Jean Garrigues : "Le Président est devenu un produit de consommation comme un autre"
Les récents sondages placent Emmanuel Macron au plus bas de sa forme politique, atteignant un niveau de seulement 29% de satisfaction fin septembre (Ifop/JDD). Le président de la République ne semble pas échapper à l’éternelle malédiction de l’impopularité sous la Cinquième République, qui n'a fait que s'accentuer au cours des précédents mandats. Jean Guarrigues, historien et professeur d’histoire politique, décode ce phénomène.
La soudaine chute de popularité d'Emmanuel Macron est-elle contextuelle ou s’inscrit-elle dans une tendance plus globale ?
Ce phénomène tend à devenir récurrent dans la Cinquième République. Après une phase d’état de grâce, les présidents de la République connaissent des chutes de la popularité assez spectaculaires, parfois déclenchées par des évènements ou des conjonctures particulières. L’affaire Leonarda sous François Hollande et les dérapages verbaux de Nicolas Sarkozy leur avaient fait perdre beaucoup de crédit. Pour Emmanuel Macron, l’affaire Benalla a joué un rôle d’accélérateur.
Nous sommes en outre dans un système surprésidentialisé où les attentes de la population à l’égard du vainqueur des élections sont démesurées. Au moment où sa politique commence à faire sentir ses effets, elle suscite mécaniquement une vague de défiance et de mécontentements dans toutes les catégories concernées. Nous sommes face à un phénomène structurel qui va au-delà d’Emmanuel Macron et qui questionne le fonctionnement même de notre système politique. Cette surprésidentialisation reflète un paradoxe propre aux Français. Ils ont, d’une part, un besoin d’autorité quasi monarchique - une des forces initiales d’Emmanuel Macron -, mais également une véritable difficulté à accepter les réformes notamment lorsqu’elles requièrent des efforts. Ils souhaitent également que le président fasse preuve de compassion. Jacques Chirac, dont le bilan était par ailleurs relativement faible, excellait dans cette popularité empathique.
Ce capital sympathie a été totalement perdu par Emmanuel Macron à cause de ses erreurs de communication. Lui qui s’était présenté comme le candidat de la bienveillance s’est désormais laissé enfermer dans une image de président élitiste et arrogant. Son impopularité actuelle est donc tributaire de trois paramètres : la politique de rigueur budgétaire menée depuis un an, et qui a suscité l’image du président des riches ; le manque de résultats sur le terrain du chômage et du pouvoir d’achat, qui ont terni l’image d’efficacité qui était la sienne ; et enfin, les erreurs de communication commises à coup de petites phrases provocatrices, qui ont donné l’image d’un président monarque coupé de son peuple. La manière dont l’affaire Benalla a été gérée est révélatrice d’un certain nombre de caractéristiques de la présidence macronienne : une présidence opaque, repliée sur elle-même, tendant à une certaine arrogance. C’est ainsi que s’est ternie l’image positive d’un président qui pouvait être « en même temps » jupitérien et bienveillant.
Ce déclin de la durée de l’"état de grâce" du président dont parlait François Mitterrand serait donc inexorable ?
Dans l’écosystème politique français actuel, la question de l’image et la perception que les Français se font d’une personnalité présidentielle sont des éléments déterminants. Il sera ainsi très difficile pour Emmanuel Macron de remonter la pente. Cela peut passer par un contrôle beaucoup plus strict de sa parole publique, un discours plus empathique et proche du peuple, mais qui est peut-être contraire à son tempérament. À tort ou à raison, il considère que la provocation, le parler vrai, le refus de la démagogie sont indispensables pour faire bouger les lignes et opérer la « révolution » qui est l’objectif de son projet. C’est cependant une vision très intellectuelle de la politique, qui ne tient pas suffisamment compte de la dimension émotionnelle et irrationnelle de l’opinion.
Si les résultats étaient incontestables sur le front de la croissance et de l’emploi, Emmanuel Macron pourrait peut-être supporter le fardeau de l’impopularité, en attendant les jours meilleurs apportés par la croissance. Mais comme il a perdu ce crédit d’efficacité qui lui était attribué au moment de l’état de grâce, le soupçon d’arrogance, soigneusement entretenu par l’opposition, est d’autant plus difficile à gérer. C’est d’autant plus dommage que sur le fond il a remporté depuis un an un certain nombre de succès, que ce soit sur la réforme du code du travail, sur la réforme de la SNCF, sur la politique de l’éducation et aujourd’hui sur les plans pauvreté ou santé, qui sont plutôt bien accueillis. Mais ces résultats probants sont largement annihilés par des erreurs de communication. C’est ainsi que l’annonce du plan pauvreté a été totalement phagocytée et passée sous silence par la petite phrase au chômeur qui aurait dû « traverser la rue ».
