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Enquête - Les finances de l'Élysée

Depuis 2014, le budget annuel de la présidence de la République est fixé à 100 millions d’euros. Dans un effort de transparence, il est même accessible en ligne. Mais cela est loin d'avoir toujours été le cas. Enquête sur l’évolution des finances de l’Élysée.

Le budget de l'Élysée coûte l'équivalent de quatre baguettes de pain, par an et par foyer, soit environ 3,5€. Année après année, il est de mieux en mieux tenu. Depuis 2014, il s'établit à 100 millions d'euros annuels. Une enveloppe qui comprend trois postes de dépenses : les dépenses de personnel (environ 70 % du budget), les dépenses dites de « fonctionnement » (alimentation, entretien des véhicules automobiles, jardin, fleurs) ainsi que les dépenses de déplacement en France ou à l'étranger, qui s'élèvent autour de 14 millions d'euros. Mais le budget de l'Élysée n'a pas toujours été aussi clair.

Le budget de l'Élysée comparé à celui d'autres institutions (Matignon, Assemblée nationale et Sénat) 

Des finances opaques

On peut même dire que, pendant longtemps, le budget de l’Élysée n’a jamais vraiment existé. Avant 2007, une dotation était votée chaque année par l'Assemblée nationale – autour de 30 millions d'euros – mais qui ne correspondait en rien à l'ensemble des dépenses du palais présidentiel.

D'une part, cette enveloppe pouvait être doublée dans l'année par vote à l'Assemblée nationale. D'autre part, une dizaine de ministères apportaient leur contribution financière au budget de l'Élysée. Par exemple, la sécurité du président de la République était prise en charge par le ministère de la Défense, le ministère de la Culture était chargé de l'entretien du patrimoine de la présidence, les réceptions officielles et les déplacements à l'étranger étaient financés par le ministère des Affaires étrangères... sans que ces chiffres ne soient publiés ou votés. Un fonctionnement opaque qui remontait à 1959, début de la Ve République.

René Dosière, s'intéresse aux dépenses publiques depuis plus de vingt ans, il est l'auteur d'un livre sur la question, L'Argent caché de l'Élysée (Seuil, 2008). Le député PS raconte que c'est un peu par hasard qu'il s'est intéressé au départ aux finances du Palais. « Je consultais le rapport de la Cour des comptes de 2002 – donc consacré aux finances publiques de 2001 – et ce rapport faisait apparaître que ce budget avait été en cours d'année, comme les années précédentes, rallongé, quelque fois même doublé sans même qu'on le sache. » « Je me suis dit c'est assez curieux... J'ai donc commencé à regarder plus près de quoi était fait le budget de l'Élysée, je me suis documenté, j'ai lu des travaux universitaires sur l'autonomie des pouvoirs publics, et j'ai posé la question plusieurs fois dans l'hémicycle de l'Assemblée nationalepour m'étonner de cette situation opaque... Mais peu de réponses m'ont été transmises à l'époque. Cela m'a donné envie d'écrire ce livre. »

Le député René Dosière, auteur du livre L'Argent caché de l'Élysée. (CC/Dosière)

Un budget fixé depuis seulement une dizaine d'années

En 2007, Nicolas Sarkozy, nouvellement élu, s'engage à fixer un budget pour le palais présidentiel, transparent, et contrôlé par la Cour des comptes. L'idée est de moderniser les institutions, et de suivre les préconisations du comité Balladur, le comité de réflexion et de proposition sur la modernisation et le rééquilibrage des institutions, créé la même année et dont les conclusions ont inspiré la réforme des institutions de 2008. « Les médias s'intéressaient aussi de plus en plus à la question, c'était dans l'ère du temps, et puis cela ne correspondait plus à la nouvelle législation financière », détaille René Dosière.

En effet, la loi organique aux lois de finances surnommée la « LOLF », votée en 2001 et mise en application progressivement, prévoyait notamment, la présentation par toutes les administrations publiques d'une comptabilité sincère et fiable. Bref, la pratique ancienne du budget de l'Élysée était devenue intenable pour des motifs politiques comme pour des motifs législatifs. L'ouverture des portes des comptes de l'Élysée est donc officialisée.

Contrôle de la Cour des comptes

La Cour des comptes scrute pour la première fois le budget de l'Élysée en 2008... et en profite pour épingler les dépenses de Nicolas Sarkozy. Frais personnels, déplacements officiels, entretien des résidences, train de vie présidentiel, tout est passé pour la première fois au crible par la Cour des comptes présidée alors par Philippe Seguin. L'institution ne manque alors pas de souligner le caractère « inédit, voire historique » de cette démarche de contrôle. Mais des dépenses relevant de « l'intendance privée » sont relevées, des « erreurs ou maladresses signalées et corrigées ». Pour rectifier le tir, Nicolas Sarkozy a donc dû faire un chèque de 14 123€ pour les rembourser. Le rapport déplore notamment des dépenses de fonctionnement trop élevées et le manque d'appel d'offres et de mise en concurrence des fournisseurs.

