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Miriam Jaffé, une première diplômée particulièrement douée

À la rentrée 1919, il y a tout juste un siècle, sept femmes poussent pour la première fois les portes de la prestigieuse école de la rue Saint-Guillaume. Parmi ces pionnières, une seule ressortira avec un diplôme en poche. Les archives de Sciences Po permettent de reconstituer son histoire.

Par Maïna Marjany

Étudiants à Sciences Po dans l’entre-deux-guerres (Crédits : Sciences Po)

Il aura fallu attendre la fin de la Grande Guerre pour que l’École libre des Sciences Politiques, réservée aux hommes depuis sa création en 1872, soit ouverte à la gent féminine. Une condition supplémentaire leur est imposée : elles doivent être titulaires du baccalauréat. Sur les sept premières étudiantes, cinq sont de nationalité étrangère. Dobrila Markovitch et Zorka Petrovitch sont serbes, Mlle Hemming est canadienne, Thérèse Ehlers Hohtebre est danoise et Miriam Jaffé est juive de Palestine. On dénombre ensuite deux Françaises, la comtesse Louise Chandon de Briailles et Odette Milburge Denis, originaire de Guadeloupe. Miriam Jaffé a 23 ans lorsqu’elle s’inscrit à l’École libre des Sciences Politiques, dans la section Économique et sociale, pour un diplôme en une année. Née le 16 juin 1896 à Grodno (située à l’époque en Pologne, aujourd’hui en Biélorussie), elle a immigré en 1909 en Palestine. Pendant ses études parisiennes, elle réside boulevard Saint-Michel, juste en face du jardin du Luxembourg.

Crédits : Composition de fin d’année de Miriam Jaffé / Dossier étudiant de Miriam Jaffé / Archives de Sciences Po

Son dossier étudiant reflète son excellent niveau scolaire ; les notes sont toutes comprises entre 14 et 20 et les commentaires des professeurs sont plutôt élogieux. Au cours des épreuves orales qu’elle passe en juin 1920, Miriam Jaffé obtient notamment 16/20 en Finances publiques, 17/20 en Législation du travail, 19/20 pour Le socialisme en Europe, 15/20 en Affaires de Banque et 17/20 en Questions agricoles. Avec un retentissant 20/20 en allemand, elle semble encore plus douée pour la langue de Goethe que pour celle de Shakespeare (16/20). Son examinateur a laissé comme commentaire : « Sait l’allemand comme sa langue maternelle. »

Miriam Jaffé obtient aussi une excellente note lors de son « exposé oral » qui portait sur la comptabilité commerciale. Le conseiller d’État Clément Colson lui attribue en effet un 18/20 qu’il accompagne de l’appréciation suivante : « Parle assez bien. Sait énormément. Critique sommaire mais toujours juste. » La jeune femme, soumise à deux compositions de fin d’année, rédige celles-ci d’une plume élégante et intelligible (vous pouvez consulter ci-dessus la première page de l’une de ses copies). Elle obtient à nouveau de très bonnes notes. Ces excellents résultats lui permettent de décrocher le tout premier diplôme de l’École libre des Sciences Politiques délivré à une femme, assorti d’une mention « très bien ».

Crédits : Dossier étudiant de Miriam Jaffé / Archives de Sciences Po

Quelques années plus tard, son parcours remarquable sera d’ailleurs souligné par le secrétaire général de Sciences Po dans une lettre adressée au ministre du Travail à Jérusalem, le 30 mai 1951 : Miriam Jaffé « a obtenu le diplôme de l’École libre des Sciences politiques avec des notes très brillantes, ce qui est particulièrement remarquable pour une ancienne élève de nationalité étrangère ». Cet échange laisse entendre que Miriam Jaffé a postulé (et certainement travaillé) au sein du ministère du Travail du nouvel État d’Israël. Elle était retournée en Palestine après l’obtention de son diplôme et s’était mariée avec Eliezer Weinshall. Leur fils Theodore D. Weinshall, né en 1923 à Haïfa, devient professeur à l’université de Tel Aviv, au sein de la Graduate School of Business. En décembre 1968, il échange par courrier avec le secrétaire général de Sciences Po, René Henry-Gréard, afin de lui envoyer une copie du diplôme de sa mère. L’école de la rue Saint-Guillaume avait formulé le souhait de garder dans ses archives une trace du document attribué pour la première fois à une femme.

Peu d’informations permettent de retracer la suite du parcours de Miriam Jaffé Weinshall. Internet nous renseigne en revanche sur l’année et le lieu de son décès : elle s’est éteinte en 1984 à Tel Aviv, à l’âge de 88 ans.