Émile Magazine

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Le billet de Pascal Perrineau - Déconstruction et reconstruction

La large victoire d’Emmanuel Macron marque, au regard de l’histoire longue de l’élection présidentielle en France, une étonnante rupture. Au-delà de la rupture générationnelle qui n’en est pas tout à fait une puisque le premier Président de la République, Louis Napoléon Bonaparte, élu par le peuple en 1848 avait 40 ans, ce sont d’autres ruptures qui sont à l’œuvre. Comme l’a très bien repéré l’historien Christophe Prochasson dans l’émission « Penser la France », le 8 mai, sur France Culture : «  …c'est un peu le moment où l'on a le sentiment que l'événement fait retour. [...] 2017, une date importante qui est, en quelque sorte, la sanction de la volonté d'un homme quelqu'un qui arrive, à la force du poignet, à s'imposer à une classe politique dont il n'est pas issu. »

La première rupture est celle qui est liée à l’irruption de l’événement qui vient déjouer les scénarios déjà écrits et bouleverser les structures les mieux établies. La deuxième rupture est celle du retour de la volonté en politique : celle d’un homme qui commence par vouloir. Les sciences sociales sont la plupart du temps mal à l’aise avec l’événement et la volonté individuelle. En général, elles  préfèrent les structures plutôt que les fêlures liées aux événements. Comme le disait Gilles Deleuze, l’événement provoque une « rupture d’intelligibilité » qui désarçonne les approches intellectuelles qui insistent sur les structures et leur reproduction. Or, dans cette élection, les fêlures et les événements disruptifs ont été nombreux : l’impopularité record du Président sortant et son auto-élimination qui ont  ouvert la voie aux héritiers infidèles ; le « dégagisme » qui a saisi tous les électeurs des primaires a montré le chemin à ceux qui cultivaient des ardeurs iconoclastes ; l’intervention des autorités judiciaires au cœur même de la campagne qui a mis fin à la chronique d’une victoire annoncée, celle de François Fillon ; les divisions des deux grands appareils que sont le Parti socialiste et le parti des Républicains ; enfin, le « retour du refoulé » qui a saisi Marine Le Pen dans le débat d’entre-deux tours…

 Tous ces « événements » ont chamboulé totalement les rapports de force et les structures les mieux  enracinées. Tout devenait alors possible à condition que cette déstructuration rencontre la volonté d’un homme. Le « champ de ruines » n’a plus alors été le corollaire d’une perte des repères provoquant démobilisation et désorientation, il est devenu l’occasion de mettre en œuvre une volonté d’innovation et de considérer le changement, la crise comme une opportunité. Le nouveau Président vient d’ouvrir un chantier de reconstruction de grande ampleur. Jusqu’au milieu du XXème siècle, les maçons marquaient la fin du gros œuvre d’une maison en construction par la pose d’un « bouquet final » au faîte de la construction. Nous n’en sommes pas là. Pour l’instant, le maçon Macron et ses compagnons en sont à la construction des fondements et nous lui souhaitons « bonne chance » pour la reconstruction de la maison « France ».

Pascal Perrineau