Émile Magazine

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Lorsque Nicolas Sarkozy raconte sa première rencontre avec Jacques Chirac…

En complément d'un entretien exclusif accordé à Émile, l'ancien président raconte sa première rencontre avec Jacques Chirac, l'un de ses mentors en politique. 

J’arrive à Nice en juin 1975, il fait un temps magnifique, c’est sublime, la promenade des Anglais… Je suis aux jeunes de l’UDR, mais c’est tout nouveau pour moi ! On vient de se prendre une claque, avec l’échec de Jacques Chaban-Delmas à la présidentielle. Je voyage en train, j’amène deux copains, je découvre Nice pour la première fois de ma vie. Pour moi, c’est le paradis sur Terre, je veux vivre là, m’installer là. On est dans un appartement qui appartient à la tante d’un de mes copains de fac. Le patron des jeunes de l’UDR me dit, le samedi pour dimanche, tu écris un petit discours et tu prends la parole demain au Palais des Congrès... Sans attendre, je dis à un de mes deux copains, viens avec moi, on va voir à quoi ressemble le lieu. On y va, je découvre l’endroit : une cathédrale ! Je vois une tribune qui faisait 15 mètres de hauteur. Je suis survolté, je n’arrive pas à dormir de la nuit. J’écris mon petit discours, recto verso, pour vous dire comme j’étais prêt !

Nicolas Sarkozy, 20 ans, donnant son premier discours politique au Congrès de Nice de l'UDR en 1975.

Il y a 42 ans de ça, et je me souviens encore des détails. Le matin, j’arrive là-bas, j’ai le souffle coupé tellement je trouve ça magnifique. On m’appelle derrière la tribune, j’attends. Chirac est là, Premier ministre, magnifique, superbe. Je ne l’avais jamais vu de ma vie. Il me donne la parole, il a une petite fiche avec le fil conducteur. Il dit : « Sarkozy, c’est toi ? » « Oui. » « Écoute, moi, je te donne la parole deux minutes, au bout de deux minutes, je te coupe le micro. T’as compris, mon petit ? » Voilà mon premier contact avec Chirac. Il appelle mon nom, Nicolas Sarkozy, et là, j’ai le souvenir de ma première image de meeting : trois micros devant. Je suis très surpris parce que je suis aveuglé par les projecteurs, je n’y vois rien. J’entends ma voix, et je me dis : je me sens bien ! Au lieu de parler deux minutes, je parle dix minutes, c’est un tonnerre d’applaudissements ! À un moment, je dis qu’être gaulliste c’est être un révolutionnaire, qu’il ne faut pas renoncer, qu’il ne faut pas avoir peur (rire).

Après cela, quelqu’un vient me chercher, et me dit, « le maire de Neuilly veut vous voir ». Je ne le connais même pas, moi ! Et on m’amène à un monsieur d’un certain âge, avec de beaux yeux bleus qui me dit, « il paraît que vous habitez Neuilly, jeune homme ». Je dis oui. On est arrivés il y a peut-être six mois avec ma mère, après avoir été mis dehors de l’endroit où habitait mon grand-père, après son décès. On était sur le pont de Neuilly, sur l’avenue Charles-de-Gaulle d’aujourd’hui, à l’époque l’avenue de Neuilly. Achille Peretti me dit : « Écoutez, dans deux ans, il y a des élections municipales, j’aimerais que vous soyez sur ma liste. » Je pensais qu’il plaisantait. Six mois après, il m’appelle et m’invite. Et je suis entré sur la liste de Peretti en 1977, il y avait 37 conseillers, vous savez ma place ? La 37e ! Six ans après, j’étais maire.

À partir de là, ma vie politique a commencé. Le lendemain du meeting, le lundi, Chirac me convoque à Matignon. Je vends des fleurs, à l’époque, chez Truffaut, avec une blouse. Le dimanche soir, je prends le train de nuit. J’ai 20 ans. Et le lendemain, le lundi, je commence ma journée à 7 h 30 chez Truffaut. À 11 heures, ma mère vient me voir au magasin : « Qu’est-ce que tu as fait ? Une dame a appelé ; le Premier ministre veut te voir à 17 heures cet après-midi. » Je ne savais même pas où était Matignon ! Je dois dire à mon patron « Écoutez, il faut que je m’en aille à 16 heures, le Premier ministre veut me voir. » Ma mère avait une Coccinelle, j’ai pris la voiture, j’ai été à Matignon, mais j’ai dû chercher, je ne savais pas du tout où c’était ! J’arrive, on ne m’amène pas dans le bureau du Premier ministre, on m’amène dans l’appartement du Premier ministre. Il y avait une table avec des feuilles en or à l’intérieur, en plexiglass, des compressions de César. Je vois ça, je m’en souviens comme si c’était hier. Il est en retard, j’attends un quart d’heure dans le salon, comme ça. Et puis je regarde les tableaux, il y avait Braque, il y avait Matisse… Et puis j’entends un grand brouhaha, et par une porte, je vois Chirac, avec ses grandes jambes, ses grands bras, et il me dit : « Toi, Sarkozy, tu es fait pour faire de la politique. » Et il était avec sa fille Laurence. Il me dit, « Qu’est-ce que tu fais ? » Je lui réponds : « Je suis fleuriste, et puis je fais des études. » « « Tu es fleuriste, mais qu’est-ce que c’est, ces conneries ? Viens travailler avec moi. » J’ai dit oui, je suis fleuriste ! J’ai besoin d’argent, je suis fleuriste pour payer mes études. « Et t’es fleuriste où ça ? » « Chez Truffaut. » C’est resté une bonne blague après. Et voilà comment je l’ai connu. Ça nous mène loin de Sciences Po… Sciences Po, c’est trois ans après. Mais pour vous dire le contexte : je ne faisais pas de voyage en Angleterre dans une famille ; je n’allais pas aux États-Unis pendant les vacances ; je ne faisais pas les résumés des cours avec les copains à la bibliothèque. Pour moi, les étudiants , c’était une autre vie. J’étais déjà lancé…

Propos recueillis par Anne-Sophie Beauvais (promo 01)

Retrouvez en exclusivité l'intégralité de l'entretien accordé par Nicolas Sarkozy à Émile.