Émile Magazine

View Original

Dans les coulisses du Bureau des légendes : trois questions à Éric Rochant

Réalisateur et scénariste, Éric Rochant est le créateur du Bureau des légendes, la série de Canal+ qui plonge le téléspectateur dans les coulisses de la DGSE. Des années avant cette série, il s’était déjà frotté au monde du renseignement avec son film Les Patriotes (1994) qui suivait le parcours d’Ariel Brenner, jeune Français parti en Israël et recruté par le Mossad. Le patron de la DGSE, Bernard Émié, nous a confié que cette œuvre cinématographique était même utilisée lors de la formation des recrues françaises des services de renseignement. Invité à une conférence organisée par Sciences Po Alumni, Éric Rochant nous a dévoilé les coulisses de ces deux créations.

Propos recueillis par Maïna Marjany

Le Bureau des légendes, une série d’Éric Rochant.


Pourquoi avoir réalisé un film sur le Mossad dans les années 1990 ?

Je voulais avant tout faire un film sur l’espionnage, sur le monde du renseignement. Au début, je me suis plutôt intéressé aux services français, mais à l’époque, ils ne faisaient pas trop rêver ! Moins que la CIA ou le Mossad en tout cas… L’autre raison c’est qu’Israël était, à ce moment-là, un endroit où je pouvais montrer que le renseignement n’était pas un jeu à vide. Auparavant, la guerre froide donnait cette image de jeux d’espions qui n’avaient pas de liens avec la réalité. 

Pour faire un film réaliste, j’ai beaucoup lu sur le sujet. Ce qui est bien avec les renseignements, c’est que c’est censé être secret, mais lorsque les gens se font virer, en général, ils aiment bien écrire. On réussit donc à savoir certaines choses. Le film Les Patriotes s’est donc basé sur les écrits d’anciens directeurs du Mossad ou de personnes qui entretenaient une certaine rancœur envers lui.

Vingt ans plus tard, vous vous êtes finalement intéressé aux services de renseignement français, pour quelle raison ?

Le monde a changé, ce qui m’a donné envie de faire une série sur la DGSE. Pourquoi pas sur un autre service de renseignement ? Parce que l’engagement narratif que demande une série (plusieurs saisons, de nombreux épisodes) implique de traiter son sujet avec sérieux. Puisque je suis français, le seul service de renseignement que je pouvais traiter avec sérieux était la DGSE, je n’allais pas faire une série sur la CIA.

De plus, alors que j’étais engagé dans l’écriture de la série, il y a eu les attentats contre Charlie Hebdo et ceux du 13 novembre. Le renseignement ne pouvait plus être perçu de la même manière. Avant, on pouvait ne pas aimer le secret ou avoir des soupons envers les services secrets, aujourd’hui on comprend, on a besoin, on désire même le secret : c’est par le secret que notre sécurité est assurée.

Comment avez-vous travaillé pour que cette série soit aussi réaliste ?

Je suis allé voir la DGSE pour leur proposer mon projet car il ne me semblait pas possible de faire une série sur la DGSE contre elle et sans son aval. C’est déjà le cas pour faire un film : il faut aimer son sujet, ses personnages, mais c’est encore plus fort dans une série parce qu’il faut s’engager pendant plusieurs années. Je n’allais pas critiquer la DGSE pendant cinq ans ! Une série a également davantage le rythme de la réalité que le cinéma. C’est un format de fiction totalement adapté à la description d’un milieu professionnel. Évidemment, j’étais obligé de m’adapter, d’obéir aux lois du genre : l’espionnage c’est de l’aventure, du suspense, du policier d’une certaine manière. J’ai eu plusieurs réunions avec la DGSE, qui m’a donné l’autorisation de filmer devant ses locaux et d’utiliser son logo. Ensuite, ma méthode de travail a été de m’inspirer des valeurs de la DGSE – sérieux et rigueur – pour diriger mes équipes. Les scénaristes, les décorateurs, les metteurs en scène étaient censés reproduire la DGSE sans jamais y être allés. Or, le sérieux et la rigueur, ce n’est pas tout à fait quelque chose d’habituel pour les saltimbanques que nous sommes ! [Rires] Pourtant, c’est ce que je dois faire jouer aux acteurs. Du coup, je passe par un discours, une pédagogie, qui est probablement assez proche de celle du monde du renseignement. Dans ce monde, la moindre erreur, la moindre faute aura des conséquences extrêmement importantes, pour la personne et pour le pays. 

Cet entretien a été publié dans le numéro 16 d’Émile (Été 2019).