Analyse - Reprise de la croissance en France : faut-il devenir très optimistes ?
Reprise de la croissance, inversion de la courbe du chômage, embellie économique... Comment faut-il interpréter ces indicateurs économiques et surtout quelles en seront les conséquences pour l'économie française dans les prochains mois ? Patrick Artus, économiste, Directeur de la Recherche et des Études à Natixis, nous livre dans cette analyse les clés pour comprendre les évolutions économiques récentes en France et dans le monde.
Reprise nette de la croissance en France
Les évolutions économiques récentes sont nettement plus favorables en France que celles qui étaient attendues. La croissance est sur une tendance de 2% par an, l’emploi augmente de 0,5% par trimestre, c’est-à-dire à un rythme de plus de 350 000 emplois crées par an. Les entreprises françaises sont devenues très optimistes : leurs perspectives de croissance sont à un niveau qui n’avait pas été vu depuis le début de 2011, avant le début de la crise de la zone euro ; elles annoncent une progression de 7% de leurs investissements en 2017, ce qui est très positif.
Il faut noter que la croissance de la France est ce qu’on appelle une croissance « riche en emplois » : au 1er semestre 2017, l’emploi augmente aussi vite que le Produit Intérieur Brut, ce qui veut dire qu’il n’y a pas de gain de productivité. Il ne sert à rien de regretter cette disparition des gains de productivité : elle est inévitable puisque, le chômage en France étant un chômage des peu qualifiés (le taux de chômage au début de 2017 pour le tiers le moins qualifié de la population active est de 17 ½%), la baisse du chômage implique nécessairement la création d’emplois peu sophistiqués à niveau de productivité faible, d’où la disparition des gains de productivité.
Pour savoir si cette accélération de la croissance de la France doit rendre très optimiste ou non, il faut se poser deux questions : est-elle due à une amélioration structurelle de l’économie française ou bien au redressement de la croissance mondiale et du commerce mondial ? Peut-elle être durable ?
Une reprise de la croissance due surtout à des causes internes ou externes ?
Comme tous les autres pays de l’OCDE, la France bénéficie de l’accélération du commerce mondial, liée à l’amélioration de la croissance des grands pays émergents, au maintien d’une croissance forte en Chine. Au début de 2016, le commerce mondial augmentait de 0% par an en volume ; aujourd’hui, il augmente de 4%. Quand on tient compte de la réaction des exportations de la France au commerce mondial, du poids des exportations, et du contenu en importations des exportations, on voit que le supplément de croissance en France en 2017 dû à l’accélération du commerce mondial est de l’ordre de 0,4 point. Si on suppose que la croissance de la France va passer de 1,1% en 2016 à 1,8% en 2017, on voit que 60% de cette hausse de la croissance vient du Reste du Monde. Il ne reste donc que 40% pour les causes domestiques : baisse des impôts des entreprises (CICE), reprise de la construction de logements avec les taux d’intérêt bas. La reprise de la croissance de la France a donc surtout des causes externes.
Cette croissance plus forte peut-elle être durable ?
C’est ici qu’apparaît la question centrale du chômage structurel et de la croissance potentielle. Le taux de chômage structurel est le niveau du taux de chômage qui ne peut plus être réduit par l’amélioration de la situation conjoncturelle, mais qui dépend des caractéristiques structurelles de l’économie : fiscalité, qualification de la population active, règles du marché du travail.
Pour que le taux de chômage continue à baisser une fois qu’il atteint dans sa baisse le niveau du taux de chômage structurel, il faut réduire ce dernier, ce qui nécessite d’améliorer les caractéristiques structurelles de l’économie. Dans le cas de la France, il s’agirait de réduire la pression fiscale sur les entreprises (qui est 6 points de PIB plus élevée que dans les autres pays de la zone euro), de réformer le système de formation professionnelle afin de redresser les compétences de la population active (qui sont parmi les plus bas des pays de l’OCDE), de transférer les négociations du marché du travail du niveau de la branche au niveau de l’entreprise, pour que les salaires, l’organisation du travail dépendent davantage de la situation de compétitivité, de profitabilité des entreprises.
Le point le plus bas du taux de chômage en France avant la crise était de 7,3% : avec les désordres crées par la crise (disparitions d’emplois, chômage de longue durée), on peut estimer que le taux de chômage structurel en France est de 8% environ.
Ceci veut dire que lorsque le chômage sera revenu à 8% en France, si les réformes structurelles envisagées ci-dessus n’ont pas été mises en place, la croissance reviendra au niveau de la croissance potentielle, c’est-à-dire la croissance réalisable lorsque le taux de chômage est stable et que l’emploi progresse seulement avec la population active (il n’est plus alimenté par la baisse du chômage). La croissance potentielle est de l’ordre de 1% en France et, à la vitesse présente des créations d’emplois, le taux de chômage devrait atteindre le niveau de 8% à la fin de 2018 : ceci veut dire que la perspective la plus raisonnable aujourd’hui est le retour à une croissance de l’ordre de 1% en 2019, après deux années de croissance nettement plus forte (autour de 1,8%).
La nécessité de réformes structurelles rapides et fortes
Certes la croissance française a nettement accéléré mais, nous l’avons vu, cette accélération est surtout due à l’environnement international et elle devrait disparaître dès la fin de 2018 avec le retour du taux de chômage au niveau du taux de chômage structurel.
Il faut donc absolument d’une part développer les facteurs domestiques de la croissance, d’autre part faire baisser le taux de chômage structurel, d’où l’urgence des réformes déjà mentionnées : fiscalité des entreprises, formation professionnelle, règles du marché du travail (en particulier, décentralisation des négociations dans les entreprises).
Patrick Artus