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Romaric Godin : "Felipe VI est très apprécié par les unionistes, mais est discrédité auprès des indépendantistes

Alors que l’incertitude et les tensions politiques persistent en Catalogne, le roi d’Espagne Felipe VI a pris la parole lors du forum économique de Davos pour rassurer les investisseurs et réaffirmer l’unité de l’Espagne. À cette occasion, Émile vous propose de faire le point sur les enjeux actuels et futurs de la crise catalane, à travers l’éclairage de Romaric Godin (promo 1995), journaliste en charge des questions économiques et européennes à Mediapart.

Propos recueillis par Maïna Marjany et Nesma Merhoum

C’est la première fois qu’un monarque espagnol prend la parole au forum de Davos. Cet événement prend-il une signification particulière dans le contexte de la crise catalane, notamment dans l’optique de rassurer les élites économiques et financières ?

La crise catalane produit sans doute un effet sur le sentiment de confiance des investisseurs dans l’économie espagnole. Mais, pour le moment, ce n’est pas un sentiment qui se traduit dans les faits : concrètement, il n’y a pas de ralentissement économique très marqué en Espagne. Le roi a peut-être une volonté à la fois de rassurer, mais aussi de mettre en scène le fait qu’il faille rassurer pour finalement entretenir l’idée que la crise catalane met en péril la croissance espagnole. C’est l’un des arguments des unionistes en Catalogne.

Dans son discours à Davos, le roi Felipe VI a décrit les événements de 2017 en Catalogne comme « une tentative de miner les règles de base de notre système démocratique ». Pensez-vous qu’il représente la pensée du gouvernement espagnol ?

Le problème de Felipe VI est qu’il fait de la politique, alors que théoriquement le roi d’Espagne n’en fait pas. Il en fait puisqu’il colle parfaitement au discours du gouvernement espagnol ; on l’avait déjà vu dans le discours qu’il a prononcé après le référendum du 1er octobre, où il n’a pas du tout joué un rôle d’apaisement comme l’a fait, par exemple, le roi des Belges lors des conflits entre Flamands et Belges francophones. Au contraire, il a clairement pris parti pour un des deux camps. Par conséquent, c’est un monarque évidemment très apprécié par les unionistes, mais qui est en plein discrédit auprès des indépendantistes. Le problème, c’est qu’on ne peut pas régler la crise catalane uniquement avec les unionistes : il faut au moins trouver un compromis avec les deux camps. Pour cela, le roi aurait pu jouer son rôle constitutionnel d’arbitre neutre, mais il y a complètement renoncé.

Actuellement, quels sont les enjeux pour le gouvernement central espagnol ? Y a-t-il des craintes quant au possible retour de Carles Puidgemont en Espagne et son investiture comme président de région de la Catalogne ?

Pour le moment, on est dans l’attente. Il y a une situation complètement rocambolesque et un peu étrange pour un pays de l’Union européenne. Des élections ont été convoquées par le gouvernement espagnol, après la suspension de l’autonomie de la Catalogne, fin octobre. Ces élections ont eu lieu, elles étaient libres, personne n’en conteste le résultat. Il se trouve que la majorité des élus est indépendantiste et que, théoriquement, c’est bien le leader du premier parti qui doit devenir le président de la région. Or, on sait que Madrid, non seulement, refuse le retour de Carles Pudgemont, mais a aussi indiqué que s’il était réinvesti, l’article 155 serait toujours en vigueur. Il y a donc un refus du gouvernement d’accepter le résultat des élections du 21 décembre, ce qui pose un problème qui dépasse l’Espagne ; c’est un problème pour l’ensemble de l’Union européenne.

Aujourd’hui, la principale crainte du gouvernement espagnol est que ce processus législatif aille à son terme. Cela pose quand même un véritable problème au niveau du fonctionnement de la démocratie espagnole. On dirait que le gouvernement va faire revoter les catalans jusqu’à ce qu’ils votent correctement. C’est une conception de la démocratie qui est assez particulière.

Vous parlez d’un problème qui concerne l’ensemble de l’Union européenne, mais comment peut-elle concrètement intervenir ?

Les autorités européennes, ainsi que plusieurs gouvernements européens, sont terrifiés par cette affaire, parce qu’ils ne savent pas comment la gérer. L’Espagne fait partie de l’Union européenne, il est difficile de traiter une affaire interne dans un État membre comme s’il s’agissait d’un pays non-membre. Par ailleurs, on constate qu’il y a un vrai problème démocratique, donc on se cache derrière la notion d’État de droit, alors que cette notion ne s’applique pas à la situation. En effet, l’État de droit implique le respect d’un certain nombre de critères qui ne sont pas appliqués actuellement en Espagne, comme par exemple le fait qu’un élu soit protégé et qu’il puisse se rendre au Parlement sans être arrêté par la police, sauf en cas de vote du Parlement en question. La crise catalane est donc aussi révélatrice d’une certaine forme d’impuissance européenne.

Existe-t-il des tensions au sein du camp indépendantiste, entre ceux qui souhaitent voir Carles Puigdemont investi et ceux qui demandent son retrait pour préserver la majorité parlementaire indépendantiste ?

Évidemment, il y a un vrai débat qui se pose : si les députés qui sont élus ne peuvent pas revenir en Catalogne car ils sont soit en prison soit en exil, les indépendantistes perdent leur majorité. Certains soutiennent donc qu’ils doivent démissionner et transmettre leur siège à leur suppléant, pour que la majorité soit conservée. Cependant, on sait très bien que Carles Puigdemont a été le moteur de la victoire des indépendantistes le 21 décembre et que sa liste, qui était donnée à 12% dans les sondages, a fini à 22% en tête du groupe indépendantiste. Il faut donc bien comprendre que Carles Puigdemont, parce qu’il est en exil et parce qu’il a résisté à l’article 155, est difficile à écarter. Il y a une vraie question politique qui se joue en Catalogne au sein du groupe indépendantiste. La situation est tellement chaotique et pleine d’incertitudes, que les gens essaient d’y trouver une issue à tout prix, c’est certain.