne sais pas si je ferai encore de la politique dans 10 ans"
A l'occasion de la campagne présidentielle, Émile replonge dans ses archives, et vous fait (re)découvrir une interview de Najat Vallaud Belkacem, la ministre de l'Education Nationale qui soutient Benoit Hamon dans la course à l'Elysée. Interviewée en 2010 par la revue des Sciences Po, elle revenait notamment sur son rôle de porte parole de Ségolène Royal durant la campagne présidentielle de 2007.
Tailleur pantalon noir, chemise blanche, cheveux très courts, sourire éclatant, Najat Vallaud-Belkacem (SP 00) est extrêmement jolie, raffinée et affable. Elle nous reçoit au premier étage d’un café du quartier latin où elle vient de donner une conférence de presse.
À 32 ans, elle semble l’exemple même d’un parcours républicain réussi. Née à Beni-Chicker dans le Rif marocain, élevée à Amiens avec six frères et soeurs par un père ouvrier du bâtiment et une mère très attentive, elle a parcouru toutes les étapes de la méritocratie – droit, Sciences Po, cabinet d’avocat au conseil d’État et à la Cour de cassation –, avant d’entrer en politique – un peu par hasard, dit-elle – aux côtés de Gérard Collomb, maire PS de Lyon dont elle est aujourd’hui l’adjointe, puis d’être élue conseillère générale, enfin d’être nommée en 2007 porte-parole de Ségolène Royal, puis secrétaire nationale du PS en charge des questions de société.
Elle assure depuis le mois de mars un enseignement d’ouverture à Sciences Po, consacré à la prospective politique. Rencontre avec une jeune femme qui croit encore aux combats politiques, mais aussi aux hasards de la vie.
Vous êtes née au Maroc, vous avez passé votre enfance à Amiens où votre père était ouvrier du bâtiment. En quoi votre enfance a-t-elle influencé votre parcours et guidé votre choix d’entrer en politique ?
Avoir vécu dans des conditions assez spartiates quand j’étais jeune m’a sans doute façonnée. Mais je vivais dans un quartier où tout le monde vivait de la même façon. Je n’avais pas forcément conscience à ce moment-là de vivre une injustice particulière. Dans un de ses sketchs, Jamel Debbouze a cette phrase dans laquelle je me retrouve parfaitement : « Je ne savais pas ce qu’était la pauvreté avant d’habiter dans le 16e arrondissement ! » Il a tout à fait raison : c’est une fois que l’on accède à un niveau de vie supérieur que l’on réalise ce que vivent ceux qui n’ont pas cette chance. Très jeune j’ai vibré pour des combats antiracistes. J’ai des souvenirs assez crus des années 1980 – j’étais alors à l’école primaire –, notamment de tracts xénophobes. J’ai été de gauche très instinctivement, en pensant qu’un monde idéal est un monde où la justice sociale prime. De mon point de vue, seul le parti socialiste pouvait résoudre cette énigme-là, et je crois toujours que c’est le cas.
Vous êtes-vous dit très jeune que vous voudriez faire de la politique ?
