L’apéro littéraire d’Aurélie Filippetti et de Frédéric Beigbeder
Émile les a réunis pour la première fois. Le lieu de cette rencontre ne pouvait pas être autre que Saint-Germain-des-Prés, le quartier de Simone de Beauvoir et des éditeurs, mais aussi celui de Sciences Po. Frédéric Beigbeder (promo 88) est un ancien élève, Aurélie Filippetti y enseigne.
Nous les avons installés à la plus belle table du Beau Regard, nouveau lieu branché à quelques mètres du Flore, tout à la fois restaurant, bar et cinéma. En quelques minutes, les rires ont fusé, comme lors d’un apéro entre vieux amis. Littérature, politique, exercice du pouvoir, état du monde… Dialogue sans filtre entre deux figures culturelles.
Propos recueillis par Maïna Marjany, Nicolas Scheffer et Sandra Elouarghi
En cette période de rentrée littéraire, quels sont vos livres coups de cœur ?
Aurélie Filippetti : Je suis en train de lire Une bête au paradis, le dernier roman de Cécile Coulon. Elle a une très jolie plume et c’est une vraie poétesse.
Frédéric Beigbeder : C’est très champêtre. C’est un roman bucolique… et violent à la fois. Il y en a tous les ans, ça me rappelle La Vraie Vie, d’Adeline Dieudonné, sorti l’année dernière. C’est bizarre ce nouveau genre qui a émergé, on pourrait appeler ça « le roman boueux » [rires] !
A. F. : Mais « tu m’as donné ta boue et j’en ai fait de l’or ».
F. B. : Oui, exactement, Baudelaire ! Alors dans le genre, j’aime beaucoup La Maison, d’Emma Becker. Son livre, c’est de la nitroglycérine. C’est l’histoire d’une femme qui décide d’être prostituée pendant deux ans à Berlin dans un bordel. Il y a évidemment beaucoup de danger à écrire un tel roman et elle évite tous les écueils. Le premier serait de faire l’éloge de la prostitution comme d’un truc merveilleux, l’autre serait de victimiser excessivement ces femmes dont certaines sont libres, adultes et consentantes. Elle nuance leur vie avec beaucoup de brio et d’humanité. C’est un grand roman. Peut-être ce que j’ai lu de mieux de cette rentrée. Franchement.
Si on quitte un peu la France, il y a un livre génial : Mon année de repos et de détente, d’Ottessa Moshfegh…
A. F. : Ah oui, c’est absolument formidable !
F. B. : C’est l’histoire d’une sublime blonde new-yorkaise qui décide de dormir pendant un an en prenant des somnifères tous les jours parce qu’elle n’aime plus sa vie, la réalité. Elle a seulement de vagues moments de lucidité dans la journée.
On est loin du « roman boueux »…
F. B. : [Rires] Non, pour le coup c’est très urbain !
A. F. : Tout comme le roman d’Emma Becker, qui se déroule à Berlin.
F. B. : Oui, c’est bizarre, comme j’ai quitté Paris, je cherche des livres très pollués !
A. F. : J’ai bien aimé le Karine Tuil aussi, Les Choses humaines. Qu’est-ce que tu en penses ?
F. B. : Je comprends pourquoi tu as aimé. C’est un projet un peu analogue au tien dans Les Idéaux, qui était de faire un tableau du pouvoir contemporain.
A. F. : Sinon, pour les élèves de Sciences Po, il y a un livre d’histoire, L’Héritage des Lumières. Ambivalences de la modernité, d’Antoine Lilti, qui est excellent.
F. B. : Dans les livres marquants de cette rentrée, il y a aussi Le Ghetto intérieur. Santiago Amigorena raconte l’histoire de son grand-père, juif, qui était en Argentine pendant la guerre et dont toute la famille a été exterminée. C’est la Shoah vue de loin. C’est bouleversant. On ressent l’impuissance de ceux partis à temps, qui attendent des nouvelles de leur famille, en reçoivent de moins en moins et ne peuvent rien faire. C’est un très beau livre, qui est à la fois sur la liste du Goncourt et du Renaudot.
En parlant de prix littéraires, Frédéric vous avez eu le Renaudot en 2009 pour Un roman français, mais pas le Goncourt. Pensez-vous que cette institution de la culture française change la vie d’un écrivain ?
