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"On ne veut pas parler des réfugiés mais avec eux" : rencontre avec l'association Ekota

Mas Mahmud et Leen Youssef sont deux jeunes réfugiés arrivés jusqu’à la rue Saint-Guillaume. Ils partagent un constat similaire sur l’accueil des émigrants en France : si les organismes d’aide font de leur mieux, l’accueil demeure encore imparfait. Ils ont alors créé Ekota, une association qui vise à faire évoluer les mentalités à l’égard des réfugiés.

Propos recueillis par Sébastien Cazabon et Yasmine Laaroussi

Photo : Leen Youssef et Mas Mahmud

Vous êtes tous les deux réfugiés et étudiants à Sciences Po, quel a été votre parcours ?

Leen Youssef : Je suis Syrienne et j’étais pharmacienne à Alep. Je suis arrivée en France il y a trois ans et j’ai connu Sciences Po grâce au programme d’accompagnement professionnel Wintegreat. Maintenant, je suis en deuxième année à Sciences Po au sein du Certificat professionnel pour étudiants réfugiés.

Mas Mahmud : Pour ma part, je suis originaire du Bangladesh où j’ai fait une licence d’anthropologie ainsi qu’une première année de master. Après, j’ai dû partir subitement et je suis arrivé en France même si je ne voulais pas [rires]. La première année je n’ai rien pu faire et je me suis concentré sur les démarches pour être reconnu comme réfugié. Une fois ce statut acquis, je me suis dit que je voulais continuer mes études. À l’époque, je ne parlais pas français du tout, je ne savais même pas dire « bonjour » donc ça compliquait un peu les choses ! J’ai quand même trouvé un premier stage de quatre mois dans le milieu associatif parce que c’est dans ce domaine que je voulais travailler, en particulier pour faire de la politique migratoire. Pendant ce stage, j’ai cherché où je pouvais étudier et le choix s’est porté sur un master Droits de l’Homme soit à la Sorbonne, soit à Sciences Po. Finalement, j’ai choisis Sciences Po !

Comment est née l’idée de l’association Ekota ?

M. M. : Pendant mes études, j’ai fait un stage au Haut Conseil pour les Réfugiés (HCR) de l’ONU et quand je suis arrivé, je me suis rendu compte que sur les 1 400 personnes qui travaillaient là-bas il n’y avait aucun réfugié. Là je me suis dit que ce n’était pas normal.

Plus tard, j’ai pu constater que souvent dans les associations d’aide aux migrants les salariés ne sont jamais des personnes réfugiées. Quand on leur fait la remarque, elles répondent parfois que le président de leur Conseil d’Administration en est une. L’idée derrière Ekota est donc de sensibiliser les gens sur l’accueil de personne déplacées. Nous souhaitons notamment organiser des événements pour les personnes travaillant dans l’humanitaire afin de leur expliquer comment accueillir au mieux des réfugiés dans leurs structures. Notre intention c’est de consulter des réfugiés pour aider les associations car si elles ont les compétences, elles n’ont pas forcément la légitimité.

L. Y. : Le nom de l’association veut dire « unité » en bengali. L’unité est notre point de départ : les Français seuls ne peuvent pas faire des actions pour les réfugiés, et pour les réfugiés, c’est dur d’agir seuls dans un pays étranger. Notre objectif c’est de mettre les deux ensemble pour travailler à une intégration réelle et non plus théorique. Nous voulons rendre les réfugiés actifs, on ne veut pas parler des réfugiés mais avec eux, et surtout les laisser parler !

Concrètement, quels sont vos objectifs ? Vos projets ?

M. M. : Notre objectif est double. Nous souhaitons faire avancer la cause des personnes déplacées, tout en contribuant à une cause globale : la crise climatique.

L. Y. : Sur le long-terme, on va essayer d’organiser des ateliers sur la partie « climat ». L’idée est d’inviter des parisiens et des réfugiés autour d’un sujet climatique. De cette façon on peut voir que l’autre est une personne comme nous, préoccupée par les mêmes sujets. Autour de la même table tout le monde est l’égal l’un de l’autre.

M.M. : Par ailleurs, un de nos projets pour la fin de l’année est d’organiser un repas de Noël. Souvent, les acteurs traditionnels d’accueil des déplacés sont absents pour les fêtes, on souhaite donc organiser un dîner de Noël pour une centaine de personnes de sorte à ne pas laisser les gens seuls. Nous aimerions ainsi inviter à dîner, le 23 décembre, 50 parisiens et 50 réfugiés. Ce sera la première action d’Ekota.

Mas, on a pu voir que vous aviez été invité d’honneur à la cérémonie de remise de diplômes de 2019. Est-ce que ça a été un moment de consécration pour vous ?

M. M. : Oui, parce qu’auparavant j’ai souvent refusé des invitations à participer à des conférences parce que j’avais le sentiment que l’organisateur cherchait à cocher la case « réfugié » de sa liste d’invité. Cette année on m’a proposé d’intervenir lors de la cérémonie en raison de mon niveau académique et de mon dossier. C’était une façon de valoriser mes compétences, et pas de me montrer parce que je suis réfugié. C’était une très grande expérience pour moi de représenter la promo entière. D’ailleurs, j’ai eu très chaud parce qu’il faisait 38° et que j’étais en costume…

L. Y. : Quand on a fait Sciences Po, c’est pour la vie ! On aimerait beaucoup travailler avec les étudiants, et avec des associations comme Sciences Po Environnement. Il faut préciser que l’ensemble de notre conseil d’administration est d’ailleurs composé d’alumni. L’école est pleine de gens avec de l’expérience et de la volonté, on aimerait en profiter.

Les fondateurs de l’association Ekota


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Mas Mahmud

Leen Youssef

Si vous souhaitez les soutenir, vous pouvez participer au financement de leur projet de dîner de Noël sur HelloAsso.