Cette impopularité ne toucherait-elle pas également l’ensemble de la classe politique européenne ?
Effectivement. La montée de sentiments populistes synonymes de société fracturée n’est pas une spécificité française. La plupart des gouvernements européens, à commencer par ceux de Angela Merkel ou de Teresa May, sont frappés par cette crise de la défiance démocratique. Confrontés à des degrés divers aux questionnements du chômage de masse ou du ralentissement de la croissance, mais surtout à une crise d’identité culturelle et démocratique qui est une véritable crise de transition civilisationnelle, les peuples européens ont le sentiment que les élites au pouvoir n’ont pas la solution à leurs problèmes. D’où la tentation des solutions démagogiques, qui nous renvoient à une crise de la démocratie similaire à mon sens à celle de l’entre-deux-guerres.
En France, on voit que l’impopularité d’Emmanuel Macron profite surtout aux deux blocs antagonistes des extrêmes, ceux qui portent précisément le message populiste qui prospère toujours dans les moments de crise démocratique. Mais c’est précisément cette fonction protestataire qui limite les capacités de ces forces des extrêmes à incarner une véritable alternative de gouvernement. Le modèle italien de l’alliance gouvernementale entre la Ligue et le Mouvement Cinq Etoiles n’est pas reproductible dans le système présidentiel français.
Malgré son impopularité, Emmanuel Macron a-t-il une chance d’être réélu à l’issue de son premier mandat, à la différence de ses prédécesseurs ?
La grande chance d’Emmanuel Macron est, bien sûr, que les partis traditionnels sont en grande difficulté. La gauche social-démocrate est en miettes, sans unité programmatique et sans leader charismatique. Du côté des Républicains, se posent d’ailleurs les mêmes questions de division idéologique, entre la droite modérée et humaniste d’Alain Juppé, de Valérie Pécresse ou de Xavier Bertrand et l’inflexion populiste du leader potentiel Laurent Wauquiez, dont on voit bien qu’il n’arrive pas à imposer l’unité à ses troupes, contrairement à ses prédécesseurs Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy.
Ceux qui incarnent l’opposition auprès de l’opinion publique sont les représentants des forces protestataires, la France insoumise et le Rassemblement national, mais qui n’ont pas la légitimité de partis de gouvernement. C’est un schéma qui est favorable à Emmanuel Macron dans le cadre d’un système présidentialisé, car il n’existe pas aujourd’hui d’alternance crédible face à lui. La fin, provisoire ou définitive, de l’alternance droite-gauche est un atout-maître dans le jeu du président du « nouveau monde ». Mais le paysage peut évoluer d’ici 2022.
La durée même du mandat a-t-elle un rôle à jouer ?
C’est à double tranchant. On peut considérer que le raccourcissement de la durée du mandat présidentiel a accéléré le tempo de la présidence elle-même. Par exemple, il a été beaucoup reproché à François Hollande de n’avoir véritablement commencé son quinquennat (avec le tournant social-libéral) que deux ans après son élection. Macron s’était quant à lui fixé un impératif de vitesse. Mais ce mandat plus court accélère aussi peut-être les mouvements d’opinion, contraignant la présidence à aller très vite et être dans la réactivité permanente. De fait, presque instinctivement, la tolérance de l’opinion est moindre que quand le tempo était de sept ans.
Est-ce symptomatique d’une époque où tout serait devenu périssable, tel un kleenex qu’on utilise et jette ?
Nous vivons dans une société de l’ultra-rapide, de la frénésie de la décision et de l’évaluation. En témoignent d’ailleurs la multiplicité des sondages qui évaluent presque jour par jour la popularité du président. On note ainsi une sorte d’obsolescence programmée des élus et gouvernants. Le président de la République est devenu un produit de consommation comme un autre. L’électeur est devenu un consommateur. Ces réflexes imprègnent aujourd’hui l’observation politique et le jugement des citoyens sur leurs dirigeants. Les chefs politiques en étant parfaitement conscients, la difficulté est, dès lors, de résister à la pression de l’immédiateté en prenant le risque de l’impopularité. On a considéré que cette dernière avait été fatale aux prédécesseurs d’Emmanuel Macron. La véritable raison de leur échec n’était-elle pas cependant le décalage entre les promesses faites et les résultats de leur politique ? C’est sur cette ligne-là que le chef d’e l’État fonde sa philosophie de la gouvernance. Contrairement aux deux derniers présidents sortants, sa marque de fabrique est précisément de prendre le risque de l’impopularité: il a la conviction que les résultats parleront d’eux-mêmes. Les succès politiques paraissent cependant insuffisants à l’heure actuelle. Aura-t-il raison ? L’Histoire le dira. Il n’a, selon moi, pas intérêt à tenir un compte excessif de cette impopularité.