F. B. : Oui, sûrement. Et de ne pas l’avoir eu, c’est un grand malheur dans ma vie [rires]. Maintenant que je suis membre du jury du Renaudot, je ne peux plus. Je suis totalement disqualifié, c’est foutu !
Certains écrivains ne s’en remettent pas. Parfois, c’est un cadeau empoisonné. On devient célèbre du jour au lendemain, un peu comme Miss France. J’espère, par exemple, que ça ne paralysera pas Nicolas Mathieu qui a écrit un livre splendide l’an dernier, ou qu’il ne se transformera pas en notable des lettres après son Goncourt. J’espère qu’il gardera toute la colère qu’il y avait dans Leurs enfants après eux.
Et vous, Aurélie, ça vous plairait le Goncourt ?
A. F. : De toute façon, je sais que je ne l’aurai jamais… En tant que lectrice, il suffit que je voie un prix sur un livre pour ne plus avoir envie de l’acheter ! Parfois, j’ai une bonne surprise et j’aime un livre malgré le prix. Ça a été le cas avec celui de Nicolas Mathieu qui est magnifique, sublime.
Mais pourquoi cette méfiance envers les prix ?
F. B. : Parce que c’est une rebelle ! C’est pour ça qu’elle a démissionné du gouvernement, elle ne fait jamais comme tout le monde. Aurélie refuse d’être moutonnière.
A. F. : [Rires] Non, c’est juste que j’aime bien me faire mes propres avis. C’est pareil avec le cinéma, j’ai horreur de savoir ce que les gens racontent d’un film. Je lis les critiques, mais seulement après.
Et puis je sacralise complètement la littérature. Pour moi, c’est un espace idéalisé, qui doit rester en dehors du domaine marchand. Même s’il s’agit aussi d’une activité commerciale.
C’est donc le côté marketing autour des prix qui vous agace ?
A. F. : En effet, ça m’agace beaucoup et je suis donc hermétique aux prix.
F. B. : Je comprends une partie de ces critiques même si je suis moi-même dans plusieurs jurys. On réunit plusieurs personnes autour d’une table, il faut qu’elles se mettent d’accord et donc qu’elles fassent des compromis. C’est un peu la loterie. Parfois, les membres du jury tombent d’accord sur un excellent livre, mais certaines années, c’est désastreux. Coup de chance, l’an dernier, le Goncourt a récompensé un grand livre. En réalité, c’est Virginie Despentes qui a porté le roman de Nicolas Mathieu. Un inconnu qui venait de Nancy, comme elle d’ailleurs. En les obligeant à découvrir ce livre, elle a réussi à les convaincre. Malheureusement, ce n’est pas le cas tous les ans.
A. F. : Je suis d’accord ! Si l’on regarde la liste des Goncourt depuis un siècle, il y a eu d’excellents livres primés mais aussi des ratés… Et le jury passe parfois à côté de chefs-d’œuvre.
Aurélie, vous ne regardez pas les critiques des livres avant de les acheter, mais est-ce que vous lisez celles qui concernent vos œuvres ?
A. F. : Oui, bien sûr. Je les lis en entier, notamment parce que certaines critiques vous apprennent des choses sur ce que vous avez écrit [rires]. Mais j’ai l’impression que mon dernier livre, Les Idéaux, a été davantage jugé d’un point de vue politique que d’un point de vue littéraire…
D’ailleurs, Frédéric n’a pas été tendre à l’égard de votre livre. Vous avez mal vécu cette critique ?
A. F. : Les critiques littéraires, par rapport à la violence du monde politique, c’est le monde des Bisounours… Frédéric m’a qualifiée de Bécassine mais Bécassine c’est un personnage plutôt sympathique [rires] !
F. B. : J’ai essayé de la briser mais elle a survécu. Plus sérieusement, je voudrais revenir sur la critique que j’avais faite dans Le Masque et la plume, sur France Inter. Il y a deux parties dans son roman : une partie romance et une partie où elle parle politique. Je ne suis pas vraiment rentré dans l’histoire d’amour, mais j’ai trouvé la partie politique très bien faite. C’était presque un pamphlet sur son expérience du pouvoir. Contrairement au livre de Françoise Nyssen [Plaisir et nécessité, paru en juin 2019] qui était davantage un manifeste pour défendre son ministère, Aurélie a montré ce qu’était réellement ce monde : épouvantable, macho, brutal, mythomane… Autre point notable, Aurélie était écrivain avant d’entrer en politique, c’est une chose assez rare.
