Émile Magazine

View Original

Virgil, la start-up qui brise le plafond de pierre

« 96 % des locataires âgés de 25 à 34 ans le sont malgré eux ». À cet âge, l'accès à la propriété est particulièrement difficile. Pour briser ce plafond de pierre, Saskia Fiszel et Keyvan Nilforoushan ont fondé Virgil, une start-up qui accompagne les jeunes dans leur investissement immobilier. Alumna de Sciences Po, entrepreneure engagée, Saskia Fiszel (promo 2011) raconte à Émile l'épopée de Virgil.

Propos recueillis par Maïna Marjany et Magalie Danican

Saskia Fiszel et Keyvan Nilforoushan, co-fondateurs de Virgil. (©Emmanuel Delaloy)

Comment votre parcours professionnel vous a-t-il amené vers l’entrepreneuriat ?

Après Sciences-Po j’ai rejoint l’ESSEC, avant de commencer ma vie professionnelle chez l’Oréal, une bonne école pour généraliste sans idée précise de l’avenir. C’est là que j’ai compris trois choses qui m’ont ensuite menées naturellement vers l’entrepreneuriat : d’abord, je voulais sentir mon impact direct sur les choses, qu’elles ne soient pas limitées à un domaine et qu’elles aillent vite, ce qui était incompatible avec un grand groupe. Ensuite, j’avais besoin de contribuer au bien commun – et les crèmes solaires ne parvenaient pas tout à fait à me donner satisfaction. Enfin, et c’est peut-être le plus important : j’y avais une super équipe et j’ai compris que c’est avant tout les gens avec qui l’on travaille qui font que ce que l’on fait a du sens.

Saskia Fiszel, co-fondatrice de Virgil. (DR

Ces trois points ont drivé la suite : j’ai rejoint onefinestay - une startup avant la mode des startup - qui se lançait en France pour m’occuper de tout le cambouis opérationnel du lancement et y grandir avec la croissance pendant 5 ans, jusqu’à son rachat par le groupe Accor. Aujourd’hui c’est devenu classique pour des jeunes diplômés de se frotter aux startups, mais à l’époque je faisais figure d’ovni au regard de mes camarades de Sciences Po avocats ou travaillant dans la banque et le conseil.

Keyvan Nilforoushan, co-fondateur de Virgil. (©Emmanuel Delaloy)

C’est là-bas que j’ai pris la mesure de ce qu’était à la fois le luxe immense et la difficulté quotidienne de construire une entreprise. J’y ai appris que l’entrepreneuriat est avant tout une histoire d’équipe et j’y ai d'ailleurs rencontré Keyvan, alors deputy CEO, avec qui j’ai ensuite co-fondé Virgil. Pour moi, l'entrepreneuriat a un attrait ultime : en s’entourant des bonnes personnes et en se donnant à fond, on peut - presque - tout résoudre. Et solutionner un problème qui nous semble majeur, en s’appliquant à faire les choses bien, et en recrutant une équipe qui nous donne envie d’abattre des montagnes et aussi parfois d’aller boire une bière, c’est l’assurance d’être sûre d’avoir envie d’aller « au bureau » tous les jours.

D’où vous est venu cet intérêt pour l’immobilier que vous partagez avec votre cofondateur ?

C’est le résultat de plusieurs facteurs. D’abord de mon expérience chez onefinestay, où nous avons créé une communauté de milliers de propriétaires et géré des milliers de beaux appartements dans toutes les grandes capitales américaines et européennes. Nous avons compris comment l’immobilier définit les villes, mais aussi le parcours de ceux qui y vivent. Et nous savons désormais que le fait de ne pas payer de loyer est le premier facteur d’épargne.

Ensuite, Keyvan et moi sommes des enfants et petits-enfants d'immigrés. Le fait de devenir propriétaire, pour la génération qui y arrive, revêt une très grande importance pour s’attacher à un pays. Nous avons été élevés dans l’attachement à la pierre tant pour sa valeur patriotique que méritocratique. Être propriétaire, c’est être lié d’une façon toute particulière à son territoire.

Cet intérêt est aussi un engagement qui me vient de mon expérience personnelle. J’ai pu devenir propriétaire grâce à un apport familial et j’ai vu la différence avec ceux de mes amis, qui, diplômés des mêmes études et dotés du même salaire, n’avaient pas la chance d’avoir un apport et sont restés locataires. Le Capital Immobilier de Virgil, c’est donner à tous la possibilité de se lancer.

Pouvez-vous nous expliquer le concept de Virgil en quelques mots ?

Virgil, c’est la nouvelle façon de devenir propriétaire. Virgil est né d’un constat simple : il existe un plafond de pierre : c’est devenu impossible de devenir propriétaire dans une grande ville quand on n’a pas d’apport, à moins d’acheter beaucoup trop petit ou trop loin de son lieu de travail. Résultat, les jeunes actifs sans apport familial continuent à louer, et seuls ceux qui ont déjà accès à un capital initial construisent un patrimoine.

Virgil co-investit jusqu'à 100 000 euros d’apport aux côtés des jeunes actifs pour leur permettre de devenir propriétaire sans compromis. Ils trouvent le bien de leurs rêves et Virgil l'achète avec eux. Grâce à Virgil, devenir propriétaire ou rester locataire redevient un vrai choix, pas un choix par défaut. Virgil redonne aux jeunes actifs les clés de leur futur. En contrepartie, Virgil détient de façon dormante une partie du bien.

