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Paolo Modugno : "L'Italie entre réellement dans une nouvelle ère"

L’Italie a vu naître, vendredi dernier, un nouveau gouvernement de coalition populiste, après près de trois mois de tractations. Le Mouvement 5 Etoiles (M5S) et La Ligue vont désormais se partager le pouvoir chez nos voisins transalpins. Paolo Modugno, enseignant à Sciences Po Paris, expert de la politique italienne, décrypte la situation en Italie. 

Propos recueillis par Jérémy Leduc

Le Parlement italien, mars 2017 - CC Camera dei deputati

La formation de ce gouvernement était-elle une sortie de crise surprise, ou était-ce l’aboutissement logique de toutes les discussions ?

On a vécu en effet une période très compliquée. Ce fut la plus longue période de l’histoire de la république italienne, avec 98 jours passés entre les élections et les accords pour la formation du gouvernement. Un accouchement compliqué, mais néanmoins positif dans la mesure où il est préférable d’avoir un gouvernement politique qu’un gouvernement technique. En effet, il vaut mieux en cas de situation critique, comme une crise financière, avoir un gouvernement avec une majorité au Parlement qui puisse prendre des mesures, plutôt qu’un gouvernement technique qui, de toute façon, était quasi certain de n’avoir aucune voix durant le vote de confiance.

C’est le premier gouvernement populiste en Italie depuis la chute du fascisme, peut-on parler d’un vrai tournant dans la vie politique italienne ?

Tout à fait, on entre réellement dans une nouvelle ère. C’est un gouvernement populiste, mais qui comprend deux types de populismes différents. La Ligue, qui représente l’extrême-droite, ainsi qu’un autre type de populisme plus difficile à classer, plus antisystème et qui a en son sein une composante de gauche. C’est la première fois en Europe occidentale que deux populismes différents s’allient et accèdent au gouvernement. C’est donc une situation inédite, et je pense que ce gouvernement a plusieurs faiblesses, et qu’il y aura de nombreux risques auquel il devra faire face…

Quelles sont ces faiblesses ?

Les faiblesses sont nombreuses. Ils ont négocié un accord, un pacte de gouvernement qui contient des mesures difficiles à mettre en œuvre. D’un côté nous avons la mesure phare du M5S (Mouvement cinq étoiles) qui souhaite introduire un revenu universel, ce qui signifie une hausse des dépenses. Et de l’autre, La Ligue souhaite une réduction sensible des impôts avec l’introduction d’une flat tax (impôt à taux unique, ndlr). Les deux partis populistes se sont aussi mis d’accord pour revoir la réforme des retraites, mise en place en 2011 pour faire face aux très graves problèmes financiers de l’époque. Avec ces promesses, les deux partis ont pris des risques politiques très importants : si elles ne sont pas tenues, les déceptions seront au rendez-vous.

De plus, l’Italie est insérée dans un système de relations internationales et d’adhésion à la construction européenne qui est inscrit dans sa constitution (article 117), cela signifie que si ces promesses aboutissent, il pourrait y avoir des risques sur la tenue financière du pays et une remise en question de l’appartenance de l’Italie à l’Union Européenne, et même à l’Euro. 

Selon vous une vraie coopération est-elle possible entre ces deux partis ou l’un risque de prendre l’ascendant sur l’autre ?

Le M5S a remporté davantage de voix (32%) que La Ligue (17%), mais cette dernière a plus d’expérience, y compris du pouvoir, après avoir été trois fois dans les gouvernements de Silvio Berlusconi depuis 1994. Le parti de Matteo Salvini gouverne également de nombreuses collectivités locales, dispose d’un leader plus efficace et plus expérimenté que celui du M5S. On peut donc supposer que La Ligue prenne le pas, et soit dominant dans cette coalition.

Au vu du score du parti de Matteo Salvini, fraîchement nommé ministre de l’Intérieur, peut-on dire que ce résultat est la conséquence directe de la politique d’immigration de l’Europe qui n’a pas su soulager l’Italie ?

À cause de la situation géopolitique de l’Italie, l’immigration est un enjeu fondamental. La Ligue a surfé sur cette tendance et a réalisé un superbe score, le multipliant par quatre par rapport aux précédentes élections. Les idées du parti ont même pénétré des territoires où elles n’étaient jamais présentes auparavant, dans le sud notamment, en réalisant des scores inédits de 8% à 12%. Elles se sont renforcées dans le centre et surtout dans le nord, où se trouvent ses bastions traditionnels, avec des scores de 40%. Les causes majeures d’un tel score sont l’immigration, d’une part, et la promesse de la baisse des impôts, en particulier dans le nord. L’Europe a certes sa part de responsabilité dans la gestion de ce dossier, mais la question que je me pose désormais c’est de savoir comment Matteo Salvini va convaincre Viktor Orban, par exemple, de recevoir les immigrés que la Hongrie refuse d’accueillir en n’obtempérant pas au pacte européen. Le problème des populistes en Europe est qu’ils peuvent faire des alliances entre eux, mais deviennent « ennemis » dès que des dossiers concrets, comme l’immigration, sont abordés. Ils s’allient mais sont en réalité en rivalité.

Quelle sera selon vous la réaction de l’Union Européenne face aux nouvelles politiques du gouvernement italien vis à vis des migrants ?

Il y aura ce mardi une réunion importante à Bruxelles, à laquelle ne pourra pas se rendre le nouveau ministre à cause du vote de confiance en Italie. On rentre dans une phase de négociation entre le nouveau gouvernement et les autorités européennes. L’Union Européenne devra essayer de composer avec ces nouveaux dirigeants. Les alliances des différents partis populistes pourront bloquer les tentatives de réforme des politiques européennes en matière d’immigration (système dit de Dublin III). Même si les différentes demandes de ces partis peuvent se révéler diamétralement opposées, leur jonction peut avoir un effet de blocage.