Contrairement aux hommes et femmes politiques qui se mettent à l’écriture pour raconter leur expérience…
A. F. : En effet, je ne voulais pas faire un essai sur mon expérience mais plutôt travailler la matière politique avec les outils de la littérature. En revanche, les critiques m’ont fait prendre conscience que quelque chose ne collait pas dans la construction. J’aurais peut-être dû en faire deux livres : l’un sur l’histoire d’amour, l’autre sur le monde du pouvoir.
F. B. : Un livre sur quelqu’un de gauche en couple avec quelqu’un de droite, c’est un sujet marrant. Et puis il y a tout ce que tu dis sur les lobbys, les hommes d’affaires à l’Élysée, qui empêchent les ministres de travailler ou des lois d’être votées…
A. F. : En plus des lobbys, il y a un problème de courtisanerie, c’est ce qui caractérise le système français. Dès qu’on monte dans la hiérarchie administrative ou politique, on retrouve un phénomène de cour, le syndrome Potemkine. Cela crée des catastrophes parce que les gens s’imaginent qu’ils sont merveilleux.
F. B. : Que tout va bien.
A. F. : Et que finalement, les oppositions rencontrées seraient mues par la méchanceté, la malhonnêteté ou l’incompétence. Quand on est ministre, il faut avoir des garde-fous personnels, des cordes de rappel. Je me suis toujours dit que l’expérience du pouvoir est temporaire. Mais sur le moment, on manque de temps pour se poser et réfléchir à ce qu’on veut en faire. C’est très dangereux, le monde politique est dans l’immédiateté, le quotidien, la réaction au lieu de penser à moyen terme.
F. B. : Ce n’est pas possible de s’en extraire un peu ? Je me souviens être allé au cinéma à l’Odéon voir Melancholia, de Lars von Trier, un film magnifique sur la fin du monde. Tout à coup, à côté de moi, je vois Frédéric Mitterrand qui s’installe, alors qu’il était ministre de la Culture en exercice. Seul un garde du corps l’accompagnait. J’ai trouvé ça énorme qu’un ministre puisse voir un film qui dure plus de deux heures en plein après-midi.
A. F. : C’est en effet nécessaire de garder des moments pour se replonger un peu en soi-même et s’extraire de l’ivresse du pouvoir.
Vous accepteriez de nouveau un ministère ?
A. F. : Non, pas actuellement. Être ministre, ce n’est pas un but en soi. Il faut se poser la question de l’équipe, de la politique, de l’objectif…
F. B. : Il faudrait que Mélenchon soit président et alors là, elle serait Première ministre !
A. F. : Même pas. Pour moi, le plus beau mandat, c’est celui de parlementaire dans un régime parlementaire. Mon idéal politique se rapproche des systèmes allemand ou britannique, où il n’y a pas de « monarque républicain » comme en France.
Et vous, Frédéric, si on vous proposait un ministère, par exemple celui de la Culture, vous l’accepteriez ?
F. B. : Non, non, jamais de la vie. Je ne pourrais pas, ne serait-ce qu’à cause de mon passé, on ressortirait tous les dossiers ! Ma garde à vue d’il y a 10 ans serait dans tous les journaux.
C’est d’ailleurs un problème. Aujourd’hui, pour être homme politique, il faut avoir le passé d’un moine. Les personnes qui ont eu une vie hédoniste ne peuvent plus diriger les affaires publiques. On n’aura le droit qu’à des gens plats, linéaires. Il faut être masochiste pour se lancer en politique ! Il est impossible de faire ce métier sans affronter les quolibets, les journalistes d’investigation qui décortiquent chaque seconde de votre passé, les caricaturistes à toute heure de la journée.
A. F. : La vie privée n’existe plus. C’est assez terrible et, à un moment, ça dégoûte de la politique. C’est surtout très dur pour la famille et les enfants. On finit par se demander si ça en vaut vraiment la peine.
F. B. : Le niveau en politique va baisser parce que les gens brillants n’ont peut-être pas envie de souffrir. Ils vont préférer se tourner vers le monde des affaires ou les métiers artistiques où on est plus libre, plus tranquille. Du coup, le métier de politique n’attirera que des gens ennuyeux ou très faux.