Un article de Libération du 16 juillet 2009 parle du même fournisseur de viande depuis… 1969. Les nombreux déplacements de Nicolas Sarkozy sont aussi évoqués. En pleine crise financière européenne les délégations pouvant aller jusqu'à 300 personnes font tache, de même que le financement des frais de transports de chefs d'entreprises présents dans ces délégations. Nicolas Sarkozy finira même l'année 2008 en rallongeant discrètement le budget de 9,2 millions d'euros par décret au Journal officiel, que Le Canard enchaîné ne manquera pas de souligner.

Le budget « normal » – ou presque – sous François Hollande

C'était donc l'appréciation « peut mieux faire » que François Hollande, élu en 2012, a tenté de transformer en « félicitations » de la Cour des comptes. Il y est presque arrivé. Dès son arrivée au Palais, celui qui dit être un « président normal » prolonge et intensifie le mouvement enclenché par son prédécesseur. Il suit ainsi les recommandations de la Cour des comptes. Le budget diminue progressivement à partir de 2012 avant de passer symboliquement en-dessous des 100 millions d'euros en 2014. 100 millions d'euros, c'est à titre de comparaison la même enveloppe budgétaire que la ville de Castres dans le Tarn qui compte 43 000 âmes. Les économies sont faites un peu partout.

Réduction de personnel, moins de fleurs, moins de sondages

Premier poste d'économie : le personnel de l'Élysée. Aujourd'hui, environ 800 personnes y sont employées contre plus de 1000 pendant le quinquennat de Nicolas Sarkozy. Les salaires sont aussi passés au crible. François Hollande abaisse le sien de 30 % et passe de 21 300 € à 14 910 €  bruts. (Son prédécesseur l'avait tout de même augmenté de 170 %). Et une règle symbolique est fixée « aucune rémunération ne doit être supérieure à celle du président » selon René Dosière. Même si, on l'a vu, certains sont néanmoins très élevés comme celui du coiffeur de l'Élysée, payé plus de 10 000 € bruts par mois. Une affaire révélée par Le Canard enchaîné qui avait entachée l'image de la « présidence normale ».

Les dépenses en charges courantes sont aussi diminuées, un appel d'offre systématique est lancé pour les différentes prestations. L'enveloppe représente aujourd'hui près de 14 millions d'euros. À l'intérieur, les dépenses en alimentation et notamment pour les dîners d'État, une dizaine par an, représentent un poste de dépense important. « Le personnel de l'Élysée comme les fournisseurs historiques ont été un peu bousculés par ces nouvelles méthodes », explique le député de l'Aisne, René Dosière : « Il leur a fallu prendre de nouvelles habitudes. Car historiquement c'était un fournisseur, toujours le même. » Les dépenses superflues ont été drastiquement réduites. Ainsi, le budget des fleurs qui s'élevait autour de 500 000 € sous Jacques Chirac, est passé à 100 000 € sous le quinquennat Hollande. « Les fleurs ne sont plus jetées après un événement, elles sont réutilisés et ré-agencées », explique René Dosière. François Hollande a aussi totalement arrêté d'avoir recours aux sondages, dont Nicolas Sarkozy était friand : 9,4 millions d'euros avaient été dépensés pour ces commandes lors de son quinquennat.

Enfin, les déplacements sont aussi beaucoup moins coûteux. « On peut dire qu'un déplacement de François Hollande coûte deux fois moins cher qu'un déplacement de Nicolas Sarkozy », remarque René Dosière. En effet, le format des délégations a été réduit. D'autre part, les avions utilisés pour ces voyages sont mieux employés. Au lieu d'utiliser systématiquement l'Airbus A330 de la présidence, le président se déplace beaucoup en Falcone. Plus petit, il coûte moins cher. « L'airbus est presque en sous utilisation », note René Dosière. « Les pilotes sont même parfois obligés de voler à vide pour conserver leur qualification. » On remarquera que les déplacements en TGV, systématiques dès que possible promis par François Hollande, ont été très vite abandonnés, officiellement pour « raisons de sécurité ». Néanmoins, les ministres ont gardé l'habitude du train. En 2010, les ministres ont utilisé la flotte gouvernementale 901 heures. C’est passé à 411 en 2013, avant d'arriver à 364 heures en 2015. À noter que ces chiffres ne prennent pas en compte les déplacements du ministre des Affaires étrangères.

Modernisation, transparence, économies... du chemin a été fait depuis une dizaine d'années concernant le budget de L'Élysée. Mais tout n'est pas encore limpide. En réalité, les informations publiées dans le rapport de la Cour des comptes chaque année sont assez détaillées mais incomplètes. Idem dans le rapport général de la comission des finances de l'Assemblée nationale. Le budget n'est pas encore rendu public dans son ensemble. « J'ai plusieurs fois réclamé que ce soit le cas, François Hollande et son entourage m'ont dit que ça ne posait aucun problème, mais pour l'instant, le pas n'est pas encore franchi », souligne René Dosière... 

Par Anna Lecerf