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Economie sociale et solidaire : emplois et perspectives

L’économie sociale et solidaire, plus communément appelée ESS, compte, en France, près de 2,4 millions de salariés, et représente ainsi plus d’un emploi privé sur huit. Ce monde, composé essentiellement d’associations, de coopératives ou encore de mutuelles, tend à se professionnaliser de plus en plus, au point de faire face à un besoin criant de recrutements. Pourtant, malgré son dynamisme, l’ESS peine à attirer les candidatures. Afin de faire découvrir ce secteur aux jeunes diplômés, Sciences Po Alumni a réuni les meilleurs experts lors d’une conférence. L’occasion d’aborder les questions suivantes : quelles perspectives offre l’ESS, pour quels types de postes ? Surtout, quelles rémunérations en attendre ?

« Nous avons diffusé, en 2016, pas moins de 1456 offres d’emplois. Elles concernaient une cinquantaine d’activités différentes, de la formation, au design web, en passant par l’action sanitaire et sociale ou la restauration. » Jérôme Bouron (promo 2003), directeur des ressources humaines du groupe SOS,  première entreprise sociale européenne, n’a eu de cesse, comme les autres intervenants, de le rappeler, ce vendredi 24 novembre : l’ESS recrute !

« Le secteur est injustement méconnu au regard de son impact en termes d’emplois, » a souligné Christine Damiguet (promo 1974), présidente du groupe ESS de Sciences Po Alumni, rassemblant quelque 2 300 anciens de la rue Saint-Guillaume. « Au cours des trois dernières années, l’économie sociale et solidaire a même créé trois fois plus de postes que les autres secteurs, plus traditionnels, » a-t-elle relevé.

De gauche à droite : Pierre-Olivier Ruchenstein, Sébastien Darrigrand, Frédérique Pfrunder, Olivier Jay, Françoise Fagois, Jérôme Saddier, Jérôme Bouron (crédit : CB/Émile magazine)

Des besoins sur tous les fronts

Un secteur dynamique donc, mais pour quelles opportunités, quels types de métiers ? « Avec une croissance de 5% en termes de créations d’emplois depuis 2008, l’ESS constitue l’un des fers de lance de l’économie de services », a précisé Sébastien Darrigrand, directeur général de l’Union des employeurs de l’ESS (UDES). Le domaine, comme beaucoup, est en recherche active de talents digitaux afin de répondre, entre autres, aux nouveaux défis de la domotique.

Plus globalement, au cours de ce débat animé par Olivier Jay (promo 1979), partner chez le spécialiste de la communication stratégique et financière Brunswick et ex-directeur de la rédaction du Journal du Dimanche, les intervenants ont insisté sur les besoins de l'ESS en matière de compétences transversales. « Les entreprises de l’ESS font appel à des fonctions que l’on retrouve assez aisément au sein des secteurs privés dits traditionnels : marketing, direction générale ou fonctions supports classiques telles la communication ou les ressources humaines, » a exposé Pierre-Olivier Ruchenstain (promo 2009), délégué général de l’Union des mutuelles de santé (Ugem). « La multitude des activités couvertes par l’ESS reflète sa diversité économique au sens large. En d’autres termes, quelle que soit votre formation, quel que soit votre métier d’origine, vous pouvez trouver un poste vous correspondant au sein d’une entreprise de l’économie sociale, » a ainsi résumé Jérôme Bouron. «  Il est important de comprendre que l’ESS n’est pas constitutif, en soi d’un secteur: elle regroupe une très grande diversité d’entreprises, des plus grands groupes bancaires ou d’assurances jusqu’aux associations de quartier, » a ajouté, de son côté, Jérôme Saddier, directeur général de la Mutuelle Nationale Territoriale (MNT) et également vice-président du Crédit Coopératif. « Travailler pour une entreprise relevant de l’ESS suppose d’avoir conscience de choisir d’évoluer professionnellement au sein d’une structure fonctionnant différemment des entreprises de l’économie « classique » ou plutôt capitalistique : la gouvernance y étant plus participative, elle peut être plus lente ou plus complexe ; en revanche, les parcours professionnels s’y envisagent aujourd’hui plus dans la durée qu’ailleurs», a-t-il poursuivi.

À la recherche de salariés engagés

Une entité aux règles d’organisation singulières donc, supposant parallèlement un état d’esprit adéquat. « Évoluer au sein d’une entreprise de l’économie sociale et solidaire ne constitue en rien un choix anodin, » a tenu à préciser Frédérique Pfrunder (promo 1993), déléguée générale du Mouvement associatif, porte-voix des quelques 600 000 associations qu’il rassemble. « Pour un cadre, cela suppose d’adhérer au projet de l’organisation, » a-t-elle poursuivi. « Cela ne veut pas dire être un militant investi. Mais il est compliqué de travailler, par exemple, pour une association, en se limitant au strict exercice de ses missions, sans partager les valeurs de l’organisation. » Pour Françoise Fagois, directrice de l’Urscop IDF (Union régionale des sociétés coopératives d’Île-de-France), il est certain que « la direction des affaires financières d’une coopérative n’a ni les mêmes objectifs ni les mêmes valeurs que celles des grands groupes. »

