Andrée Viénot, ministre féministe et femme de lettres
On sait que les trois premières femmes à avoir été ministres l’ont été dans le gouvernement du Front Populaire de 1936, à l’initiative de Léon Blum. On sait moins que la quatrième le fut en 1946 et 1947, dans les gouvernements Bidault (l’époux d’une Sciences Po) et Blum (un récidiviste donc), et qu’elle est passée (très brièvement) par la rue Saint-Guillaume. Andrée Viénot, immigrée, socialiste, plutôt féministe, veuve et résistante quand elle devient ministre, est en même temps une héritière, fille d’un sidérurgiste fondateur de L’Entente internationale de l’acier et d’une femme de lettres, correspondante de Gide et mécène de Thomas Mann.
Par Emmanuel Dreyfus (promo 91)
Son père, Émile Mayrisch, a regroupé l’entreprise familiale avec d’autres entreprises sidérurgiques et minières luxembourgeoises pour fonder en 1911 l’ARBED, un groupe capable de concurrencer les autres industriels européens. Il arrive habilement, dans le Luxembourg occupé, à poursuivre sa production tout en la ralentissant et à communiquer des informations intéressantes aux Alliés. Il devient, après la fin de la guerre, un acteur important de la réconciliation franco-allemande. L’Entente internationale de l’acier fondée en 1926 à son initiative regroupe des sidérurgistes allemands, luxembourgeois, belges et français pour rationaliser la production ; elle préfigure la Communauté européenne du charbon et de l’acier, créée par le Plan Schuman de 1950.
Sa mère, Aline de Saint-Hubert, écrit, s’occupe de philanthropie, préside la Croix-Rouge luxembourgeoise et, de conviction plutôt socialiste et féministe, reçoit au château de Colpach des visiteurs de toute l’Europe – intellectuels, artistes, hommes d’affaires et hommes d’État – comme Walter Rathenau ou Richard Coudenhove-Kalergi. Elle entretient notamment une correspondance avec Jacques Rivière, le directeur de La Nouvelle Revue Française, et avec André Gide, un ami de la famille à qui elle fait découvrir Rilke.
De Londres à la SFIO
Andrée naît le 7 juin 1901 au Luxembourg. Un frère aîné est mort très jeune, elle est donc l’enfant unique du couple. Après son baccalauréat au Luxembourg, elle quitte le pays pour entreprendre des études supérieures. C’est ici que se place le bref épisode de Sciences Po. Après quelques semaines elle quitte l’école, dont elle trouve notamment l’enseignement économique trop libéral. Elle préfère suivre une année d’études médicales en Suisse avant de partir à Londres. C’est là, à la London School of Economics, qu’elle trouve l’enseignement politique et économique, teinté de préoccupations sociales, qui lui convient. C’est en Angleterre aussi qu’elle commence à militer dans les cercles socialistes où elle rencontre son futur mari, Pierre Viénot.
Revenue au Luxembourg, elle prend la tête du service social de l’ARBED. L’entreprise pratique une politique paternaliste avancée, avec caisse de maladie et de retraite, hôpitaux, activités pour la jeunesse. Elle retrouve Pierre Viénot, engagé héroïque de la Première Guerre mondiale, grièvement blessé, qui anime le Comité franco-allemand d’information et de documentation, un organisme qui veut rapprocher les hommes d’affaires et les hauts fonctionnaires de bonne volonté des deux pays, et qui est parrainé par Émile Mayrisch.
Andrée Mayrisch épouse Pierre Viénot en 1929. Après un an à Berlin, le couple s’installe dans les Ardennes et Pierre Viénot devient, en 1932, député républicain-socialiste de Rocroi. Andrée Viénot, tout en travaillant auprès de son mari, s’engage à la SFIO. En 1936, Pierre Viénot devient sous-secrétaire d’État en charge des affaires arabes et se prononce pour une politique résolument libérale. Après le renversement du gouvernement Blum, il suit d’ailleurs sa femme à la SFIO.
Un fervent engagement
Quand la Seconde Guerre mondiale éclate, Andrée Viénot s’engage, comme son mari, dans le Parti socialiste clandestin. Elle vient en aide aux opposants allemands réfugiés et cachés.
À la Libération, elle est nommée par la SFIO députée à l’Assemblée consultative de Paris, qui se réunit à partir de novembre 1944 et est remplacée en août 1945 par la première Assemblée constituante, élection au cours de laquelle Andrée Viénot est battue. Puis, après le départ du général de Gaulle et l’échec du référendum constitutionnel, est désignée une deuxième assemblée constituante où cette fois Andrée Viénot est élue dans les Ardennes. Le MRP Georges Bidault prend la tête du gouvernement provisoire tripartite et nomme donc la socialiste Andrée Viénot sous-secrétaire d’État à la Jeunesse et aux Sports auprès du ministre de l’Éducation nationale. Elle y poursuit l’œuvre d’organisation et de construction de ce domaine ministériel encore nouveau, dans la lignée de son prédécesseur du Front Populaire Léo Lagrange, dont elle reprend l’équipe – elle est amie avec Madeleine Lagrange, elle aussi nouvelle députée et veuve d’un ministre socialiste. Réélue à l’Assemblée nationale en novembre 1946, elle conserve le même poste dans le gouvernement de transition de Léon Blum. Mais le gouvernement Ramadier de janvier 1947, le premier de la Quatrième République, ne compte plus de sous-secrétaire d’État et son portefeuille est fusionné avec celui des arts et des lettres. Andrée Viénot démissionne en novembre 1947 de son mandat de députée pour s’occuper de ses jeunes enfants, après le décès de son époux et de sa mère.
Andrée Viénot n’abandonne cependant pas la politique et est élue en 1953 maire de Rocroi, dans les Ardennes, une charge qu’elle occupera jusqu’à sa mort, en 1976. Elle continue à militer à la SFIO et en désaccord avec la politique algérienne de Guy Mollet – mais dans la droite ligne des positions libérales de son époux – fait partie des fondateurs du Parti socialiste autonome et devient membre du comité central de la Ligue des droits de l’Homme.
Sources : Les notices du Maitron, du dictionnaire des Parlementaires, du dictionnaire luxembourgeois et de l’Ordre de la Libération.