Émile Magazine

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Le choix d'un mot - Chasse

C’est en filant la métaphore de la chasse que l’historien Jean Ruhlmann, coauteur de l’ouvrage Élysée Circus, a choisi de nous parler, avec humour, de l’élection présidentielle. 

Si la saison est officiellement fermée, elle se prolonge exceptionnellement ce printemps et ne devrait s’arrêter qu’après les présidentielles, et encore, une élection chasse l’autre…

Pour ne pas être les perdreaux de l’année, les plus fines gâchettes s’inspirent des chasseurs de voix multirécidivistes que furent Fr. Mitterrand et J. Chirac, totalisant huit saisons et quatre trophées à eux seuls ! Pour les épauler, voyez ces flingueurs, le “mot qui tue“ en bandoulière, lâchés en rase campagne sur la piste du gibier : « Chasse à l’homme » glapit l’éditorialiste du Figaro durant la traque du candidat LR. Il est vrai que parmi les piqueurs, certains rient sous cape (« Chassez le naturel… ») et qu’une partie de la meute aboie « Sortez les sortants ! », comme Pierre Poujade il y a soixante-dix ans. Tablerait-on sur un effet…“chasse d’eau“ ? La métaphore cynégétique - dans un pays qui affiche volontiers ses racines rurales et offre au chef de l’État de somptueuses chasses présidentielles - permet de raconter la lutte politique : «  Le faisan est levé, il faut l’abattre ! » s’exclama Michel Poniatowski à propos du gaulliste Chaban-Delmas, opposé à VGE en 1974, avant que son champion ne soit surnommé « Viandard d’Estaing » sept ans plus tard par le camp chiraquien…

Il faut donc bien se chasser l’idée de la tête, crier taïaut sur le “processus de civilisation“ cher à Jürgen Habermas ! La compétition pour la dévolution du pouvoir n’a rien d’une promenade de santé en sous-bois, les rafales succèdent aux tirs perdus et les victimes collatérales – les femmes et les enfants d’abord - ne se comptent plus.

La présidence de la République et le substantif qui nous occupe lorgnent tous deux du côté de la conquête : petits veneurs et grands chasseurs s’affairent depuis belle lurette pour s’emparer (captiare en latin, d’où vient “chasser“) de la magistrature suprême, et tous foncent à bride abattue vers le “Château“, où se trouve son détenteur. Une fois parvenu à l’Élysée, le vainqueur s’empresse généralement d’afficher « Défense d’entrer. Chasse gardée » !