Émile Magazine

View Original

OM / Red Star : le match !

Face à face, deux clubs mythiques et populaires : l’OM en Ligue 1, le Red Star en Ligue 2. Émile a voulu organiser un match amical entre leurs dirigeants. Jacques-Henri Eyraud comme Grégoire Potton sont de nouveaux venus dans le milieu du football professionnel, mais ils ont de grands projets pour leurs clubs respectifs. Nous les avons réunis pour parler business, mais surtout pour les faire discuter de ce monde qui les sépare et les unit : celui du ballon rond.

Propos recueillis par Noé Michalon et Laurence Bekk-Day

Grégoire Potton et Jacques-Henri Eyraud, interviewés par Émile (crédit : Manuel Braun)



Qu’est-ce qui vous a amenés, l’un comme l’autre, au monde du football ?

Jacques-Henri Eyraud : Le sport fait partie de mon histoire depuis que je suis tout petit ! J’ai un oncle qui a été médecin-chef de la Fédération française de tennis, et un grand-père qui a joué au Havre, en première division. Je suis vraiment issu d’un milieu où le sport a toujours eu une place très importante. Au départ, le foot n’était pas mon sport principal : j’ai fait du tennis et des sports de combat, du taekwondo notamment. Mais quand l’OM a remporté la Ligue des champions, en 1993, c’est ce qui m’a fait aimer cette équipe. J’avais de la famille qui habitait à Marseille, et je suis allé plusieurs fois au Vélodrome ! J’avais déjà une histoire avec la ville : j’avais fait les classes de mon service militaire à Carpiagne, même si je suis né à Paris.

Grégoire Potton : J’ai fait 10 ans de foot en section sportive ; c’est là que j’ai attrapé le virus. Ma famille est originaire de Saint-Étienne et a vécu la grande époque des Verts. C’est un peu par rébellion que je me suis mis à supporter Marseille ! J’ai quelques souvenirs aussi de 1993, même si j’étais très jeune. À l’époque, les seuls joueurs que je connaissais étaient ceux de l’OM. À 18 ans, je me suis interrogé : « Est-ce que tu continues dans le sport ou est-ce que tu fais des études ? », tout en sachant que les deux sont rarement compatibles. J’avais une chance sur 100 de passer en pro, et encore, alors je n’ai pas persévéré. J’ai fait du droit avant d’arriver à Paris, où je me suis investi en politique. Je suis passé en cabinet ministériel, ensuite il y a eu la campagne En marche !… Puis j’ai eu envie de sortir de ce milieu-là dont j’avais fait le tour, et je suis revenu à ma première passion. Le projet ambitieux du Red Star est arrivé à ce moment-là, et donc j’ai sauté sur l’occasion.

Vos clubs ont tous deux une très longue histoire, avec un ancrage territorial fort. Cela a-t-il compté pour vous dans le fait d’accepter les responsabilités qui sont les vôtres ?

G. P. : C’est vrai que l’histoire du club m’a beaucoup attiré. Tout comme l’OM par sa ferveur populaire, le Red Star est vraiment à part. Il a été fondé en 1897 : au début, il y avait le foot, mais il y avait une section littéraire, aussi ! Il y a toujours eu cette dimension culturelle et sociale quand le club remportait les titres de vainqueur de la Coupe de France, dans les années 1920, et quand il faisait du yo-yo entre la première division, la deuxième division et le football amateur. Avant d’arriver au Red Star, je ne savais même pas que c’était Jules Rimet, le créateur de la Coupe du monde, qui l’avait fondé ! Et puis il y a cette dimension de pionnier du football que partagent les deux clubs : rares sont ceux fondés avant 1900. Il y a des clubs comme Bordeaux, qui a vu le jour en 1881, mais qui n’avait pas de section foot…

En un siècle, le football a beaucoup évolué. On est de plus en plus dans une logique de rentabilité. Un club de foot, c’est devenu une entreprise comme une autre ?

