RIC : la Suisse, un exemple à suivre ?
Revendication phare du mouvement des « gilets jaunes », le référendum d’initiative citoyenne (RIC) a fait couler beaucoup d’encre : outil démocratique pour certains, menace pour les droits fondamentaux pour d’autres, sa mise en œuvre pose de nombreuses questions.
Alors qu’un projet de loi présenté par La France insoumise a été rejeté cette semaine à l’Assemblée nationale, Guillaume Tusseau, professeur de droit et d’institutions politiques à Sciences Po, répond aux questions d’Émile.
Propos recueillis par Lucile Pascanet
Peut-on rapprocher le référendum d’initiative populaire suisse, outil de consensus politique, du référendum d’initiative citoyenne demandé par les « gilets jaunes » ?
Guillaume Tusseau : Il faudrait se pencher sur les modalités retenues en France pour l’application du référendum d’initiative citoyenne, mais c’est la même philosophie de démocratie directe : celle de permettre au peuple de se prononcer et de s’exprimer. À l’heure actuelle, il n’y a rien en France qui s’apparente à un référendum d’initiative populaire : il existe un droit de pétition, mais il n’a pas de portée normative et n’aboutit pas à l’organisation d’un référendum.
L’initiative populaire existant en Suisse serait-elle applicable en France aujourd’hui ?
Je le crois. Si obstacles il y a, ils sont surmontables. Pour augmenter le taux de participation, on peut penser au vote électronique. Pour inciter les citoyens à se déplacer, on peut avancer l’instauration du vote obligatoire, ou alors un taux minimum de participation pour que le référendum soit recevable : par exemple, si la participation n’atteint pas 60 %, alors les résultats seront irrecevables. C’est ce qu’il s’est passé en Roumanie en 2018, lors du référendum pour graver dans le marbre l'interdiction du mariage homosexuel dans la Constitution. Le quorum de participation, fixé à 30 % des électeurs, n’a pas été atteint, car seuls 20,41 % d’entre eux s’étaient déplacés.
Quels seraient les garde-fous pour éviter que le RIC permette d’abroger certaines lois qui touchent aux libertés publiques, comme la loi Veil ?
Des précautions s’avéreront nécessaires. On peut imaginer de déterminer un nombre suffisants de participants pour déclencher le RIC, de même qu’un quorum pour adopter la mesure et délimiter son champ. L’article 11, sur le référendum populaire, prévoit que seuls certains sujets puissent être proposés. On pourrait imaginer que, de la même manière, on ne puisse pas remettre en cause certaines lois, comme celle régissant l’interruption volontaire de grossesse par exemple. Il est aussi possible d’instaurer un contrôle du Conseil Constitutionnel sur la clarté des questions posées.
Coupler référendum populaire et élections européennes est-il une bonne idée ?
Traditionnellement, les élections européennes attirent très peu de monde, et principalement des eurosceptiques. Jumeler ces élections avec un référendum populaire pourrait amener plus de gens à se déplacer. Je pense qu’un référendum susciterait un réel engouement, surtout si l’on soumet aux votants des questions multiples, comme cela a été évoqué. Cela permet de multiplier les enjeux : si une seule question est posée et qu’elle ne suscite pas l’intérêt du citoyen, alors il ne se déplace pas. Mais si 10 questions sont posées, le citoyen est susceptible d’être plus impliqué.
Le RIC, quésaco ?
Le référendum d’initiative citoyenne est un instrument de démocratie directe et une revendication très répandue du mouvement des « gilets jaunes ». Basé sur l’article 3 de la Constitution française qui stipule que « la souveraineté nationale appartient au peuple, qui l’exerce par ses représentants et par la voie du référendum », le RIC remettrait, selon les « gilets jaunes », le pouvoir au mains du peuple. Le modèle revendiqué par le mouvement serait constituant, abrogatoire, révocatoire et législatif : il permettrait donc de modifier la Constitution, mais aussi de supprimer une loi, de révoquer un responsable politique ou de proposer une nouvelle loi.