Pas du tout. Comme beaucoup de vies, la mienne est une succession de hasards. Quand j’étais jeune et que j’hésitais entre plusieurs voies à suivre, ma mère me disait : « De toute façon, la vie a toujours plus d’imagination que toi ! » J’aime bien cette phrase. Ça met un peu de sel dans la vie. C’est exactement ce qui m’est arrivé…
Premier hasard : Sciences Po. La façon dont j’y suis arrivée est assez cocasse. J’ai fait une licence de droit public, mais je voulais me distinguer de ma soeur ainée avec laquelle une sympathique « compétition scolaire » s’était engagée, et que je voyais engagée dans une future carrière brillante d’avocate. J’ai donc commencé à réfléchir à ce que je pourrais faire d’autre. J’ai alors poussé la porte d’un CIO (centre d’information et d’orientation). J’ai découvert l’existence de Sciences Po, que je ne connaissais pas, même de nom. Cela en dit beaucoup sur le manque d’informations cruel dont souffrent certains quartiers de notre pays. J’ai tout de suite eu un coup de coeur : une école polyvalente, où on vous laisse le temps de vous épanouir intellectuellement avant de vous demander de choisir… J’ai passé et réussi le concours sans savoir que c’était un concours difficile. Ce fut le début d’une aventure formidable : j’arrivai dans un monde qui m’était jusqu’alors inconnu, un monde dans lequel régnait une belle forme d’insouciance faite de confiance en l’avenir, de confort et de confiance en soi…
Tout en poursuivant mes études à Sciences Po, section service public, j’étais l’assistante parlementaire d’une députée à l’Assemblée nationale. À son contact, j’ai découvert les plaisirs mais aussi les affres de la politique : j’en ai alors conclu qu’il s’agissait d’abord d’un sacerdoce auquel j’avais peu envie de m’adonner moi-même. En quittant Sciences Po, j’ai commencé une activité de juriste dans un cabinet d’avocats au Conseil d’État et à la Cour de cassation. En 2003, trois ans après ma sortie de Sciences Po, j’ai rencontré, un peu par hasard, le futur maire socialiste de Lyon, Gérard Collomb. Il m’a proposé de rejoindre son cabinet et j’ai été sa conseillère sur les politiques de proximité et de démocratie participative pendant plusieurs années. J’ai pris conscience qu’avoir des élus volontaires, motivés et courageux est une clé indispensable pour changer la société. Le discours et les choix politiques ont un impact énorme. Et je l’avoue, je me suis sentie alors une certaine responsabilité : avec les années, j’avais acquis un certain nombre de « codes » d’entrée dans la politique, et je me suis alors convaincue que de ne pas s’impliquer en politique, c’était laisser la place à d’autres qui ne défendent pas toujours les idées qu’on estime les plus justes. C’est ce qui m’a incitée à accepter en 2004 la proposition de Jean-Jack Queyranne, alors candidat PS à la présidence du conseil régional Rhône-Alpes, de figurer sur sa liste, dans une position normalement inéligible.
Mais, coup de chance, nous avons si bien gagné ces élections, que même moi, j’ai été élue. Je suis donc devenue conseillère régionale en 2004. Être, comme je l’étais, une femme, jeune, issue de l’immigration, soit un animal assez rare dans le paysage politique, vous donne envie de prouver beaucoup plus. Jean-Jack Queyranne m’a assez vite proposé la vice-présidence à la culture. Avec ce mandat, j’avais mis un pied dans l’aventure politique. J’ai acquis le goût des batailles, y compris celles que l’on dit perdues d’avance. C’est ainsi, qu’en 2007, je me suis présentée aux élections législatives contre celui qui était alors ministre des Transports, Dominique Perben, dans une circonscription ingagnable pour la gauche. Après une campagne intense, j’y ai obtenu 43 % des voix. C’était un beau score et une belle bataille, qui n’a pas servi à rien puisqu’en 2008, une partie de ce territoire, fortement ancré à droite, a accepté de m’élire conseillère générale, à la surprise générale et avec un très beau score de près de 60 % des voix. Les gens réclamaient clairement un renouvellement politique et ont adhéré je crois à la campagne très active que j’avais menée.
Vous avez été l’un des trois porte-paroles de Ségolène Royal lors de la campagne présidentielle. Pourquoi ? Comment les choses se sont-elles passées ?
J’ai d’abord soutenu Ségolène Royal instinctivement, sans la connaître personnellement : elle amenait une réelle fraîcheur dans le monde politique. Elle n’utilisait pas les mêmes mots, elle avait un rapport différent aux gens, fait de simplicité, de pédagogie et de respect. Avec elle, on était loin de l’animal politique traditionnel. Après sa désignation, Ségolène Royal est venue en visite à Lyon pour remercier ses soutiens. Le courant est très bien passé entre nous. De nos discussions et de nos échanges devenus réguliers, est née l’idée de m’associer à son équipe de campagne. Par la suite, elle a voulu donner un signe fort en s’entourant de trois porte-paroles assez « inattendus », Arnaud Montebourg, Vincent Peillon et moi-même. La campagne a été difficile. On était plombé en permanence, inutile d’y revenir. Le travail de commentaire des sondages et des petites phrases s’est substitué à celui, pourtant indispensable, de promotion et de comparaison des projets de société en concurrence. Je trouve cela très problématique pour notre démocratie. À trop vivre dans une république du sondage, on finit par abaisser son propre niveau d’exigence et par ne plus travailler sur l’essentiel. Dans la foulée, vous avez été nommée membre du bureau du PS et secrétaire nationale en charge des questions de société.
