Émile Magazine

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Chronique - Révolution au Palais-Bourbon ?

Par la volonté des électeurs, le cœur de la démocratie française a pris un sacré coup de neuf au printemps dernier : les trois-quarts des élus sont députés pour la première fois. Rajeunissement, féminisation, irruption de la société civile… Depuis juin dernier, tout a été dit sur le renouvellement de la physionomie de l’Assemblée nationale. Ou presque. Chronique(s) d’un changement d’époque et de génération.

C’est le début de l’été et déjà le soleil frappe de toutes ses forces le jardin des Quatre colonnes. Le décor est immuable depuis des siècles, seuls les acteurs changent. Au compte-goutte, les huissiers en queue-de-pie accompagnent les heureux élus des graviers jusqu’aux marches tant convoitées... Une volée de journalistes les attendent.

Qui êtes-vous ? Qui avez-vous battu ? Mais quelle idée de vouloir devenir député ? Sur quels sujets souhaitez-vous travailler ? C’est quoi votre 06 ?

Après une campagne courte mais intense, une élection durement gagnée, les (premiers) feux de la rampe passés, le député croit pouvoir souffler, à l’abri sous les dorures du Palais. Mais comme partout dans Paris, même les murs de l’Assemblée ont des oreilles bien informées… 

Vacances bleu marine ?

À peine élue dans les Hauts-de-France, la candidate défaite du 7 mai est rincée. Elle prendrait bien quelques jours de vacances avant la reprise des hostilités. Heureux hasard, elle croise le président de la Polynésie française qui l’invite à venir, un jour, goûter de plus près le sable chaud de Papeete. La voilà qui retrouve des couleurs.

À gauche toute.

Un autre candidat malheureux de la présidentielle a pris sa revanche à Marseille. Chantre du protectionnisme solidaire, l’homme manque de s’étrangler à la vue du drapeau européen étoilé, surplombant le perchoir. « Ça », dans la maison de Blum et Jaurès ? Il en reste encore tout éberlué. Peut-être était-il troublé d’avoir manqué, quelques minutes plus tôt, de rentrer par la droite de l’hémicycle, lui, l’homme de gauche pur et parfait.

Perchoir.

Un noble à l’Assemblée ? Du déjà-vu. Mais de là à en devenir le président, qui l’aurait imaginé… Il faut dire que ce marcheur tendance écolo a bien manœuvré. À peine réélu, il mène à nouveau campagne, en embuscade autour de la buvette des parlementaires. Vous veniez vous restaurer ? Vous étiez sûrs de l’y croiser.

Droit d’inventaire.

En parlant buvette, l’intendance n’en revient toujours pas : les stocks de vin ne diminuent pas. Blanc ou rouge, rouge ou blanc, pour le nouvel élu moyen, on ne boit pas sur son lieu de travail. Pas en journée, à tout le moins. Les cours de l’eau minérale et du Perrier-citron auraient parallèlement crû en flèche.

Productivité.

Soudain, dans les travées, une forêt d’écrans apparaît. Le député marcheur n’aime pas perdre son temps, alors que les discussions s’étirent souvent en longueur avec l’opposition, à qui il ne donne de toute façon (presque) jamais raison. Alors siéger oui, à condition de siéger « utile » !

Déménagement.

C’est un long couloir presque désert, qui distribue sur une dizaine de bureaux avec le charme et l’inconfort de l’ancien. Là, deux collaborateurs d’un groupe politique décimé par les élections attendent de savoir à quelle sauce ils vont être mangés. Cartons à moitié fermés, ils attendent jusqu’à la dernière minute que leurs quelques élus reconstituent une force politique d’appoint. Gauche-centre-droite s’il le faut ! Finalement, ils ont dû déménager. 

Déménagement (bis).

De l’autre côté de la rue, une élue en marche investit son bureau, vide. On lui met une table et deux chaises, l’intendance a un peu de mal à suivre. L’ordinateur, l’imprimante et la cafetière ? Il faudra attendre une semaine de plus.

Déménagement (ter).

Dans un bureau d’angle prestigieux, qui surplombe l’impeccable rue de l’Université, un ancien Premier ministre de gauche prend la place d’un ancien Premier ministre de droite. 

Habillement.

Un « insoumis » enlève sa cravate un jour de vote solennel. La remet un autre jour — il vient encore de donner une interview à la télé.

Cœur brisé.

Une élue de 26 ans à peine vient de « donner un an de sa vie » au nouveau président de la République. Elle prend conscience de ses nouvelles responsabilités. Ce soir, elle sèchera l’hémicycle pour « tenter de sauver son couple ». 

Préséance.

À la terrasse d’un café prisé, un ancien décourage un petit nouveau : « La commission des lois ? Mais c’est un boulot énoooorme. » Le premier gardera sa place au chaud au sein de la prestigieuse commission, le second héritera de l’aménagement du territoire et du développement durable. Enfin ! L’ordre des choses est respecté…

Rien n’a changé : la politique reste un sacerdoce. Tout a changé : ça ne dure plus toute une vie.