Vous êtes basés à Paris mais votre action se déploie sur quel périmètre ?

À ce jour, nous accompagnons les projets à Paris et en première couronne – c’est là où la demande est la plus intense car la tension du marché y est très forte et difficilement supportable pour les jeunes actifs. Mais de façon générale, Virgil a du sens dans toutes les zones tendues – nous avons déjà fort à faire à Paris, mais nous prévoyons d’étendre Virgil à toutes les grandes métropoles françaises et européennes, partout où les jeunes actifs ont besoin de capital pour devenir propriétaire.

Pour le moment, Virgil accompagne essentiellement des investissements à Paris et en première couronne, où le marché est très tendu. (Crédit : pxhere)

À partir de quelle somme (ou de quel pourcentage de la somme totale) un jeune peut-il investir ?

Il n’y a pas de minimum, seulement celui qui est imposé par le marché pour devenir propriétaire d’une résidence principale. Lorsque les prix avoisinent 10 000€ du m2 à Paris, auxquels viennent s’ajouter les frais d’achat (taxes, garantie bancaire, notaire), on voit bien déjà à quel point un jeune actif en début de carrière et sans apport familial a besoin d’un coup de pouce pour s’acheter un 30m2.

Virgil co-investit l’apport manquant, jusqu'à 100 000 euros (dans la limite de 20% du prix du bien). Ce co-investissement s’ajoute au prêt bancaire - dont le montant est déterminé par les revenus - et à l’apport existant.

Arrêter de payer des loyers est la meilleure façon de construire son capital, aussi notre vision c’est que devenir propriétaire le plus tôt possible est la meilleure opération financière possible lorsqu’on est jeune actif.

Comment s’organise le co-investissement ? Est-ce par exemple facile de revendre lorsque l’on est copropriétaire ?

Avant tout, Virgil ce n’est pas seulement un co-investissement, c’est aussi un accompagnement à l’achat. Le parcours pour devenir propriétaire est trop souvent un parcours du combattant pour les jeunes actifs qui n’y ont aucun allié. Virgil est justement là pour être à leurs côtés : les accompagner tout au long du parcours, en leur conseillant des partenaires pour la recherche d’appartement, en sélectionnant des notaires pour leur agilité, en visitant l’appartement de leurs rêves pour vérifier qu’ils ne font pas une mauvaise affaire et en s’occupant du financement de bout en bout, puisque Virgil joue également le rôle de courtier.

Ensuite, Virgil fournit un apport qui s’adapte en fonction des besoins de l’acquéreur et devient un copropriétaire totalement dormant, pas de risque de le voir surgir un matin. Le propriétaire est chez lui, vraiment chez lui. Il est maître des décisions concernant son appartement, et surtout, il peut vendre à tout moment (dans un délai de 10 ans), no questions asked !

Explication du fonctionnement des financements par la startup Virgil (Capture d'écran du site internet de Virgil).

Pour parler de briser le plafond de pierre, ce dispositif est-il vraiment accessible à tous ? Est-ce un promoteur d’égalité des chances ?

96 % des 25-34 ans qui sont locataires le sont malgré eux, et 82% d’entre eux citent le manque de financement comme obstacle principal à l’accès à la propriété.

Le fait de devenir propriétaire ne devrait pas être réservé à ceux qui bénéficient d’un apport familial, alors qu’il est impossible de se constituer une épargne personnelle quand on est jeune actif dans une grande métropole et qu’on paye un loyer. Notre objectif est de briser ce cercle vicieux et de donner le choix de la propriété à tous les jeunes actifs.

C’est bien sûr un enjeu de méritocratie et d’égalité des chances ! Est-ce normal que celle-ci s’arrête au seuil de la résidence principale et que seuls ceux qui ont des parents qui peuvent les aider puissent devenir propriétaires et que les autres soient condamnés à payer un loyer ? Il faut du capital pour construire du capital, et redonner des chances à tous devant l’accès à la propriété est au cœur de Virgil.

Pour être éligible à Virgil, il faut simplement avoir des revenus récurrents qui permettent d’emprunter, puisque l’apport Virgil vient compléter l’emprunt bancaire. Nous croyons fermement à l’égalité des chances, et pensons qu’elle doit s’étendre à l’accès à la propriété ; que le meilleur moyen de changer la trajectoire de toute une génération, c’est de faire que chacun puisse commencer à construire son propre patrimoine plutôt que de continuer à enrichir son bailleur.

Pensez-vous qu’aujourd’hui la crise du Covid est propice à l’acquisition de capital immobilier particulièrement pour les jeunes ?

Devenir propriétaire a avant tout du sens pour arrêter de payer un loyer, et cela ne change pas avec le Covid. Certes, on a pu voir depuis le début de l’année un resserrement des conditions de financement pour les jeunes actifs : le Haut Conseil de la Stabilité financière a demandé aux banques de restreindre leurs conditions de prêt, ce qui a particulièrement impacté les jeunes actifs dotés de peu d’apport. Mais la crise sanitaire n’a pas eu que des impacts négatifs. Avec l’incertitude pour les vendeurs de pouvoir vendre aussi vite qu’avant, elle a apporté aux primo-accédants davantage de pouvoir de négociation face aux vendeurs : les jeunes actifs voient les chances qu’un bien leur passe sous le nez se réduire, c’est donc un moment très judicieux pour se lancer !