J-H. E. : Si on veut investir aujourd’hui en France dans le foot pour générer des rendements faramineux, il vaut mieux trouver un autre secteur ! Je pense que le football se professionnalise et est en plein développement. Toutefois, on parle beaucoup trop d’argent dans ce sport aujourd’hui : il est à l’image de notre économie mondialisée. C’est un domaine où les inégalités se creusent, entre une dizaine de clubs phares au niveau européen qui affichent des budgets supérieurs à 400 millions d’euros par an, et les autres. Nous, en tant qu’Olympique de Marseille, on donne peut-être l’impression d’être un mammouth. Mais avec 150 millions d’euros de budget, je suis tout petit, à l’échelle d’un FC Barcelone, d’un Manchester United, d’un Real Madrid, qui vont tous bientôt atteindre le milliard d’euros de budget annuel ! Il faut souligner que le foot est à la croisée des chemins. Il porte en lui un nombre de risques systémiques très forts, y compris celui de perdre son attrait populaire, ses racines populaires. Il faut être très vigilant, parce que c’est quelque chose qui peut arriver dans les cinq années qui viennent.

Lorsque Frank McCourt arrive avec son « OM Champions Project » et d’importants investissements derrière, est-ce qu’il ne participe pas à transformer l’OM en l’un de ces gros poissons dont vous parliez ?

J-H. E. : Frank McCourt est un entrepreneur qui a investi son argent personnel : il n’est pas un État souverain. À l’heure actuelle, le club n’a pas un euro de dette ! On a une ambition sportive évidente : celle de gagner, de concurrencer, avec nos moyens, le Paris Saint-Germain. Face à nous, il y a un club avec un budget de 700 millions d’euros ! Comment être David contre ce Goliath-là ? C’est très difficile, mais on le fait en se disant qu’on ne va pas lutter uniquement avec le carnet de chèques. On préfère relancer la formation, et garder un club avec un ancrage extrêmement populaire, parce que notre base de supporters est notre atout numéro un. Jürgen Klopp, l’entraîneur de Liverpool, a eu un mot que j’ai aimé : « On ne fait pas partie des meilleures équipes du monde, mais on doit être capable de battre parfois les meilleures équipes du monde. »

Jacques-Henri Eyraud, interviewé par Émile (crédit : Manuel Braun)

G. P. : Même si le PSG tire le football français vers le haut dans ce système-là, nous sommes l’une des seules capitales européennes à ne pas avoir plusieurs clubs en première division. Nous, on ne se positionne pas contre le PSG. On pense qu’il apporte énormément à la région parisienne et à la visibilité du football français. Notre vision, c’est des moyens plus modestes pour une approche différente du football. Notre directeur artistique, David Bellion, un ancien joueur de Manchester United, dit souvent que « le PSG est un blockbuster et nous, un film d’auteur ». Et ce n’est pas l’un contre l’autre : on peut aller voir les deux !

J-H. E. : Vous avez un directeur artistique ? C’est intéressant, ça ! Quel est son rôle ?

G. P. : Il est directeur artistique et brand manager, il veille à l’évolution de l’image du club, au changement progressif des populations qu’on a dans le stade. On ne veut pas être le club d’une seule population. Les supporters, ce n’est pas un tout, c’est une somme de petits groupes. Nous, on a des ouvriers, des professeurs, des gens qui aiment le foot à l’ancienne, des romantiques du football, quoi ! Mais on a aussi une nouvelle population qui se développe à Paris, qui est un peu hipster, qui vient quasiment par militantisme au stade, alors qu’on voit du plus beau jeu au Parc des Princes, clairement. Mais c’est du football différent, avec une ferveur différente et des valeurs ancrées dans le partage et le respect. Aujourd’hui – et je pense que ce n’est pas le cas dans beaucoup de clubs – une partie des supporters du Red Star est quasiment féministe ! Pas de racisme ni d’homophobie non plus. Il n’y a pas d’« arbitre enculé » qui part des tribunes, et la place qui est faite aux femmes au stade est plus importante que dans beaucoup de clubs. C’est intéressant d’arriver à garder ça, sans assister à ce qui se passe dans de nombreux clubs anglais où il n’y a plus d’ambiance parce que ce ne sont plus que des familles qui viennent.

Autre question centrale, celle du stade. Dans vos clubs respectifs, vous avez des problématiques différentes, mais on sent que vos projets se cristallisent là-dessus…

Le Stade Vélodrome à Marseille.

J-H. E. : Oui, pour nous, la question est importante, parce qu’on était locataire de ce qui est quand même le plus gros stade de football professionnel en France : 67 000 places ! On a eu une négociation serrée avec la mairie de Marseille, et nous allons ainsi devenir l’opérateur exclusif du Vélodrome avant la fin de l’année. Nous n’en sommes pas propriétaires, parce que ce n’était pas nécessaire de l’être. Ce qui comptait, c’était vraiment la prise de contrôle de l’exploitation du stade. De quoi nous permettre de réinvestir encore plus dans l’expérience offerte à nos visiteurs, dans la sonorisation, les effets lumière, les zones d’hospitalité... Mais on gardera les deux virages du stade, où sont les supporters les plus fervents, parce que c’est aussi essentiel dans l’expérience.