Des employés plus diplômés que la moyenne

Les professionnels de l’ESS seraient ainsi plus engagés que la moyenne. Et là n’est pas leur seule caractéristique : ils seraient également relativement plus diplômés. « Contrairement aux idées reçues, les contrats aidés ne représentent qu’une part minime des emplois de l’économie sociale, » a exposé Frédérique Pfrunder.  84% des salariés du domaine sont ainsi au moins titulaires d’un bac +3, contre 81% de leurs homologues de l’économie traditionnelle, selon une étude de l’Association pour l’emploi des cadres (Apec), intitulée « les cadres de l’économie sociale et solidaire » et présentée à l’occasion de la table ronde. Forte de quelque 221 000 organisations employeuses, l’ESS compte, à elle seule, pour pas moins de 12,8% du travail privé en France.

Quels atouts pour l’ESS ?

Pour l’heure cependant, associations, mutuelles ou autres coopératives peinent à attirer les meilleurs talents. « L’économie traditionnelle reçoit, en moyenne, 36 candidatures pour un seul poste, contre 19 pour l’économie sociale et solidaire, » a déploré Marie-Josée Battle (promo 1987), responsable du développement des activités institutionnelles et partenariales à l’Apec. Et ce alors que, contrairement à ce que beaucoup peuvent penser, les rémunérations de l’ESS, même si elles restent généralement inférieures à celles du secteur privé, sont pour autant loin d’être ridicules : en 2016, le salaire annuel brut des cadres de l’ESS culminait en moyenne à plus de 48 000 euros, contre 55 000 pour l’ensemble des cadres du privé. « Par contre, il existe une différence notable dans l’économie sociale et solidaire : il y a très peu de parts variables dans la structure de rémunération, » a reconnu Jérôme Bouron du groupe SOS.

Une observation confirmée par les chiffres de l’Apec : seuls 29% des cadres de l’ESS étaient, en 2016, concernés par une part variable court-terme, contre 50% de ceux du secteur privé. « En revanche, nous respectons strictement l’égalité professionnelle, y compris salariale, entre hommes et femmes, » a insisté Jérôme Bouron. Un engagement reflétant une tendance, plus large, de l’économie sociale et solidaire : « soulignons que, au sein des entreprises de l’ESS, 51% des femmes ont le statut de cadre. Ce taux n’est que de 37% dans celles de l’économie traditionnelle, » a pointé Marie-Josée Battle.

Des clichés obstacles au recrutement de talents

Des entreprises aux avantages certains donc, qui plus est en pleine expansion et en recherche de talents, mais souffrant encore pour beaucoup, d’après ces experts, de nombreux stéréotypes. « Subsiste toujours l’idée selon laquelle il y a un manque de méthodologie ou de rigueur professionnelles dans les associations. Or, on y trouve bien sûr de la compétence professionnelle, mais on y développe aussi des compétences spécifiques liées au mode particulier d’organisation et de gouvernance, » regrette Frédérique Pfrunder du Mouvement associatif. « Le management existe bel et bien au sein du monde de l’économie sociale et solidaire, » a ajouté Françoise Fagois de l’Urscop IDF. « On peut même licencier », a-t-elle ironisé, avant de convenir que « les entreprises, dites de l’ESS, se caractérisent généralement par un management plus participatif : les dirigeants s’adressent différemment à leurs équipes car ils sont entre pairs. Dans une coopérative notamment, les salariés sont associés. »

Cette atmosphère professionnelle singulière n’est pas sans impact, à en croire les chiffres de l’Apec, sur le rapport des salariés de l’économie sociale au travail. 31% des cadres de l’ESS considèrent ainsi leurs missions comme étant des réalisations d’eux-mêmes. « Ce taux ne dépasse pas 25% dans les autres pans de l’économie», a assuré Marie-Josée Battle. Par ailleurs, 53% des cadres de l’ESS ont une responsabilité hiérarchique, contre à peine 41% de leurs homologues du privé.

L’ESS, un levier de carrière ?

Des aspects qui devraient résonner aux oreilles des jeunes générations, dont d’innombrables études tendent à montrer qu’elles cherchent, bien plus que leurs aînées, à allier quête de sens et activité professionnelle. Et ces experts de contrecarrer les arguments de ceux qui, jouant les cassandres, insistent sur un supposé isolement de l’ESS par rapport au reste du monde socioéconomique. « Nous n’évoluons pas au sein d’un univers à part, » a pointé Jérôme Bouron du groupe SOS. « Les allers-retours avec le privé plus traditionnel sont tout à fait envisageables : la preuve, l’une des directrices financières du groupe SOS vient du secteur de la chimie, une autre d’un grand cabinet d’avocats ! » Et Pierre-Olivier Ruchenstain de conclure : « Pour les jeunes diplômés, intégrer une entreprise de l’économie sociale et solidaire peut représenter un booster de carrière. À poste égal, ils auront certainement plus de responsabilités que dans le privé. »