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Analyse - Une Italie incertaine à la veille du vote

Le 4 mars prochain, les électeurs italiens sont appelés à choisir leurs députés et leurs sénateurs. Ce scrutin est caractérisé par une immense incertitude. Marc Lazar, directeur du Centre d'Histoire de Sciences Po et auteur de L'Italie à l'épreuve des élections, nous livre son analyse de la situation.

La Chambre des députés italienne (CC/Flickr)

Incertitude du fait du climat politique et social

Toutes les enquêtes d’opinion enregistrent la persistance de la profonde défiance des Italiens envers les responsables politiques et toutes les élites, alors même que la croissance repart, tout en restant la plus faible de la zone euro, et que des emplois ont été créés. En effet, les inégalités de toute nature demeurent et la pauvreté s’est accrue. Par ailleurs, l’immigration régulière, qui se monte dorénavant à plus de 5 millions, soit quatre fois plus qu’en 2001, la masse des clandestins et l’afflux des migrants ont provoqué des réactions de rejet voire de xénophobie et de racisme entretenues par des partis de droite. Enfin, l’opinion italienne, historiquement si europhile, a basculé dans un fort euroscepticisme. L’Union européenne est considérée comme responsable des politiques d’austérité, dénoncée pour son manque de démocratie et accusée d’avoir abandonné Rome dans la gestion des flux migratoire.

Incertitude liée à l'organisation des élections

Les électeurs vont expérimenter une nouvelle loi électorale qui, pour simplifier, prévoit que 36% des députés et des sénateurs seront élus au scrutin uninominal majoritaire à un tour et le reste à la proportionnelle. Le vote pour un candidat entraîne automatiquement un suffrage au parti ou à la coalition de partis qui le soutient, et vice-versa. Pour bénéficier de la répartition des sièges, un parti qui se présente seul doit avoir obtenu 3% des voix et une coalition de partis 10%. Ce mode de scrutin, pas facile à maîtriser par les citoyens, tend à favoriser la constitution de coalitions, fussent-elles fort hétérogènes.

C’est là que surgit une autre incertitude découlant du dispositif des partis qui s’organise en trois pôles et demi. Le centre-droit regroupe Forza Italia de Silvio Berlusconi, lui-même inéligible mais qui a toujours la main sur son parti, la Ligue Nord de Matteo Salvini, les Frères d’Italie, une formation d’extrême droite, et un petit regroupement centriste. Les derniers sondages disponibles attribuaient autour de 35% des suffrages à cette coalition qui penche fortement vers une droite dure, notamment sur les questions de l’immigration, et qui est divisée sur des sujets fondamentaux, à commencer par celui de l’Union européenne entre souverainistes résolus (la Ligue Nord et Fratelli d’Italia) et des pro-européens au sein du parti berlusconien. Le Mouvement 5 étoiles arrive en tête des intentions de vote (27-29%) et son jeune leader Luigi Di Maio s’efforce de transformer ce mouvement populiste en une force de propositions supposées crédibles, prête à gouverner et à nouer des alliances pour rompre son isolement actuel. Le Parti démocrate de Matteo Renzi et ses alliés, tous pro-européens, sont en perte de vitesse (ils sont crédités en tout de 25 à 26 % des intentions de vote) à la fois parce que la popularité de l’ancien président du Conseil est fortement érodée et parce que les Italiens entendent sanctionner une législature de centre gauche. Enfin, il reste Libres et Egaux, un petit regroupement de la gauche de la gauche (il aurait 5 à 7% des voix), lui aussi divisé sur l’Europe et l’euro comme sur la question des alliances avec le PD ou le Mouvement 5 étoiles, son seul ciment étant l’hostilité à Matteo Renzi.

Incertitude face à l'issue des élections

L’ultime incertitude tient à l’issue de ces élections. D’abord parce que le pourcentage d’indécis demeure élevé et que nombre d’Italiens sont manifestement tentés par l’abstention. Ensuite et surtout, parce que pour le moment, il semble qu’aucune coalition ou aucun parti ne soit en mesure de conquérir la majorité des sièges dans les deux Chambres, ce qui suppose d’obtenir plus de 40% des suffrages. Si cela se confirmait, l’Italie rentrerait dans une période d’instabilité parlementaire qui rendrait difficile la formation d’un gouvernement.

Certes, la démocratie parlementaire italienne a toujours su trouver des solutions dans les situations qui semblaient en apparence inextricables. Mais à quel prix politique ? Durant cette campagne, les problèmes de fond sur le devenir du pays n’ont pas été frontalement abordés par les partis et leurs leaders. Notamment, celui du rapport de l’Italie à l’Union européenne. Le gouvernement qui sera formé contribuera-t-il à la relance de l’Union européenne qu’entend promouvoir le président Macron ? Ou bien le nouvel exécutif préférera-t-il s’éloigner de l’Union européenne en adoptant une posture plutôt semblable à celle du groupe de Visegrad ?

En ce sens, et comme cela est désormais le cas dans chacun des membres de l’UE, le vote en Italie n’intéresse pas que les Italiens mais bien tous les Européens.