Le Stade Bauer, installé à Saint-Ouen.

G. P. : Nous, c’est très différent ! En 30 ans, aucune solution n’a été trouvée pour notre stade Bauer, qui est en plein centre-ville de Saint-Ouen, installé à l’anglaise. Il a subi beaucoup de dégradations, notamment lors des tempêtes de 1999. On a réussi à mettre autour de la table tous les acteurs politiques, et on y a associé le principal groupe de supporters pour chercher une solution à long terme. Et on a trouvé un modèle économique viable, qui est un peu sur le modèle du stade de Neuchâtel. On n’a pas la place de faire un stade de 60 000 places. Notre vocation, c’est un stade entre 12 000 et 20 000 places, bondé, qui s’appuie sur des activités ayant du sens, avec de l’entertainment, du e-sport, peut-être même de l’hôtel, de la restauration, des salles de sport, et de la culture, évidemment. On a inscrit ce projet dans la deuxième vague du concours « Inventons la métropole du Grand Paris ». Du coup, on a un cadre juridique, un calendrier à respecter.

C’est là une expression positive de la dynamique du Grand Paris...

G. P. : Absolument ! Ça nous permet d’avoir un projet à Bauer, pérenne et qui aboutisse, quels que soient les résultats sportifs du club. En mai 2019, on saura qui a remporté le projet, pour une livraison prévue en 2022 ou 2023, avant les Jeux Olympiques. La difficulté, c’est de gérer cette période transitoire. Les supporters avaient salué le projet dans un premier temps, mais ils doivent maintenant accepter d’aller nous soutenir à Beauvais, où nos matchs sont temporairement délocalisés. C’est difficile pour eux, donc ils sont un peu revenus sur leurs prises de position. Mais bon, il faut en passer par là.

Quelles sont les relations entre les clubs de Ligue 1 et de Ligue 2 ? On peut parfois se dire qu’il s’agit de deux mondes qui ne communiquent que très peu...

J-H. E. : Le football professionnel en France, c’est une association Loi 1901 qui gère près d’un milliard d’euros et dont la prise de décisions est tout sauf fluide. Évidemment, il manque encore aujourd’hui un consensus entre les clubs de Ligue 2 et de Ligue 1 : il y a parfois un peu de jalousie, un peu de ressentiment, beaucoup d’égo aussi autour de la table. Il faut trouver le bon équilibre entre les locomotives comme le PSG, nous et quelques autres, qui portons quand même un peu l’image du foot français, et puis les autres clubs qui ont un rôle éminent à jouer. En plus, ce n’est pas le plus gros qui gagne tout le temps : c’est le charme de ce sport, je trouve. Vous pouvez jouer contre un club comme Guingamp, par exemple, qui peut nous mettre en grande difficulté… Et c’est comme ça toutes les semaines ! La victoire n’est jamais assurée. Chaque match est une remise en question.

Grégoire Potton, interviewé par Émile (crédit : Manuel Braun)

On dit souvent que le foot, chez les dirigeants de club, prend tout d’un coup une importance primordiale dans leur vie, comme une passion qui les emporterait. Vous le ressentez comme cela ?

G. P. : Je le ressens beaucoup. Au sein des équipes, l’impact d’une défaite ou d’une victoire sur les semaines qui suivent est palpable. J’essaie de m’en détacher le plus possible, parce que je pense vraiment que la réussite du club passera par des projets de très long terme. Dans notre quotidien, le foot pur prend 20 à 30 % de notre temps. Prenons l’exemple du centre de formation : nous faisons aujourd’hui partie de la catégorie des clubs professionnels qui n’en ont pas. C’est une mauvaise situation, parce qu’en Ligue 2, notre rôle est de dénicher des pépites, mais on n’a pas les moyens de les garder après. On est pourtant assis sur la Seine-Saint-Denis qui est sans doute la Silicon Valley du football, pour reprendre l’expression de mon président, Patrice Haddad, dont est issue une forte proportion des joueurs professionnels en France.

