Émile Magazine

View Original

Présidentielle - Les affiches de campagne décryptées

Les candidats à l'élection présidentielle ont dévoilé cette semaine leurs affiches de campagne. Émile est allé interroger Clément Viktorovitch, docteur en science politique, spécialiste de la communication politique et maître de conférence à Sciences Po. Il a tenté de décrypter pour nous les messages qui se cachent derrière ces supports de communication. 

Emmanuel Macron : "Une affiche qui se démarque"

Emmanuel Macron fait le choix d’une photo au format carré, qui est la norme d’Instagram. Il s’agit d’une option devenue classique lorsque l’on désire ancrer un cliché dans la modernité – c’était par exemple le format du portrait officiel de François Hollande par Depardon.

Tout, dans cette affiche, a été fait pour effacer un ancrage au sein du clivage gauche-droite traditionnel. La couleur bleu ciel, d’abord, est très peu référencée politiquement. Quant au slogan, « la France doit être une chance pour tous », on pourrait difficilement trouver plus consensuel.

Remarquons enfin deux curiosités. Tout d’abord, la photo a été prise dans la rue, et montre des passants au second plan. Il s’agit d’un choix étonnant pour une élection présidentielle – on attendrait plutôt cela dans une campagne municipale. Surtout, le regard d’Emmanuel Macron se porte un peu au dessus de la ligne d’horizon. Cela confère à l’affiche une connotation christique, stupéfiante pour un élément de communication politique, mais finalement assez cohérente avec la posture qu’adopte le candidat d’En Marche, en meeting notamment : celle d’un homme providentiel. 

François Fillon : "L'affirmation d'une stature présidentielle"

L'affiche du candidat Fillon marque par sa sobriété et son classicisme. Tout a été fait pour mettre en avant la présidentialité du candidat des Républicains. La photo, très contrastée, semble notamment faite pour mettre en avant ses rides et ses cheveux blancs. Toute référence au parti politique a par ailleurs été gommée, afin d’éviter de faire apparaître François Fillon comme le candidat d’un seul camp.

Le slogan choisi, « Une volonté pour la France », est une nouveauté. Il faut avouer que le précédent – « Le courage de la vérité » – était devenu délicat à assurer dans cette campagne marquée par les affaires. Mettre l’accent sur la volonté permet, au contraire, à François Fillon de remettre l’accent sur le récit qu’il déploie depuis quelques semaines : sa résistance aux « torrents de boue » qu’il doit affronter constituerait la meilleure démonstration de sa force de caractère.

Enfin, une dernière remarque : la composition de l’image, très statique, avec le slogan et le nom du candidat centrés sur le quart inférieur, fait davantage penser à la couverture d’un livre qu’à une affiche de campagne. En cela, elle manque probablement d’un brin de dynamisme pour être réellement efficace.

Marine Le Pen : "Une COMPOSITION ÉTRANGE"

L'affiche de Marine Le Pen déploie plusieurs éléments très réussis. La photo, tout d’abord, montre bien la volonté de la candidate du Front National d’apparaître désormais comme une personnalité sereine et rassurante. Le slogan, « Remettre la France en ordre », est assez marqué politiquement. Loin d’être consensuel, il se déploie au contraire sur l’un des thèmes de campagne traditionnels de Marine Le Pen. En cela, il est probablement de nature à mobiliser efficacement son électorat.

En revanche, c’est la composition de l’affiche qui interroge. Le dégradé de gris en fond, très neutre, manque à la fois d’allant et de d’élégance. Il y a par ailleurs un contraste très marquant entre la typographie du slogan et celle du logo. Si elles sont chacune parfaitement adaptées au message qu’elles mettent en forme, elles rentrent en tension l’une avec l’autre, au point de presque paraître issue de deux affiches différentes.

Enfin, un mot sur la pastille « En 5 ans » apposée sous le logo, qui est pour le moins curieuse : on s’attendrait davantage à trouver ce type d’éléments graphique, très connotés marketing, sur un baril de lessive que sur une affiche électorale !

Jean-Luc Mélenchon : "L'affiche la plus marquante"

L'affiche de campagne de Jean Luc Mélenchon me semble être l’une des plus réussie. Elle est sobre et classique… ce qui est pour le moins étonnant de la part du candidat de la France Insoumise ! Il fait le choix d’abandonner totalement les codes de la gauche radicale. Même son logo tire davantage vers le orange que le rouge vif ! Au contraire, par le choix de tonalités grises et bleutées, d’un fond neutre mais naturel (un ciel nuageux), d’une photo de face et souriante, Jean-Luc Mélenchon reprend à son compte des éléments graphiques très traditionnels. En cela, il continue sa mue vers l’image d’un candidat rassurant à la stature présidentiable, prétendant rassembler au delà de sa famille politique d’origine. C’est finalement une affiche très mitterrandienne !

Remarquons malgré tout que Jean-Luc Mélenchon a fait le choix de poser sans cravate, et dans la veste qui est devenue sa signature vestimentaire, à mi chemin entre le costume et le bleu de travail. Il continue, par là, de marquer sa différence avec les autres candidats, notamment issus des grands partis de gouvernement. Equilibrée, cohérente et adaptée au message qu’elle veut transmettre, cette affiche est peut-être la plus marquante de la campagne.

