Émile Magazine

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Au cœur de la crise financière de 2008

La faillite de Lehman Brothers, dans la nuit du 14 au 15 septembre 2008, agit comme un tremblement de terre sur les marchés mondiaux. En déposant le bilan, la banque américaine qui était plombée par les fameux subprimes laisse une dette de 691 milliards de dollars et pas moins de 25 000 employés sur le carreau. La série de catastrophes financières se prolongera dans les mois suivants pour déboucher sur la pire crise économique depuis les années 1930. Dix ans après, Émile a recueilli le témoignage de deux anciens banquiers, qui étaient à l’époque en poste à New York et à Paris. Ils racontent les coulisses de ce séisme financier.

Sébastien Laye

Gérant junior pour un fonds d’investissement au moment de la crise financière, Sébastien Laye (promo 03) travaillait à quelques mètres de Lehman Brothers à New York…

En septembre 2008, j'étais déjà installé depuis près de quatre ans aux États-Unis, à la suite de mes études à HEC et Sciences Po. Après des premières années sur New York plutôt difficiles, j'avais trouvé en 2007 le métier dont je rêvais à cette époque, comme analyste Buy-Side puis gérant junior pour un fonds d'investissement. À dire vrai, sur nos marchés, ceux du crédit et de la dette, la crise avait déjà commencé dès l'été 2007 avec les premières corrections sur le marché des subprimes et faillites. La rentrée 2008 ne fut que l'extension au monde bancaire, puis à toute l'économie, d'un problème d'éclatement de bulles financières. Notre fonds était d'ailleurs plutôt bien positionné pour faire face à cette crise bancaire, même si le phénomène de liquidation massive d'actifs à partir de l'automne ne nous laissa pas indemne, dans la mesure où il était impossible de trouver un secteur faisant office de refuge lors de la panique qui suivit la chute de Lehman Brothers. Nos locaux, près du Rockefeller Center n'étaient guère loin de ceux de Lehman et je garde à l'esprit les bataillons de salariés licenciés, hagards, avec leurs cartons, quittant le vaisseau amiral de Lehman sur Times Square.

Je n'ai pas immédiatement souffert de la crise car notre fonds était bien positionné lors de ce tumulte financier : les performances n'ont jamais souffert, mais ce qui posa problème un peu plus tard, ce fut l'actionnaire principal de ce fonds, une banque espagnole. Décimée par l'immobilier espagnol, ayant reçu de l'aide du régulateur, elle dut sabrer dans ses effectifs et annonça à la mi-2010 la fermeture de notre fonds. Ce fut pour moi un peu plus tard l'opportunité de me réinventer comme entrepreneur. Certains de mes amis new yorkais ont plus pâti de la crise et durent changer de domaine, notamment lorsqu'ils venaient de la banque.

Même si l'économie américaine est repartie dès 2011, je me suis éloigné des métiers de la finance pure pour me concentrer sur l'investissement dans les actifs réels et leurs opérations (immobilier, infrastructures) ; je crois que les excès dans l'innovation financière (produits dérivés, titrisés) ont détourné ma génération des métiers de fonds et de trading...


Jean-Guillaume de Maneville

Diplômé de Sciences Po en 1987, Jean-Guillaume de Maneville était en poste dans une grande banque à Paris lorsque la crise de 2008 éclata…

Au moment de la crise je travaillais dans une salle des marchés d’une grande banque à Paris, en contact permanent avec les places de Londres et de New York. Dès l’été 2007, j’avais remarqué des craquements sur certains actifs dans le crédit puis la faillite de Northern Rock en septembre 2007 et de Bear Stearns en mars 2008 ont mis le feu aux poudres. On sentait presque physiquement que la machine allait dérailler. Je me souviens bien de ce sentiment palpable au cours de l’été, y compris pendant les vacances, que quelque chose de grave allait se passer. Nous épluchions la presse et les nouvelles étaient alarmantes. Tout le monde cherchait à comprendre ce qu’étaient exactement les subprimes américains et pourquoi les investisseurs avaient investi en masse dans ce marché. Les images des déposants faisant la queue à l’automne 2007 pour récupérer leur argent déposé auprès de la banque hypothécaire anglaise m’avaient particulièrement frappées : nous voyons des réminiscences des années 30 avec ces photos de foule en panique. Personnellement j’ai toujours pensé que la crise de 2008 aurait des conséquences aussi fortes et néfastes que celle de 1929 quoique étalées dans le temps.

Le jour qui nous a tous le plus marqué puisqu’il correspond à l’épicentre de la crise, c’est bien sûr la faillite de Lehman Brothers le 15 septembre 2008. Ce jour-là, le sol s’est dérobé sous nos pieds. Nous ne croyions pas forcément qu’une banque de cette taille puisse être lâchée et donc la peur d’un effet domino a commencé à se répandre dans le système financier. Au sein de ma banque tout le monde était traumatisé et essayait de comprendre les conséquences d’une telle faillite dans une ambiance électrique. Les mois suivant la faillite de Lehman nous étions, nous banquiers, en mode survie.

Un dimanche de septembre 2008, où nous nous étions mis au vert dans un club de l’Ouest Parisien, j’avais l’impression que nous vivions nos dernières heures, comme sur le Titanic. Les gens parlaient de la crise et l’inquiétude était palpable, quel que soit le secteur d’activité les membres du club voyaient leurs affaires péricliter. Du jamais vu. Néanmoins le cadre était idyllique, le soleil radieux, et tout le monde revenait d’un cours de tennis ou se préparait à plonger dans la piscine.

Un autre souvenir mémorable a été un dîner en ville où notre hôte qui travaillait à l’Elysée est arrivé au dessert, sa première phrase en arrivant a été : « Samedi dernier nous avons sauvé les banques, aujourd’hui c’était l’automobile ». 

Les mois suivants ont été très durs, la spirale infernale était lancée. Personnellement, je connaissais des anciens de Lehman à Londres (où j’avais travaillé entre 1997 et 2002) qui avaient tout perdu : job, rémunération, épargne investie en actions Lehman. Au-delà de ces cas particuliers, nous devions tous ajuster notre mode de vie et anticiper de fortes baisses de rémunération. On pouvait vraiment se demander si la finance allait s’en relever, si les banques et les marchés financiers allaient encore exister dans le futur. Le monde allait changer et rien ne serait comme avant. Cela s’est révélé vrai ; même si le système financier a été sauvé on peut considérer qu’on ne travaille plus comme avant 2008, il y a plus de garde-fous et les rémunérations variables excessives sans contreparties ont disparu.