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Coronavirus en prison : vers des libérations anticipées massives ?

Depuis une semaine, de nombreuses associations, des avocats ou encore la contrôleure générale des lieux de privation de liberté (CGLPL) ont multiplié les tribunes pour mettre en garde contre les éventuelles conséquences d'une propagation de l'épidémie dans les prisons françaises vétustes et surpeuplées. Prenant cette menace très au sérieux, la Garde des Sceaux Nicole Belloubet a présenté ce mercredi 25 mars une série d'ordonnances permettant de faciliter la libération de plusieurs milliers de détenus. Pour mieux comprendre la situation et les mesures adoptées par le Gouvernement, Émile s’est entretenu avec Jérôme Giusti, avocat au barreau de Paris et Président de l'association Droits d'urgence.

Ces derniers jours, la contrôleure générale des lieux de privation de liberté (CGLPL), le Défenseur des droits, des organisations et de nombreux magistrats et avocats ont appelé à libérer "massivement" et en "urgence" des détenus afin d'éviter une crise sanitaire et sécuritaire en prison. Quelle est la situation aujourd’hui dans les prisons ?

La question des prisons n’est malheureusement pas nouvelle. La Cour européenne des droits de l’homme a récemment condamné la France. Cette haute juridiction a estimé à juste titre que les conditions de détention au sein des établissements français surpeuplés étaient déjà problématiques et qu’elles devaient s’assimiler à un traitement inhumain et dégradant.

Le Covid-19 est dès lors, comme dans beaucoup de domaines, un révélateur des maux français. C’est pourquoi, nous avons mis, depuis plusieurs mois, la question des prisons au centre de travaux que nous menons à l’Observatoire Justice de la Fondation Jean Jaurès, que je codirige avec Dominique Raimbourg. Dominique Raimbourg, ancien député, est un expert de cette question, ayant dirigé une mission Encellulement Individuel. Faire de la prison un outil de justice, dont le rapport a été remis à la Garde des Sceaux Christiane Taubira en 2014. Je préside, pour ma part, l’association humanitaire Droits d’urgence qui a créé, il y a près de 20 ans, à la Santé à Paris, le premier point d’accès au droit en prison. Nous venons d’ailleurs de publier ensemble une tribune le 25 mars 2020 à ce sujet.

En dehors d'une courte période au début des années 2000, la surpopulation carcérale a toujours été un fléau endémique en France. Le 1er janvier 2020, 70 651 détenus se partageaient 61 080 places, soit 115 personnes pour 100 places. Ce chiffre est mathématiquement exact. Cependant il ne rend pas compte de la situation car c'est une moyenne calculée sur l'ensemble des prisons. Il y a en France trois types d'établissements : les maisons d'arrêt, les centres de détention et les maisons centrales. Les maisons d'arrêt abritent des prévenus en attente de jugement et des condamnés théoriquement jusqu'à un maximum de deux ans d'emprisonnement. Les centres de détention abritent les condamnés à des peines au-delà de deux ans tandis que les maisons centrales sont faites pour les longues et très longues peines.

Depuis les grandes émeutes des années 1970, l'administration pénitentiaire n’admet des détenus dans les centres de détention que lorsqu'il y a une place. Donc la surpopulation n'existe que dans les maisons d'arrêt. Elles servent de sas d'attente pour ceux qui ont vocation à être affectés en centre de détention ou en maison centrale, en fonction de la durée de leur peine. En revanche, aucun phénomène de surpopulation n'affecte les centres de détention ou les maisons centrales. Le 1er janvier 2020, dans les maisons d'arrêt, il y avait 138 personnes pour 100 places, ce qui est la vraie mesure de la surpopulation. En conséquence 1 614 détenus y dormaient sur un matelas posé au sol. Le 1er janvier 2020, les maisons d'arrêt détenaient 48 288 personnes sur les 70 651 prisonniers.

La ministre de la Justice semble avoir entendu cet appel puisqu’elle a présenté ce mercredi 25 mars, en conseil des ministres, une série d’ordonnances assouplissant les conditions de libération anticipée et d’octroi de crédits de réductions de peines en raison de la situation sanitaire. Combien de personnes seront concernées par ces mesures ? Pensez-vous que cela suffira à éviter la catastrophe sanitaire que beaucoup redoutent ?

Nicole Belloubet le 26 juin 2019 à Poitiers. (Crédits : CC/Enrique Prazian/WikimediaCommons)

À l’heure où j’écris ces lignes, j’écoute la Garde des sceaux Nicole Belloubet sur la matinale de France Inter. Selon ses chiffres, 10 détenus ont été testés positifs et 450 ont des symptômes. La ministre énonce les mesures prises. Premièrement, des mesures de protection sanitaire, en faisant en sorte que les parloirs soient suspendus mais qu’il y ait des mesures de compensation (forfaits téléphoniques gratuits, promenades maintenues, etc …), distribution prioritaire de masques pour le personnel pénitentiaire et, semble-t-il, possibilité de confinement pour les personnes symptomatiques. Et deuxièmement, des mesures pour mettre fin à l’incarcération de certains détenus selon des critères stricts, au bénéfice des détenus qui sont à moins de deux mois de la fin de leur détention, à la condition qu’ils puissent garantir de pouvoir se confiner chez eux. Sont exclus de cette levée d’écrou ceux détenus pour des faits de terrorisme, faits criminels graves et violence interfamiliales.