Benoit Hamon : "Une affiche marquée à gauche"

L’affiche de Benoit Hamon étonne, en ce qu’elle semble moins ancrée dans les compositions du Parti Socialistes… que dans celles du Front de Gauche! On retrouve notamment l’utilisation de cadres rouge vif et du vert, qui faisait la marque de Jean-Luc Mélenchon durant la campagne de 2012. On retrouve bien ici l’importance, pour Benoit Hamon, de rappeler à la fois son ancrage à la gauche du Parti Socialiste, et son alliance avec les écologistes.

Pour le reste, la photo est plutôt réussie, le cadrage dynamique, et le fond blanc résolument moderne. Carton rouge, en revanche, pour les logos des réseaux sociaux qui apparaissent au bas de la composition, qui la surchargent d’éléments graphiques strictement inutiles. Bien malin, en effet, celui qui parviendra à cliquer sur une affiche en papier !

Nicolas Dupont-Aignan : "Une affiche peu surprenante"

L’affiche de Nicolas Dupont-Aignan s’inscrit dans la droite ligne des ses précédentes campagnes. Elle laisse beaucoup de place au drapeau français, ce qui est cohérent avec son positionnement souverainiste – tout en étant à la limite de l’acceptable du point de vue du code électoral. La seule chose marquante, c’est la présence d’un petit slogan dans le coin inférieur droit : « Ni système, ni extrêmes ». Il condense assez élégamment le positionnement politique du candidat, qui s’inscrit dans l’espace ouvert entre François Fillon et Marine Le Pen

Philippe Poutou : "Une COMPOSITION DYNAMIQUE"

Sur le fond, l’affiche de Philippe Poutou est très classique. Elle reprend les codes traditionnels de l’extrême gauche : dominance du rouge, police blanche épaisse, surcharge d’éléments textuels. En revanche, la composition est dynamique, et la photo de Philippe Poutou, sur fond réel mais très symbolique, fonctionne bien. Une réalisation assez réussie, donc, même si elle est peu surprenante.

Nathalie Arthaud : "Une affiche très classique"

L'affiche de Nathalie Artaud reprend elle aussi directement les codes l’extrême gauche. En revanche, la composition apparaît beaucoup moins maîtrisée que pour le NPA. Très classique et un peu maladroite, cette réalisation marquera probablement peu les esprits.

 

Jacques Cheminade : "Son programme, c'est lui-même"

Ce qui frappe d'emblée dans cette affiche, c'est la photo de plein-pied. Comme pour François Fillon, le candidat prend un place très importante dans la composition. Le slogan, "Se libérer de l'occupation financière", est résolument provocateur et exprimé de manière moderne tant par la police que par sa couleur. Dans cette affiche où l'on voit beaucoup l'homme, le message est clair : le programme, c'est lui.

 

François Asselineau : "Une affiche ancienne"

Il s’agit, de fait, de la réalisation la plus ancienne. Elle reprend en effet la photo et la composition utilisées sur les affiches que François Asselineau, depuis plus d’un an, fait placarder dans les rues de nombreuses villes de France. Une manière assez habile de légitimer sa candidature, en rappelant qu’il mène campagne depuis longtemps déjà.

Jean Lassalle : "Pas d'affiche pour le moment"

Le candidat Béarnais n'a pas publié d'affiche officielle pour le moment, mais on peut trouver sur ses réseaux sociaux une bannière qui reprend le format d'une affiche de campagne. Cette composition reprend largement les codes de l'affiche de François Mitterrand en 1981 ("La force tranquille"). Le candidat s'affiche devant une campagne vallonnée : un choix cohérent pour celui qui se veut être le candidat des communes et de la ruralité.

Quelles leçons tirer des ces affiches de campagne ?

Au terme de cette analyse, j’ai surtout été marqué par les slogans des différents candidats. Non pour leur originalité – hélas ! – mais parce que, et alors même que je suis la campagne de très près… je confesse avoir découvert un grand nombre d’entre eux seulement maintenant !

Je vois deux raisons à cela. La première, structurelle : serait-on en train d’assister à un effacement progressif des slogans au sein de la communication politique ? Les électeurs seraient-ils désormais suffisamment armés en outil de décryptage pour voir au delà des concepts creux qui servent de matériau à tous les (mauvais) slogans ? La question vaut la peine d’être posée. Force est de constater, en tout cas, que la campagne de 2017 n’a pas encore trouvé son élément de langage iconique – comme l’avait été « le changement c’est maintenant » en 2012.

Mais surtout, d’un point de vue contextuel, ces affiches viennent nous rappeler qu’au delà des affaires et des polémiques, une campagne électorale est bien en train de se dérouler sous nos yeux. Que l’on découvre les slogans des candidats à seulement 15 jours du premier tour, n’est-ce pas finalement le symptôme désespérant d’un débat qui, sur le fond… n’a pas eu lieu ?

Propos recueillis par Guillaume Chomette