Émile Magazine

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Pascal Perrineau : "Un processus de démocratie citoyenne s’est mis en place."

Jean-Paul Bailly, Nadia Bellaoui, Guy Canivet, Isabelle Falque-Pierrotin et Pascal Perrineau ont été désignés, le 17 janvier, « garants » du grand débat national voulu par Emmanuel Macron. Ce collège a pour mission de veiller à l’indépendance du processus organisé par la mission du grand débat national placée sous l’autorité du Premier ministre. Émile est allé à la rencontre de Pascal Perrineau, l’un des cinq « garants », pour recueillir son éclairage sur les modalités et les enjeux de cette consultation.

Propos recueillis par Sandra Elouarghi et Laurence Bekk-Day
Photos : Elisabetta Lamanuzzi

Pascal Perrineau. Crédits photo : Elisabetta Lamanuzzi


Pascal Perrineau, quelle sera votre mission au sein du collège des garants ? Comment voyez-vous votre implication personnelle en tant que politologue ?

La mission principale du collège des garants est d’observer la tenue d’un grand débat. Il s’appuiera sur quatre vecteurs : les réunions d’initiatives locales qui se tiennent sur l’ensemble du territoire, les multiples réponses apportées par les citoyens aux questions du site web du grand débat national, le foisonnement des contributions individuelles et collectives (dont les cahiers de doléances), et les témoignages rassemblés dans des stands de proximité ouverts dans les lieux publics. Pour assurer la transparence et le pluralisme de toutes ces étapes, et pour observer attentivement les conditions de récolement des témoignages, un collège des garants a été créé. Il réunit des femmes et des hommes indépendants qui ont fait preuve de leur capacité à observer, comprendre et apprécier les conditions des débats.

En tant que professeur de science politique, j’ai beaucoup travaillé sur les composantes de la crise de la démocratie représentative ; c’est dans cette perspective que j’ai créé, il y a maintenant 10 ans, le baromètre de confiance politique de Sciences Po. Depuis de longues années, ce baromètre enregistre les signes d’une défiance qui n’a cessé de se creuser vis-à-vis du système politique, mais aussi de pans entiers de l’action publique. Il s’agit désormais de penser et de mettre en acte les lignes d’une « redémocratisation » de la démocratie.

Un « gilet jaune » durant une manifestation à Paris en décembre 2018.

Vous allez assister à un exercice de démocratie directe inédit en France. Pensez-vous que le recours à ce grand débat sera suffisant pour surmonter la crise provoquée par le mouvement des « gilets jaunes » ?

La crise des « gilets jaunes » a mis au jour un malaise dans le pays, dont les symptômes étaient multiples : montée de l’abstention, chute des effectifs des partis et des syndicats, poussée forte des votes protestataires, mouvements sociaux échappant aux syndicats… Fin 2018, ce malaise a pris la forme d’un passage à l’acte de la protestation tous azimuts, portée par des acteurs sociaux assez souvent nouveaux, appartenant à diverses périphéries du système économique, social ou politique. Le fait qu’une des revendications principales du mouvement soit le « référendum d’initiative citoyenne » est très révélateur d’une volonté d’expression directe, en dehors de toute médiation installée. Il faut, dans l’avenir immédiat, institutionnaliser cette prise de parole citoyenne dans des dispositifs pérennes de démocratie délibérative. Ce n’est qu’à ce prix que la crise que la France traverse depuis plusieurs mois pourra trouver une issue.

Selon vous, quel sera l’aboutissement de cette grande consultation ? Pourrait-elle déboucher sur l’organisation d’un référendum ?

Le collège des garants doit être attentif à la manière dont sera élaboré le rendu final des conclusions du grand débat, mais il n’est pas redevable de la suite que les principaux acteurs politiques lui donneront. Cependant, mon sentiment est qu’un processus de démocratie citoyenne s’est mis en place, et qu’il ne pourra s’arrêter subitement à l’issue du « grand débat national ». Cette nouvelle forme démocratique devra perdurer sous une forme ou une autre, afin d’enrichir la démocratie telle que nous la concevons. Si l’on ne s’en sort pas par un plus de démocratie, c’est le moins de démocratie qui pourra devenir l’horizon de certains.