Émile Magazine

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Les livres politiques du mois d’octobre

Tous les mois, la rédaction d'Émile vous propose une sélection de livres abordant des questions politiques sous différents angles. Ce mois d’octobre, ce sont des questions d’actualité qui sont à l’honneur. Le premier ouvrage vous éclairera sur la personnalité et les projets du désormais célèbre prince héritier saoudien Mohammed Ben Salman. Le deuxième opuscule s'interroge sur une problématique en vogue : le petit écran va-t-il disparaître au profit d’internet ? Puis, entrez dans l’intimité de Michel Rocard à travers le livre témoignage de sa dernière épouse. Pour finir, découvrez un ouvrage sur une angoisse existentielle récurrente : l’imminence de la fin du monde et l’avenir des hommes.

Le prince mystère de l’Arabie, Mohammed ben Salman, les mirages du pouvoir absolu

L’assassinat du journaliste saoudien Jamal Khashoggi au consulat d’Arabie saoudite à Istanbul a vivement ébranlé la stratégie de dédiabolisation menée par le prince héritier Mohammed ben Salman, depuis son entrée en politique. Alors que l’image de réformateur souhaitant inscrire son pays dans le XXIe siècle se fissure peu à peu, Le prince mystère de l’Arabie permet de mieux appréhender les coulisses du pouvoir saoudien.

Ce livre est le fruit d’un riche travail d’enquête de la journaliste Christine Ockrent, auteur de nombreux ouvrages tels que Les Oligarques, le système Poutine (2014) et Clinton/Trump, l’Amérique en colère (2016). Dans ce nouvel opus, elle s’attèle à décrypter les méthodes radicales de Mohammed ben Salman, dit MBS.

L’auteur retrace l’ascension éclair de cet iconoclaste propulsé au pouvoir à 32 ans. Christine Ockrent décrit une révolution « par le haut », passant par une réduction de la dépendance au pétrole du pays, un changement de statut de la femme ou encore un vaste plan anti-corruption.

Ce progressisme apparent ne serait-il cependant qu’une façade ? La politique du prince se fait le miroir d’un pays schizophrène, tiraillé entre culture planétaire et contrôle des mœurs, fruit d’un pacte politico-religieux archaïque. MBS est en réalité à la tête de l’une des sociétés les plus oppressives de la planète, où la liberté de penser et l’espace public restent restreints.

Impulsif ayant mené le pays dans une guerre sans fin au Yémen, fougueux obsédé par la menace iranienne, MBS « incarne à lui seul la puissance et la fragilité d’une autocratie opaque », analyse Christine Ockrent. As des opérations séduction, il est prêt à se rapprocher d’Israël par l’entremise de l’ « ami américain ». Face à Téhéran, il souhaite solidifier sa domination du monde sunnite, à travers l’exportation du wahhabisme et un nationalisme exacerbé.

En soulignant les contradictions de ce jeune prince semblant succomber à l’ivresse de l’autorité, la journaliste montre ainsi la difficulté à passer d’une culture tribale à la modernité, et s’interroge sur le destin futur de l’Arabie Saoudite. Une fois officiellement au pouvoir – s’il succède comme prévu au roi, son père, âgé de 82 ans – Mohammed ben Salman pourrait régner un demi-siècle… Où conduira-t-il ce pays de l’or noir à l’influence militaire, économique et politique grandissante ? Parviendra-t-il à relever les défis de la croissance économique et de la lutte contre le terrorisme ? Interrogé par Norah O’Donnell sur CBS en mars 2018 sur ce qui pourrait l’arrêter, MBS fut sans appel : « Seulement la mort. »

Le prince mystère de l’Arabie, Mohammed ben Salman, les mirages du pouvoir absolu, Christine Ockrent (promo 65), Éditions Robert Laffont, 288 pages, 20 euros

La chaîne et le réseau, pourquoi internet ne va pas tuer la télévision

Confrontée à la concurrence de Netflix et du VOD, ou encore de YouTube, mais aussi à la rigueur budgétaire et aux incertitudes économiques, le petit écran est-il en péril ? Va-t-il disparaître au profit d’internet ?

Non ! selon l’auteure, Simone Harari. Celle qui produit Slam et Tout le monde veut prendre sa place, qui fut candidate à la présidence de France Télévisions en 2005 et membre de la Commission Copé pour réformer la télévision publique en 2008, connaît son sujet. Elle explique dans son ouvrage que cette nouvelle situation force la télévision à se réinventer, à créer plus et mieux, ce qui pourrait bien tirer la création française vers le haut plutôt que de l’enterrer.

