Covid-19 : "Au Brésil, on danse"
Si le Brésil a été tardivement touché par la pandémie de coronavirus, le pays enregistre désormais plus de 2200 cas déclarés. Face à cette crise sanitaire sans précédent, les mesures prises par le gouvernement apparaissent timides et insuffisantes vues de l’étranger : confinement partiel, gestion de crise improvisée, population brésilienne peu ou mal informée… Alexandrine Brami, présidente de la section Brésil de Sciences Po Alumni, nous livre son analyse et ses inquiétudes quant à la gestion de la crise au pays de la samba.
Une banalisation de la crise
Le premier mort du coronavirus a été annoncé mardi 17 mars au Brésil. Depuis, tout s'est accéléré et nous enregistrons sept jours plus tard un total de 46 morts et plus de 2200 cas déclarés. La propagation du Covid-19 fait peser sur la 9ème puissance économique mondiale – outre une grave crise sanitaire – la menace d'une crise économique, financière et sociale sans précédent.
Certes, le Brésil a été tardivement touché par la pandémie. Mais le principe de précaution aurait dû prévaloir. Or le gouvernement fédéral - pourtant au fait de la situation internationale - a mis du temps à réagir. Le Président Jair Bolsonaro, garant des institutions, multiplie en suivant Donald Trump les discours totalement à contre-courant de la communauté internationale, banalisant l'ampleur de la crise, dénonçant la mobilisation des médias, des gouverneurs et des maires, appelant même au « déconfinement » et à la réouverture des écoles dans son allocution télévisée retransmise mardi 24 mars. Ses interventions répétées – en conférences de presse et sur les réseaux sociaux – alimentent malaise et inquiétude dans la communauté scientifique, chez les Brésiliens résidant à l'étranger et dans une frange croissante de la population, notamment chez les expatriés.
Si aujourd'hui l'ensemble des 27 États du pays sont touchés, la majorité des cas enregistrés se trouvent dans la région sud-est, soit la zone la plus peuplée. L’État de São Paulo est le plus durement touché avec 810 cas déclarés, suivi par l'État de Rio de Janeiro avec 305 cas. Le nombre de cas réels, personne ne le connaît.
Des mesures gouvernementales insuffisantes et une population mal informée
Face à la menace de propagation, les mesures prises par les autorités à tous les niveaux de gouvernement – Union, États, Municipalités – peuvent sembler timides et insuffisantes vues de l'étranger : fermeture partielle jusqu'à mi-avril des frontières aériennes aux ressortissants de nombreux pays, à l'exception des Etats-Unis, pourtant durement touchés par l'épidémie ; fermeture pour 15 jours des frontières terrestres, à l'exception de celles avec l'Uruguay ; fermeture progressive des écoles, des universités, des gymnases et des clubs de foot ; restriction à la mobilité sur les plages et dans les shopping centers ; fermeture des magasins, bars et restaurants, à l'exception des établissements pratiquant la livraison à domicile qui tournent à plein régime. Le Brésil, pays d'exceptions...
Certes, plusieurs gouverneurs et maires ont déclaré l'état d'urgence et pris des mesures plus strictes pour contenir la propagation du virus : la totalité de l'État de São Paulo est en quarantaine depuis mardi et la ville de Rio de Janeiro est désormais isolée, le transport interurbain ayant été suspendu. Mais la mise en quarantaine n'affecte ni l'industrie ni les services jugés essentiels à la population, parmi lesquels les banques, les loteries et les pet shops. Le confinement est partiel et la gestion de la crise largement improvisée.
Exposés à la critique, la Chambre des Députés et le Sénat (au cours de la première session virtuelle de son histoire) ont approuvé le décret-loi présidentiel instituant l'état de calamité publique. Cette décision permet à l'exécutif fédéral de renoncer à atteindre l'objectif de déficit fiscal fixé pour 2020. Mais elle ne réduit pas le risque de dissémination massive du coronavirus, en particulier dans les favelas, les prisons et les squats, où l'insalubrité cohabite avec le manque d'accès à l'information.
Les conséquences sont prévisibles et terribles.
Face à l’aggravation de la pandémie, quelles perspectives pour le Brésil ?
Le Brésil compte 6329 favelas où s’entassent littéralement 11,4 millions de personnes, soit 6% de la population. Les travailleurs informels, dont de nombreuses employées domestiques, se sont subitement retrouvés sans travail, sans aucun filet de sécurité, avec des enfants en bas âge à nourrir qui n'ont plus accès aux repas servis à la cantine, puisque les écoles publiques ont toutes été fermées.
Du côté des prisons, les perspectives sont aussi noires. Le Brésil est, après les États-Unis et la Chine, le pays qui compte le plus de détenus, 800 000 au total, 10 fois la population carcérale en France, pour une population trois fois supérieure (211 millions d’habitants). Nous prévoyons des mutineries, des évasions et... de nombreux massacres.
Et pour le reste... Les hôpitaux publics possèdent 46 000 appareils d'assistance respiratoire, mais moins de 30 000 lits de soins intensifs inégalement répartis sur le territoire et occupés à 80%. Dans certains hôpitaux, qui deviendront rapidement des mouroirs, les malades s'entassent déjà dans les couloirs. Selon le ministère brésilien de la Santé, le système de santé publique, déjà défaillant, pourrait s’effondrer fin avril.
En résumé, les mesures prises par les autorités brésiliennes visent surtout à contenir la propagation du Covid-19. Elles ne l'arrêteront pas. Loin de là. D'autant que si les expatriés et les familles aisées se terrent désormais à domicile ou dans leur maison de campagne, la majorité de la population brésilienne, peu ou mal informée, continue de sortir, les marchés et les lieux de culte attirent encore la foule, les travailleurs dans l'industrie sont exposés.
Le monde entier est en état d'alerte... et le pays de la samba continue de danser.
Chez les Alumni, aux quatre coins du Brésil, nous anticipons le pire.