Vous occupez-vous également de problèmes d’intégration ?
C’est moi qui ai choisi de me consacrer aux questions de société. Elles sont nombreuses et interrogent vraiment nos valeurs, sans d’ailleurs toujours suivre la frontière du clivage gauche-droite. Elles demandent souvent du courage politique pour prendre à bras le corps des interrogations difficiles mais fondamentales. En ce moment, je travaille sur la bioéthique : très prochainement, le parlement devra réviser nos lois bioéthiques.
Cela nécessitera d’apporter des réponses à des sujets aussi complexes que la gestation pour autrui, les recherches sur l’embryon, l’homoparentalité, etc. Ce travail m’a fait prendre conscience d’un certain conservatisme qui reste aujourd’hui encore à l’oeuvre, et d’une véritable angoisse face aux progrès de la science et aux inconnues de l’avenir tout simplement. Je ne m’occupe pas spécifiquement de problèmes d’intégration, mais il se trouve que c’est un sujet de société majeur qui, c’est le moins qu’on puisse dire, n’est pas traité convenablement en France. Donc, oui, j’ai souvent l’occasion de m’exprimer sur le sujet.
Pensez-vous avoir un rôle particulier à jouer dans le monde politique ?
Il est difficile de faire de la politique aujourd’hui. Il y a une forme de dévoiement de la démocratie représentative. Sans vouloir systématiquement accuser les massmédias, j’ai quand même le sentiment que nous vivons dans une démocratie au rabais, où l’on prend un peu les gens pour des imbéciles, dans une course à l’échalote, au scoop et au spectaculaire, qui me met mal à l’aise. Internet, par exemple, amène le meilleur comme le pire. Les hommes et les femmes politiques de ma génération qui vivent un ordinateur greffé à la main y sont sans doute plus sensibles que d’autres. Un jour peut-être le Net saura s’autoréguler suffisamment pour que les contre-vérités, les diffamations et autres insultes n’y trouvent plus leur place. Je le souhaite en tout cas. Mais si on excepte ces aspects, ce qui, en politique, continue à me motiver, ce sont simplement les hommes et les femmes rencontrés ou lus en si grand nombre, qui mettent leurs espoirs en moi et qui me trouvent visiblement une belle utilité « sociale » dans la défense de valeurs auxquelles ils adhèrent.
Que pensez-vous de Rachida Dati, ou de Rama Yade ?
J’étais, à Sciences Po, dans la même promotion que Rama, cette fameuse promotion de l’année 2000. Je la connaissais un peu, comme tout le monde, mais nous n’étions pas très liées. Quand Nicolas Sarkozy a annoncé dans son gouvernement l’arrivée de trois femmes issues de l’immigration, j’ai trouvé ça formidable. J’ai regretté que la gauche n’ait pas fait le premier pas en la matière. Cependant, la suite des événements aura confirmé les inquiétudes que j’ai ressenties à l’époque : ces nominations restaient le fait du prince. Ce que le prince fait, le prince peut le défaire. En politique, ce qui compte sans doute le plus, et qui, pour des filles de notre profil, s’obtient le plus difficilement, c’est la légitimité. Quand on ne l’a pas, qu’on est là uniquement grâce au bon vouloir du souverain, on vous rend la vie impossible. Et on vous plante un couteau dans le dos à la moindre faiblesse.
Vous projetez-vous dans l’avenir ? Comment vous voyez-vous dans dix ans ?
Je ne sais pas. La première image qui me vient à l’esprit, c’est que mes petits jumeaux qui ont aujourd’hui 16 mois auront 10 ans. Je me projette plus dans une posture de vie personnelle et affective que dans un plan de carrière quelconque, qui ne me fait pas particulièrement rêver. Pour être franche, je ne sais pas si je ferai encore de la politique dans dix ans.
Quel est pour vous l’événement le plus important de ces dix dernières années ?
Le 11 - septembre peut-être. Même s’il s’est passé tant d’autres choses en dix ans…
Propos recueillis par F. Maignan, publiés dans la revue Rue Saint-Guillaume en avril 2010 (n°158)