Il faut dire que pour rester un média puissant et fédérateur, la télévision doit faire plus, offrir des programmes originaux, inédits, de qualité, et surtout, redéfinir son rapport à ses publics. A travers huit chapitres, Simone Harari balaye les idées reçues sur la mort programmée de la « télé ». Elle interroge l’importance d’un audiovisuel fort, du renouvellement des missions et des financements du  service public, pour répondre aux challenges actuels. Elle insiste sur la nécessité de refondre le business model pour y intégrer les évolutions de nos nouveaux modes de consommation de programmes et d’information. À « l’ère du libre choix », la télévision s’exporte sur nos tablettes, sur nos smartphones, elle nous suit en ligne, sur les réseaux sociaux : la fin du petit écran serait donc loin d’être une fatalité.

La chaîne et le réseau, Pourquoi internet ne va pas tuer la télévision, Simone Harari (promo 1972), Éditions de l’Observatoire, 192 pages, 15 euros

C’était Michel, vingt ans qui passèrent si vite

En 1994, Sylvie Emmanuelli rencontre Michel Rocard lors d’un repas d’affaires au Georges V. Elle a 49 ans et travaille pour la Fondation la Poste, il en a 64 et vient d’être torpillé aux élections européennes et évincé de la présidence du Parti socialiste. Il l’épouse sept ans plus tard et restera son mari jusqu’à ce que la mort les sépare.

Cet ouvrage, rédigé de concert avec la journaliste et auteur Sylvie Santini (promo 70), est une déclaration d’amour et un dernier adieu à Michel Rocard, disparu en 2014. Sylvie Rocard nous raconte tout, des balbutiements de leur couple clandestin, à leur choix d’être enterrés ensemble, aux derniers instants de l’ancien Premier ministre, en passant par leurs nombreux voyages partout sur la planète, comme à Tokyo, Bali et Calcutta.

Sylvie Rocard dépeint un homme vif, concentré, toujours en mouvement, secret quoique droit et aimant. Elle décrit aussi un homme sensible et protecteur, soutien sans faille de sa femme et de ses batailles. Elle raconte son influence sur sa vie, la sérénité qu’elle lui a apportée, et le réconfort et la confiance qu’il lui a offerts. Elle l’initia à la défense de la cause animale : elle raconte d’ailleurs leurs déménagements titanesques, avec leurs milliers de livres, mais surtout leur véritable ménagerie de 6 chiens et 14 chats… La politique n’est toutefois jamais loin, avec un Michel Rocard progressiste sans être sectaire, dialoguant avec Raymond Barre comme avec François Bayrou.

Deux ans après sa mort, la troisième et dernière épouse de Michel Rocard est toujours en deuil : pour lutter contre son absence, elle a choisi de retracer leur histoire intime, celle de « son Rocard » comme la sienne. Elle se livre sans pudibonderie pour offrir à son mari un hommage personnel écrit à la première personne, avec, comme elle dit, « l’infinie gratitude que je lui porte ».

C’était Michel, vingt ans qui passèrent si vite, Sylvie Rocard avec Sylvie Santini (promo 70), Éditions Plon, 224 pages, 19,90 euros

La fin du monde et le dernier dieu, un nouvel horizon pour l’humanité

Pierre-Henri d’Argenson traite, certes, dans son livre de la fin du monde, mais d’une fin du monde sans flammes, sans déluge et sans déchirement, une fin du monde discrète et insidieuse, ce qui ne la rend pas moins réelle selon lui ; l’ennui, la lassitude, le désœuvrement causeront sa perte. « Le monde a épuisé pour l'homme ses potentialités », écrit-il. Plus de terres émergées à découvrir, plus de régimes politiques à expérimenter, plus de dieux à inventer ou à chérir ; l’homme a tout exploré.

Or, pour l’auteur, la soif d’exploration, le besoin d’aventure et de découverte sont inhérents à la psychologie, et même à la biologie humaine. Se confrontent donc aujourd’hui, la finitude de notre monde et notre soif inextinguible de nouveauté : l’humanité ne serait plus adaptée à son environnement, et commencerait, doucement, à s’ennuyer sur Terre...

Mais alors, si l’homme est foncièrement un explorateur, si sa soif de conquête et de création est une composante vitale de son existence, comment survivra-t-il à la confrontation à un monde découvert, sans surprise, devenu transparent ? C’est la question de ce livre, qui déroule une réflexion poussée et philosophique sur la période actuelle et le futur de l’humanité tout entière.

L’homme conquerra-t-il l’espace ? Si il n’y arrive pas, détruira-t-il toute la Terre, pour recommencer l’histoire ? Articulé en trois parties chronologiques, l’auteur essaie de rendre intelligible la finitude du monde, « réalité bouleversante à laquelle notre corps et notre esprit réagissent violemment », qu’il définit comme « le plus grand défi que l'humanité devra affronter au cours des prochains siècles. »

La fin du monde et le dernier dieu, un nouvel horizon pour l’humanité, Pierre-Henri d’Argenson (promo 2001), Éditions Liber, 163 pages, 18 euros