A. F. : Et très assoiffés de pouvoir.
F. B. : Comme Boris Johnson ou Donald Trump : des dingues absolument narcissiques sans valeurs, sans repères, sans rien. Eux, ça les fait marrer.
A. F. : Finalement, je pense qu’il y a plus de liberté et de manières de dire le monde dans la littérature, dans l’art, dans la création.
Vous vous sentez peut-être plus utile en tant que prof et écrivaine ?
A. F. : En tout cas, c’est sûr que je suis plus libre et que je ne me sens pas moins utile. J’ai le sentiment d’être à ma place et de contribuer à ce que la cité tourne. Je ne travaille pas pour un fonds de pension à faire des spéculations boursières, donc j’ai quand même l’impression de faire quelque chose d’important. Quand on n’est pas du côté des destructeurs de la planète, des prédateurs sociaux ou environnementaux, c’est déjà une forme de résistance.
Et vous, Frédéric ? Est-ce que vous avez le sentiment d’être utile ?
F. B. : Comme journaliste, peut-être, quand je lis le premier roman d’un inconnu et que je fais son éloge, que je le défends partout. Comme avec Alexandre Labruffe ou Victor Jestin, en cette rentrée.
À part ça, est-ce que je suis utile ? J’en sais rien… Quoique, quand j’y réfléchis, 99 Francs a montré ce qu’étaient les rouages de la com et du marketing. Peut-être que certaines personnes ont regardé les pubs autrement après.
En parlant de marketing, est-ce que vous utilisez les réseaux sociaux pour faire votre promo ?
F. B. : Je ne suis sur aucun réseau social et je m’en porte très bien. Je fais un post de 200 pages tous les quatre ans, ça s’appelle un roman [rires] !
A. F. : En revanche, il peut y avoir des utilisations intéressantes des réseaux sociaux. Par exemple, Nicolas Mathieu publie de courts textes sur Instagram.
F. B. : Oui, pour obliger les gens à lire au lieu de « liker ».
A. F. : Ça m’a donné l’envie d’écrire sur Facebook et Instagram. S’il y a des sujets qui m’intéressent dans l’actualité, je fais un petit texte. Cela peut porter sur un livre qui m’a plu, une œuvre d’art qui m’a frappée.
F. B. : Mais ça ne te dérange pas de rapporter de l’argent à Mark Zuckerberg [rires] ? Sans être payée en plus ! Tu travailles gratuitement, et c’est lui qui récolte en vendant ta vie privée à des entreprises…
A. F. : Sauf que ce n’est pas ma vie privée, mais mes petites pensées du jour.
À l’heure où Sciences Po réforme ses admissions, quel regard portez-vous sur les évolutions de la rue Saint-Guillaume ?
A. F. : La bataille qu’a menée Richard Descoings il y a une vingtaine d’années pour l’ouverture des conventions CEP a été fondamentale. C’était le premier à se battre pour cette idée, il a rencontré de vives oppositions, et aujourd’hui tout le monde veut copier le modèle. Richard Descoings était un personnage remarquable, que j’ai bien connu. En juin dernier, j’ai fait passer le concours d’entrée pour la première fois, notamment à des élèves issus de CEP, et j’ai trouvé ça génial. J’espère qu’ils ne seront pas totalement formatés quand ils sortiront de Sciences Po.
F. B. : J’estime que la déconnexion des élites avec le peuple est l’un des sujets les plus actuels et les plus urgents. Et Richard Descoings a été le premier à avoir essayé de faire que le pays réel entre dans une grande école, que ce ne soient pas uniquement des jeunes en imper Burberry et en chaussettes Burlington comme de mon temps ! Heureusement, aujourd’hui ça a bien changé… En revanche, ce qui n’a pas trop changé c’est que Sciences Po reste une usine dont tous les dirigeants français sont issus !
A. F. : Pas tous, j’ai été ministre sans être passée par la rue Saint-Guillaume… Mais j’y suis devenue prof !
F. B. : Ils ont fini par te domestiquer [rires].
Frédéric, vous êtes tout de même la preuve qu’on peut sortir de Sciences Po sans être dans un moule et…
F. B. : Et être un écrivain champêtre !
À ce propos, que pensent vos proches de votre départ à la campagne, vous faites des émules ?
