Émile Magazine

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Jo Di Bona, le graffeur pop

Invité d’honneur du numéro 13 d’Émile, Jo Di Bona a réalisé un portrait inédit de Léa Salamé, interviewée dans nos pages. Découvrez le parcours riche en rebondissements de ce « street artist » aux fresques chamarrées, qui se souvient d’un temps où le graffiti n’avait pas encore acquis ses lettres de noblesse dans le monde de l’art.

Par Laurence Bekk-Day (promo 18)

Jo Di Bona (crédits photo : Loïc Ercolessi)

Jo Di Bona a le tutoiement facile. Accessible, loquace, ce quarantenaire au sourire de gamin et à la voix juvénile raconte son histoire et son art sans rechigner. Il aurait pourtant pu prendre la grosse tête, après avoir fait la une du New York Times, pour sa fresque dédiée aux victimes des attentats parisiens du 13 novembre. Mais ce n’est pas le genre de ce street artist aux multiples facettes, dont les œuvres graphiques, qu’il peint parfois sur toile et qui sont exposées en galerie, tendent vers l’art contemporain. À tel point qu’Artsper, sorte de Christie’s du milieu de l’art, le met dans sa liste de 2016 des dix artistes « à suivre ».

Léa Salamé par Jo Di Bona.

La patte de Jo Di Bona – son nom, qui n’est pas un pseudonyme, est d’origine italienne – témoigne de la profonde transformation du petit milieu de l’art de rue. « Aujourd’hui, tous les styles se retrouvent dans l’art urbain », note-t-il. « Le graffuturisme, la calligraffiti, même l’abstrait ; si on aime Edward Hopper, on va trouver des artistes graffitis qui vont se rapprocher de lui. » Il baptise son style à lui du nom de « pop graffiti », une technique qui consiste à réaliser un fond aux couleurs très vives recouvert d’affiches en noir et blanc ensuite lacérées pour révéler par relief le visage de ses portraits, des célébrités comme des anonymes.

Ce « natif du 93 », comme il se définit lui-même, a connu le monde du street art bien avant qu’il ne devienne la dernière marotte de l’art contemporain : un monde plus rebelle, plus brut, plus vandale aussi. Né à Montreuil-sous-Bois d’une mère kiné et d’un père graphiste, Jo Di Bona trouve à domicile tout ce qu’il fallait pour satisfaire son envie de gribouiller : « Grâce au métier de mon père, j’avais la chance d’avoir à la maison des feutres et des crayons de couleur. » Mais à l’école, c’est plutôt la dégringolade et il n’est pas loin d’achever son parcours éducatif en troisième. Impensable pour sa mère qui réussit à le faire intégrer dans un lycée « pas trop mauvais ».

C’est le début d’une adolescence faite d’insouciance : « On était tout le temps dans la rue, c’était l’époque du skateboard, du graffiti, du hip-hop, de NTM [le groupe de rap de JoeyStarr, NDLR] ». Avec ses complices Lek et Nestor, devenus depuis des graffeurs reconnus, la petite bande sillonne la capitale, se surnomme « la team VF », pour « Version Française ». Jo Di Bona veut voir son « blase » – entendez : sa signature – partout dans Paris, il cherche « le meilleur style, les meilleures lettres », parce que pour lui, « le tag, c’est de la calligraphie ». Mais il recherche aussi le danger : « La nuit, on allait peindre les trains, il y avait des poursuites avec les maîtres-chiens. Et ensuite, on allait en cours d’espagnol au lycée ! »

Crédits photo: Olivier Tresson

Loin de ces moments d’adrénaline et d’inconscience, c’est justement au lycée qu’il fait une rencontre capitale : sa prof d’arts plastiques, Claudie Laks, qui prend le parti de lui donner des conseils d’artiste. Elle l’encourage à dépasser le simple tag. En cours, il étudie Jasper Johns, le fondateur du pop art ; cela l’inspire. L’idée lui vient de combiner le graff avec des couvertures de vieux Paris Match : il trouve que ça « matche ». Et Jo Di Bona a déjà des envies de reconnaissance par le grand public : « Quand je prenais le train, je voyais mes graffs sur la ligne, et personne ne les regardait. J’avais envie de dire aux gens : “Eh, j’ai fait ça !” »

Mais le hasard fait que la classe de musique est juste en face de celle d’arts plastiques. Il partagera ainsi les bancs du lycée avec les frères du ténor Roberto Alagna et avec Dan Levy, qui fondera le groupe pop The Dø. À l’orée de ses 18 ans, Jo Di Bona rêve aussi de musique, joue de la gratte, compose des chansons. Il fonde un groupe d’indie rock, HOTEL. Ça ne marche pas trop mal : « Je me suis retrouvé avec un CD en vente dans tous les Virgin ! » L’heure du choix a sonné : Jo Di Bona préfère raccrocher les aérosols pour se consacrer à sa nouvelle carrière. Il ne peindra plus pendant treize longues années : le temps de la réflexion.