J-H. E. : Il faut être vigilant dans le recrutement de l’équipe dirigeante d’un club. Si on s’entoure de supporters de l’OM, si on ne recrute qu’à Marseille et dans la région, vous allez avoir des comportements de gens qui mettent leur amour pour le club avant toute prise de décision rationnelle. Quand on est arrivés et que l’on a connu quelques petites défaites douloureuses, j’ai été frappé de voir à quel point, pendant une semaine, tout le monde était à l’enterrement. C’est une spécificité en termes de management. Ça me rappelle certaines entreprises qui ont trop le nez sur leur cours de bourse et ne voient pas plus loin que le trimestre prochain. Il faut se détacher de ça. Nous aussi, on a des projets à long terme, à cinq ans, ce qui est de la science-fiction pour un club de foot…

G. P. : Quand j’ai participé à la campagne présidentielle d’Emmanuel Macron, on a eu un moment où les sondages ont baissé en une semaine et il s’est passé exactement la même chose. C’est vraiment un parallèle que j’ai pu faire en arrivant au Red Star. L’année dernière, on est montés, mais on a eu une phase très compliquée de quatre-cinq matchs d’affilée avec des résultats mitigés, et on sentait vraiment l’impact en termes de management sur les équipes. Il y a une part de démotivation, des tensions entre les uns et les autres. C’est exactement ce qui s’était passé lors de la campagne électorale : c’est alors plus difficile de se projeter sur la durée.

Grégoire Potton et Jacques-Henri Eyraud, interviewés par Émile (crédit : Manuel Braun)

On voit qu’un club est une entreprise avec des spécificités, mais c’est également une entreprise qui va au-delà du football. L’aspect social est-il central dans votre projet ?

J-H. E. : Absolument. À Marseille, on a parfois l’habitude de dire qu’il y a la Bonne Mère et l’OM ! Les clubs de foot ont une responsabilité sociale évidente. On a par exemple mis en place un centre de formation qui a 100 % de réussite au bac, avec parfois quelques divines surprises, des mentions, y compris au bac scientifique. D’ailleurs, à côtoyer de grands champions, je m’aperçois tous les jours qu’un très bon joueur de football, c’est quelqu’un avec un cerveau qui va très vite. Il a une intelligence peut-être moins académique, mais qui est une vraie intelligence.

G. P. : Depuis 2008, on a réactivé une structure qui s’appelle le Red Star Lab et qui vise à émanciper par la culture tous nos jeunes licenciés. On propose des activités très diverses : du cirque, des ateliers de photographie, de la danse, de l’ingénierie pour le son, du dessin… Plus ils grandissent, plus on part sur des choses qui rentrent dans une démarche d’insertion professionnelle. On essaie toujours de garder un lien avec le football. C’est un projet qui a été primé, plusieurs fois, par différentes structures et, l’année dernière, par la Fédération française de football.

Avez-vous le sentiment que les pouvoirs publics ont conscience de cette capacité des clubs à être des vecteurs importants en termes d’éducation et de formation ?

J-H. E. : Non, je ne pense pas du tout. Le sport à l’école demeure en France le parent pauvre. On ne s’y intéresse que lorsque l’on gagne la Coupe du monde ou que l’on connaît des performances extraordinaires. C’est dommage, parce que je pense que ça fait pleinement partie de notre rôle et qu’on est même légitimes à être très actifs dans ce champ d’action.

G. P. : Complètement d’accord ! ●


Le fondateur du Red Star et de la Coupe du Monde se raconte…

Jules Rimet avait tenu un journal durant les premiers mondiaux de football. Une époque où le trajet en bateau de l’équipe de France vers l’Uruguay représentait une aventure aussi exaltante que celle qui les attendait sur la pelouse... Grâce à cette édition annotée par son petit-fils Yves et le journaliste Renaud Leblond (promo 86), découvrez un Jules Rimet amoureux des belles lettres, qui a créé au sein du Red Star une section littéraire, pour que la jeunesse ouvrière puisse accéder à une certaine culture après les matchs.

Jules Rimet, le père du mondial, de Renaud Leblond et Yves Rimet, Librinova (2018).


Le prix Jules Rimet, édition 2018

Pour rendre hommage au fondateur du Red Star et de la Coupe du monde de football, Renaud Leblond (promo 86) a créé le prix littéraire Jules Rimet, qui récompense une œuvre liée au sport. Pour sa septième édition, le prix Jules Rimet a été décerné cette année à Jean Hatzfeld, pour son roman Deux mètres dix, l’histoire de quatre sportifs de très haut niveau, entre les Jeux olympiques de 1980 et aujourd’hui.

Deux mètres dix, de Jean Hatzfeld, Gallimard (2018).