F. B. : Beaucoup de gens descendent dans mon village pour me voir. Ce n’est pas si loin, je ne suis qu’à quatre heures de train de Paris.
A. F. : Tu n’es pas non plus parti t’installer dans une yourte au beau milieu des steppes de Mongolie…
F. B. : À vrai dire, je pense que s’entasser dans des endroits pollués, c’est un concept absurde. Je ne comprends pas comment j’ai tenu 50 ans ! Lorsque mon fils d’un an s’est mis à marcher, la première chose qu’il a faite c’est d’aller cueillir des framboises dans le jardin. Je trouve ça formidable.
Ce numéro d’Émile contient un grand dossier sur l’effondrement. Est-ce que la fin du monde est un sujet qui vous préoccupe ?
F. B. : Pour moi, les fins de mois sont déjà un problème [rires], ma seconde préoccupation, c’est la fin de ma vie, et maintenant la fin du monde ! La fin du monde sera peut-être la première à arriver...
A. F. : L’idée de fin du monde ne doit pas être une incitation à ne rien faire. Nous devons changer nos modes de vie. Je suis horrifiée par les attaques contre Greta Thunberg. Elle touche juste quand elle met en cause les responsables politiques.
Il y a plusieurs théories, d’autres disent qu’on peut encore agir…
A. F. : De toute façon, il faut accepter de vivre dans un monde fini. Se pose la question des modes de production et de consommation, qui sont devenus délirants. Nous devons nous interroger sur ce qu’est une vie bonne, une vie juste. Mais on n’a pas besoin de se dire que le monde va s’écrouler dans 10 ans pour se poser ces questions philosophiques essentielles et existentielles. Il n’y a pas de vie individuellement bonne dans une société injuste, comme le disait Theodor Adorno. La réflexion sur la bonne manière de répartir les richesses, d’organiser l’économie et la vie politique a des incidences sur le bonheur de chacun d’entre nous.
F. B. : J’en suis l’illustration, j’ai quitté tous mes boulots, parce que je suis pour la décroissance… Je le prouve avec mon salaire, qui a décru : il a été divisé par trois [rires] ! Ça m’étonne de moi-même, je suis un peu le Pierre Rabhi de Saint-Germain-des-Prés ! Je crois en tout cas qu’à titre individuel, on doit tous se poser ces questions. Plutôt que de compter sur les dirigeants pour le faire, demandons-nous comment ralentir à notre échelle. Ça changera le monde plus vite que si on compte sur Nicolas Hulot !
De 99 Francs à Pierre Rabhi ?
F. B. : En effet ! D’ailleurs, à la fin de 99 Francs, il y a tout un chapitre où je disais – 20 ans plus tôt que Greta Thunberg – que la surconsommation conduit à la destruction. Désolé, chère Greta, j’étais là avant toi !
A. F. : C’est revenir à la philosophie antique des stoïciens : ce qu’ils appelaient « aurea mediocritas », une forme de mesure, de sobriété… Au fond, le bonheur c’est de savoir se satisfaire. Or, la société de consommation crée constamment des besoins, on n’est donc jamais satisfait. Cela crée une frustration permanente. La décroissance, c’est se désintoxiquer de cela.
F. B. : Il y a quand même un problème économique, pour lequel je n’ai pas la solution : on a besoin de croissance pour lutter contre le chômage. Par exemple, la solution pour réduire la pollution de l’air serait d’arrêter les voitures, les avions. Si on les interdit du jour au lendemain, ce serait catastrophique pour l’économie ! Il y aurait des millions et des millions de chômeurs… pour le coup, ce serait le collapse du système capitaliste.
A. F. : La solution, ce serait que chacun ait les moyens d’assurer sa subsistance. Il est illusoire de penser qu’un jour en France il y aura 5 ou 7 % de croissance, ça n’arrivera jamais ! Il faut plutôt se demander comment faire pour que les gens au chômage puissent vivre décemment. On peut partager le travail, instaurer un revenu d’existence…
F. B. : C’est une bonne idée le revenu d’existence. En tout cas, on doit changer de système et chercher des utopies. C’est ce qui me passionne : la quête d’un idéal différent, d’une autre façon de vivre.