L'infiltré - Les têtes vont tomber
A entendre les représentants du PS et de LR évoquer, au soir du 1er tour de l'élection présidentielle, "une élection à 4 tours" et faire des législatives leur dernière chance de survie, on a pensé aux dernières paroles des condamnés : "encore quelques minutes, monsieur le bourreau..."
Les archivistes de la rue de Solférino, qui risquent le chômage avant l'été, sont de moins en moins nombreux à avoir connu François Mitterrand vivant mais les plus anciens se souviennent forcément de cette phrase, aux allures de sentence, prononcée au Congrès du PS de Valence par Paul Quilès : "Il ne faut pas non plus se contenter de dire de façon évasive, comme Robespierre à la Convention le 17 thermidor 1794 : “Des têtes vont tomber”… Il faut dire lesquelles et le dire rapidement ! »
On est en octobre 1981. C'était il y a une éternité. C'était hier.
Le titre du livre-programme d'Emmanuel Macron aurait dû mettre les députés sortants (de droite comme de gauche) sur la voie. Il s'agissait de "Révolution", rien de moins. Il y a du Robespierre là dedans et je connais le nom de quelques Saint-Just autour de lui.
Les candidats d'En Marche ! et du FN ont non seulement éliminé les représentants des deux partis traditionnels du 2ème tour de la présidentielle mais, combinés à la percée de Jean-Luc Mélenchon, ils disqualifient quasiment d'emblée leurs représentants pour les législatives.
À eux trois, En Marche !, le FN et les Insoumis sont en tête dans 513 circonscriptions sur 577.
Des têtes vont donc tomber à l'Assemblée nationale. Et plus nombreuses qu'on ne le croit.
Les meilleurs stratèges, les moins courageux ou les plus anciens l'ont compris depuis longtemps déjà et ont pris leur disposition pour éviter une défaite déshonorante.
On notera que deux anciens présidents de l'Assemblée nationale ont décidé de ne pas se représenter : Claude Bartolone et, depuis dimanche, Bernard Accoyer.
On remarquera également que Jean-Francois Copé avait annoncé sa décision de ne pas concourir aux législatives pour se consacrer à son mandat de maire de Meaux. Le score réalisé par Jean-Luc Mélenchon dans sa ville a dû le confirmer dans son choix.
Pierre Lellouche a annoncé son retrait de la vie politique, sans doute effrayé par le triomphe du macronisme dans le 9ème arrondissement comme dans tout Paris.
D'autres s'apprêteraient à renoncer et de plus importants encore (des ministres ou des anciens ministres peut-être...) mais, pour tous les autres députés sortants, c'est une nouvelle campagne qui commence.
Même cette semaine à l'Assemblée nationale où il n'y avait rien d'autre à faire qu'à commenter les résultats du 1er tour, on les voyait affairés et inquiets, courir partout, comme des canards sans tête, sans programme, sans leader.
À gauche, on cherche désespérément quelqu'un qui accepterait de conduire cette campagne qui s'annonce comme un véritable chemin de croix.
Les principaux responsables du PS ont fait leur calcul. Si la vague macroniste se maintient jusqu'en juin, ils ne seront pas plus d'une vingtaine dans la prochaine Assemblée.
Leur objectif est donc simple : tout faire pour éviter de tomber en dessous de 15 qui est le seuil minimal pour constituer un groupe parlementaire.
Il faut dire qu'ils sont mangés par les deux bouts de l'omelette et se retrouvent souvent sous la menace d'une double OPA inamicale d'En Marche ! et de la France Insoumise dans les circonscriptions les plus à gauche du pays.
Ainsi, dans le 19ème arrondissement de Paris chez Jean-Christophe Cambadelis comme chez son responsable des élections Christophe Borgel à Toulouse, Jean-Luc Mélenchon est arrivé en tête.
Les mauvaises langues disent que, depuis dimanche soir, ils n'ont jamais été aussi présents sur le terrain.
Les ministres les plus jeunes Najat Vallaud-Belkacem ou Matthias Fekl ont également décliné l'offre pourtant prestigieuse de conduire la campagne des socialistes.
Ils ont trop à faire pour essayer de conserver leur circonscription. Ce serait suicidaire pour eux de courir les meetings partout en France.
C'est pourquoi, dès dimanche soir, les regards se sont tournés à nouveau vers l'exécuteur testamentaire du hollandisme : Bernard Cazeneuve. Étrange idée quand on sait qu'il n'est même pas candidat à sa propre succession aux législatives à Cherbourg.
À droite, on a avancé et on a même trouvé un leader en la personne de François Baroin qui, sorti de sa torpeur légendaire par l'action toujours énergique de Nicolas Sarkoleone, a décidé de prendre la tête de cette campagne.
Mais, on cherche toujours un nouveau programme, celui des 500 000 suppressions de postes de fonctionnaire de François Fillon n'ayant pas été apprécié à sa juste valeur...
Finalement, la question est relativement simple : qui pourrait bien avoir envie d'une majorité socialiste ou LR en juin prochain ?
La stratégie redoutable d'Emmanuel Macron consistant à avoir créé, avec son mouvement En Marche !, une sorte de "ramasse miette" électoral devrait lui permettre, selon la configuration, de récupérer au deuxième tour les votants des partis traditionnels qui ne voudront ni d'un député lepeniste, ni d'un député mélenchoniste.
Mais, pour cela, il reste une condition à remplir : gagner l'élection présidentielle. Si cette élection se joue en effet à 4 tours, il serait fâcheux d'échouer au 2ème après avoir si bien célébré sa victoire au 1er.