Crédits photo : Olivier Tresson

Et c’est une femme qui le rappellera à ses premières amours de graffeur. Lorsqu’il croise le regard d’Amélie Vielle, une grande brune de dix ans sa cadette, c’est la naissance d’une amitié faite de franches rigolades. Ils mettront trois ans à s’avouer qu’ils s’aiment. Pour leur premier Noël passé ensemble, le peintre amateur veut marquer le coup. Amélie est intéressée par l’art ? Qu’à cela ne tienne : Jo Di Bona dépoussière son équipement et lui offre une toile, « un patchwork avec des bouts de papiers peints et du collage, les prémices de ce que je fais aujourd’hui ». Elle trouve que son homme a du talent, le met en relation avec des galeristes, se démène pour le promouvoir, devient en quelque sorte son agent. C’est le début d’un travail à deux, tout en fusion. Il n’hésite pas à se mettre en scène avec elle sur Instagram, à l’appeler sa muse. Il est rare qu’il réalise une interview sans qu’elle soit à ses côtés. « Je ne veux pas qu’elle reste dans l’ombre, parce que c’est une vraie collaboration. Je l’intègre dans tout, dans mon parcours, dans mes choix. »

Jo Di Bona a connu l’art de rue underground des années 1990, une époque pré-Internet, pré-réseaux sociaux. Mais les choses ont changé : les œuvres des artistes ont un public, leur légitimité passe désormais par leur cote. Les villes sont moins hostiles ; les street artists quittent la sphère de l’illégalité. Depuis Banksy, ce graffeur à l’identité mystérieuse dont les œuvres peuvent atteindre le million d’euros aux enchères, l’art urbain est devenu un phénomène de mode. Un changement que ne renie pas Jo Di Bona : « C’est comme ce que les impressionnistes ont pu vivre en 1900 ! » Et de faire le parallèle avec cette époque du postimpressionnisme parisien, où Lautrec côtoyait Gauguin, où Breton côtoyait Picasso.

Le graffeur puise plutôt son inspiration chez le plasticien Jacques Villeglé, mais aussi chez Soulages, qu’il espère rencontrer un jour. En attendant, pris par le succès, il bosse dur. « Je me lève à quatre-cinq heures du matin, je fais mon projet de mur, le soir, je me couche à minuit, le lendemain, je recommence. » Pour son amoureuse, qui imaginait la vie d’artiste « plus bohème », c’est parfois un peu difficile. D’autant que Jo Di Bona ne s’imagine pas déléguer comme certains, et qu’il sait que sa jeunesse n’est pas éternelle. Pas question pour lui d’être un vieux street artist, ni d’être encore sur le terrain à 60 ans.

Crédits photo : Marc Libbra

Pour lui, la peur de l’éphémère est toujours là, les œuvres de rue disparaissant aussi vite qu’elles sont apparues. Mais Jo Di Bona est fier que le Gainsbourg et Birkin qu’on lui a demandé de graffer sur le mur de l’ultime demeure du chanteur, au 5 bis, rue de Verneuil à Paris, soit toujours là. Il l’a réalisé en mars 2017 en une nuit, sous une pluie battante ; il est aujourd’hui presque intact – comme une sorte de plébiscite implicite de ses spectateurs –, adoubé par Charlotte Gainsbourg qui a posé devant. Alors qu’est-ce que le graffeur rêve encore d’accomplir ? « Peindre la face cachée de la lune ! », rigole-t-il. ●


Bio express

1975 Naissance à Montreuil-sous-Bois.

1991 Réalise ses premiers tags qu’il signe « Anoze ».

2002 Fonde le groupe indie rock HOTEL.

2013 Première exposition de ses graffitis dans une galerie d’art.

2014 1er prix du graffiti de la Fondation EDF.

2016 Fait la une du New York Times pour son « Mur de l’amour », en hommage aux victimes des attentats du 13 novembre, à Paris.