Émile Magazine

View Original

Covid-19 : La crise sanitaire vue de l'Italie

Le nombre de décès liés au Covid-19 en Italie est reparti à la hausse ce mardi 24 mars, malgré un ralentissement de la contagion. Promulgation de décrets de plus en plus restrictifs, fermetures des entreprises et usines non essentielles sur l’ensemble du territoire, interdiction ferme de quitter sa commune… Quelles sont les mesures mises en oeuvre par le pays pour endiguer l’épidémie et soulager au mieux les hôpitaux ? Camilla Pagani, responsable de l'antenne milanaise de Sciences Po Alumni, a répondu aux questions d’Émile.

Banderole italienne accrochée à une fenêtre avec écrit "Tout ira bien" à Bologne lors de la pandémie de Covid-19 en mars 2020. (Crédits: Pietro Luca Cassarino)

Quelles ont été les premières mesures prises par le gouvernement italien pour lutter contre l'épidémie de Covid-19 ?

Le 30 janvier, l'Italie a pris la difficile décision de bloquer tous les vols en provenance et à destination de la Chine pour une durée de 90 jours. En dépit des strictes mesures de contrôle dans tous les aéroports et gares depuis le mois de janvier, le virus a débarqué en Italie. Le premier cas de COVID-19 s'est présenté le 18 février 2020 à Codogno en Lombardie. Il s’agissait d’un homme de 38 ans en pleine forme sportive, habitué des marathons. Le 23 février, un premier décret a mis en quarantaine les quelques communes dans les régions de Lombardie et de Vénétie où se trouvaient des clusters, en suspendant également tous les événements et en fermant les écoles, les crèches et les universités de deux régions.

Par la suite, de nombreuses mesures de plus en plus restrictives sont entrées en vigueur en aboutissant par le décret du 9 mars à la décision du confinement total des individus à leur domicile. Enfin, celui du 11 mars proclamait la fermeture de toutes les activités commerciales non nécessaires.

Les mesures prévues à partir du 11 mars sont les suivantes : fermeture des activités commerciales non essentielles comme les cafés, restaurants, coiffeurs, centres esthétiques. Restent ouverts seulement les magasins liés à l'alimentaire, les stations services pour l'essence, les kiosques à journaux, les pharmacies et parapharmacies. Les usines restent ouvertes avec des mesures sanitaires de sécurité. Toute manifestation sportive, culturelle, artistique, scientifique est suspendue. Les écoles et universités sont fermées sur l'ensemble du territoire national jusqu'au 3 avril (la date sera sûrement repoussée), même si les activités didactiques continuent par voie numérique.

Le dernier décret du 22 mars marque de fait la fermeture de toutes les entreprises, usines et activités non essentielles sur tout le territoire national jusqu'au 3 avril.

Quelle est la situation actuelle ?

La situation actuelle est toujours dramatique avec 50 418 personnes testées positives et 6077 décès (au 23 mars), même si les chiffres semblent courir un peu moins vite que la semaine dernière.

Les gens sont confinés sans possibilité de sortir sauf pour raisons médicales ou professionnelles urgentes, et pour faire les courses ou acheter des médicaments. Toute sortie doit être faite de manière individuelle sur présentation d'une déclaration signée justifiant les raisons de la sortie.

D'une manière générale, est-ce que la population applique scrupuleusement les règles et restrictions mises en place ?

Étrangement la population dans son ensemble a respecté les règles et bien réagi au confinement, à l'exception de quelques cas ayant été dénoncés par la police. Il faut tout de même rappeler que la nuit où le décret d'isolement a été annoncé, de nombreux étudiants et travailleurs ont quitté Milan et le nord pour aller chez leurs familles dans le sud. C'est similaire au grand départ des parisiens vers la province ou les maisons de campagne. Dès lors, afin d'éviter une diffusion du virus plus étendue sur le territoire, les autorités ont interdit tout déplacement en dehors de sa propre commune sauf pour des raisons d'extrême nécessité.

Au quotidien, qu’est-ce que cela change pour vous ?

Au quotidien tout a changé dans ma vie ! En premier lieu, mes deux enfants de 18 mois et 4 ans sont à la maison depuis le 23 février. La garde des enfants par les grands-parents ou par des nounous est interdite du fait de l'éloignement social requis par la situation. Cela implique la garde quotidienne des enfants du matin au soir. Depuis le 9 mars, nous sommes confinés dans notre appartement du centre-ville de Milan et ne pouvons pas sortir pour une activité sportive, ou une simple balade. Il s’agit certes une mesure nécessaire, néanmoins cela est très difficile avec des enfants en bas âge.

En raison de l'interdiction de voyager et de l'annulation de toute conférence ou événement, la majorité de mes projets professionnels et de recherche ont été annulés ou repoussés à une date ultérieure. Dans le temps très court que j'ai, je travaille sur mes projets de recherche et de conférence (j'en ai une à l'université MGIMO de Moscou pour le mois de mai que je ferai très probablement par Skype !).

Le confinement implique l'interdiction de voir nos proches et nos amis. Les seules sorties autorisées sont pour les courses - que nous faisons une fois par semaine - ou pour des raisons de santé ou d'urgence sur présentation d'un justificatif signé. Les sorties non justifiées peuvent être sanctionnées jusqu'à 2000 euros d'amende !

Quelle est la situation médicale en Italie ?

Afin de comprendre la situation médicale italienne, il faut savoir que le système sanitaire national est divisé en sous-systèmes régionaux. La Lombardie, épicentre de l'épidémie, est considérée comme ayant l’un des meilleurs systèmes de santé et les meilleurs hôpitaux d’Italie voire d’Europe. Néanmoins, la violence et la rapidité du virus ont pris les autorités sanitaires et politiques par surprise. Personne n'aurait pu imaginé ce qui allait se produire. En particulier, ce sont les provinces de Bergame, Brescia, Milan, Piacenza qui souffrent le plus, et tout cela est arrivé en l'espace de quelques jours si l'on regarde les courbes de diffusion du virus. Le vrai enjeu est le nombre de places en thérapie intensive, or depuis quelques temps les hôpitaux sont saturés malgré les efforts extraordinaires des médecins, infirmiers, et personnels sanitaires.  

Je voudrais d’ailleurs les remercier ici publiquement ! J'espère aussi qu'il sera possible de faire une récolte de dons auprès des Alumni pour les hôpitaux nécessitant des aides. Il est important d'être unis et d'aider comme on peut.