Nicole Belloubet déclare également avoir demandé aux procureurs de la république de ne requérir à la détention provisoire que pour les prévenus les plus dangereux afin de limiter l’entrée en prison.

Depuis le confinement, déjà 1.600 au moins seraient sortis de prisons. Pour ceux qui purgent une peine dont la fin expire dans moins de 6 mois, la ministre dit également réfléchir à des mesures de libération sous contrôle judiciaire, pour ceux qui ont toutefois un comportement exemplaire. Elle se dit en revanche catégoriquement opposée à une mesure générale visant à libérer toutes les personnes en détention provisoire car les risques seraient trop importants.

Dans ces conditions et pour répondre franchement à votre question, cela ne suffira pas à éviter la catastrophe sanitaire annoncée, pour les détenus comme pour le personnel pénitentiaire. Ces mesures sont bien en-deçà de ce qu’ont demandé la contrôleure des prisons, le défendeur des droits et la plupart des professionnels du droit. La réponse de la ministre de la Justice reste malheureusement dans une logique répressive : elle n’est pas à visée sanitaire. A-t-elle parlé des personnes vulnérables, de santé physique et psychologique fragiles ? A-t-elle évoqué un objectif qui pourtant, serait le seul à poursuivre, à savoir l’encellulement individuel ? Non et c’est dommage. 

Au-delà de ces libérations anticipées, quelles autres mesures peuvent être engagées pour désengorger les prisons françaises ?

Justement, la première réponse serait de viser comme objectif le confinement individuel. Il est évidemment difficile à appliquer en prison et complique la vie des établissements, des surveillants et des détenus mais c’est un impératif d’ordre public, ici plus qu’ailleurs.

Le taux d’encellulement individuel était de 40,9 % des détenus le 1er janvier 2020. Ici encore ce pourcentage est trompeur car il s'agit aussi d'une moyenne. Les seuls chiffres dont nous disposons pour préciser la situation sont un peu anciens. En 2014, date du rapport de Dominique Raimbourg, le taux d'encellulement individuel était de 39,65 % de l'ensemble des détenus. Mais en entrant dans le détail, on s'aperçoit que ce taux n'était que de 16,5% d'encellulement individuel dans les maisons d'arrêt, alors qu'il était de 87,2% dans les centres de détention et les maisons centrales. La situation a peu évolué depuis et les maisons d'arrêt concentrent à la fois surpopulation et manque de cellules individuelles. La situation dans ces maisons d'arrêt se résume donc facilement : des prisons surpeuplées et des détenus entassés à plusieurs par cellule. Il est bien difficile de lutter contre une épidémie dans ces conditions. Il faut donc déclarer l’état d’urgence sanitaire en prison.

Si l’on prend les derniers chiffres connus datant du 1er octobre 2019 permettant de donner un ordre de grandeur : 3407 détenus étaient à un mois ou moins de la sortie, soit 7,1% de l'ensemble des condamnés, hors prévenus en attente de jugement, 2886 étaient entre 1 et 2 mois de leur fin de peine, soit 5,8% des condamnés, 11 053 étaient entre 2 et 6 mois soit 22,4% des condamnés. Cela fait beaucoup plus que les 5 000 libérations annoncées par le ministère de la Justice. Bien évidemment cette libération pourrait s'accompagner d'un contrôle de l'état de santé des sortants de façon à prendre des mesures individuelles. De plus, les détenus visés par la libération au titre de l'urgence sanitaire auraient le pouvoir de refuser cette mesure de sortie anticipée au motif qu'ils n'ont pas terminé les préparatifs de leur remise en liberté.

Souvenons-nous. À l’époque où la grâce présidentielle existait encore, le Président Jacques Chirac avait gracié 5 539 personnes. Nous étions en 2006. En 2008, le Président Nicolas Sarkozy a fait réviser la constitution pour que ce délai de grâce n’existe plus. C’était toutefois un bon moyen de gestion carcérale.

La deuxième réponse consisterait à accélérer la mise en œuvre de tous les mécanismes d'aménagement de la peine de prison : libération sous contrainte, placement à l'extérieur... La troisième solution serait le numérus clausus inversé. Le principe est simple. Il s'agit non de freiner l'entrée de condamnés en prison mais d'accélérer la sortie de ceux qui sont proches de la fin de peine en cas d'entrée d'un nouveau détenu en surnombre. Dans ce cas, le juge d'application des peines dispose de deux mois pour prononcer une mesure d'aménagement de peine pour un détenu proche de la fin de peine. Dans une période de surpopulation, le mécanisme peut s'appliquer à raison de deux sortants pour un entrant. Dominique Raimbourg avait développé un projet de loi en ce sens, bien entendu, non voté.

Et quand cette crise sera passée, il faudra penser à abolir la prison comme on a aboli la peine de mort il y a 40 ans. Ce n’est pas moi qui le dis. C’est Henri Badinter qui le déclarait, le 18 mars 2017, sur Europe 1 : le problème de la justice ne semble pas intéresser le « candidat Macron ».


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Lire la note de la Fondation Jean Jaurès, Prison et Covid-19 : État des lieux, rédigée par Jérôme Giusti et Dominique Raimbourg.