Covid-19 : la Suisse s'organise
Voisin direct de l’Italie, la Suisse est en première ligne face au risque de diffusion de l’épidémie sur son territoire. Avec plus de 8000 cas et 90 décès annoncés au 24 mars, la région helvétique est pleinement touchée. Quelles mesures ont-été prises par le gouvernement de la Confédération suisse, et quelles implications la gestion d’une telle crise dans un État fédéral au pouvoir traditionnellement éclaté peut-elle avoir ? Richard Féraud, président de la section Suisse de Sciences Po Alumni a répondu aux questions d’Émile.
Quelles ont été les premières mesures prises par le gouvernement de votre pays pour lutter contre l’épidémie de Covid-19 ?
Les premières mesure prises par le Conseil Fédéral (Gouvernement Suisse, fonctionnant de manière collégiale) ont été annoncées le 13 mars, soit quelques jours après la France, puis complétées les 16 et 20 mars par un durcissement progressif des contrôles ou des restrictions de circulation, mais accompagnés de mesures visant à soutenir les entreprises.
En effet, le 13 mars, les écoles, universités, centres de formation, etc. ont fermé leurs portes. Les rassemblements de plus de 100 personnes ont été interdits, nombre réduit ensuite à 10 personnes puis 5 personnes. Toutes les activités non essentielles (annoncées les 16 et 20 mars) ont suivi. Le télétravail est vivement encouragé et seuls le travail dans des conditions respectant la distanciation sociale et les activité essentielles sont maintenus. « L’état de nécessité » (équivalent de l’état d’urgence français) a été déclaré le 16 mars.
Des contrôles renforcés aux frontières des pays à risque (Italie, France) ont été mis en place, avec des exceptions pour les nationaux et les détenteurs de permis de travail (frontaliers ou résidents permanents). La Suisse étant intégrée à l’espace Schengen, la mesure n’est pas encore une fermeture totale qui a été annoncée ensuite le 20 mars assortie d’une interdiction de voyages hors de Suisse. Seuls les frontaliers peuvent encore passer la frontière mais le cantons du Tessin a durci la mesure en décrétant le confinement total.
Concernant le soutien à l’économie et aux entreprises, le gouvernement a débloqué 10 milliards de CHF de mesures de soutien à l’économie le 13 mars, ensuite portées à 42 milliards de CHF le 20 mars. Des décisions inédites ont été prises pour faciliter le travail à la maison ou le chômage partiel pour les activités dont la cessation a été imposée par les décisions gouvernementales. Aucun confinement au travail ou dans l’espace public n’a été mis en place : la Suisse mise sur la responsabilité individuelle de chacun et le sens civique de ses citoyens. À l’exception du Canton du Tessin jouxtant l’Italie, qui a décrété le confinement total après plusieurs semaines de développement de l’épidémie.
L’armée de milice en Suisse est sollicitée par l’appel de 8 000 miliciens-citoyens Suisses dans les unités spécialisées du Service de Santé des Armées et le Service de la Logistique, pour venir en appui aux hôpitaux publics.
À noter, les décisions imposées par le Conseil Fédéral sont inédites dans l’histoire suisse depuis la Seconde Guerre mondiale, car l’État central (Fédéral) à Berne a imposé des mesures transversales à tous les Cantons suisses, qui dans certains cas ont renforcé le confinement et/ou les pénalités imposées en cas de non-respect.
Depuis le 16 mars, la Suisse est en « situation extraordinaire », ce qui confère au Conseil Fédéral des compétences d’intervention plus étendues. Ce renforcement du pouvoir central/ fédéral s’est fait dans une approche prudente, par étapes. La Suisse n’est pas, contrairement à la France, un État centralisé où le président annonce ses décisions au journal télévisé de 20 heures. La structure fédéraliste en Suisse signifie qu’il faut impliquer les cantons et son gouvernement intègre les principales forces politiques, ce qui signifie qu’il faut fédérer des positions souvent diamétralement opposées.
Quelle est la situation actuelle ?
Il n’y a pas changement à signaler au 25 mars, mais la situation devrait se durcir dans certains cantons particulièrement touchés : Tessin, 2 cantons de Bâle, Genève, Vaud ; au total 22 cantons sur 26 sont touchés par l’épidémie de Covid-19. De 210 cas avérés le 6 mars, la situation est passée au 24 mars à plus de 8800 cas et 90 décès liés à cette maladie. Le taux de prévalence dans la population Suisse est semble-t-il assez élevé alors que le dépistage par test systématiques n’est pas en place.
En termes de contagion du Covid-19, il est frappant d’observer que le coronavirus a une géographie culturelle. Les habitants des régions latines sont plus tactiles et ils observent moins de distance sociale que dans les cantons germaniques. Et si c’était le fait d’un rapport à l’autre différent, qui traduit ainsi le concept d’un « Rostigraben » qui va au-delà de la différence linguistique ?
D’une manière générale, est-ce que la population du pays applique scrupuleusement les règles et restrictions mises en place ?
Dans leur ensemble, les Suisses semblent suivre ces mesures, envers lesquelles ils se montrent plutôt disciplinés. Et curieux : dans la culture germanique, on présuppose que la responsabilité individuelle entraînera la responsabilité collective. Une vision étrangère à la culture du Sud de l’Europe, où la marche ä suivre est censée « venir d’en haut.» La Suisse, à cheval, décline ces deux cultures. Historiquement, elle fait la synthèse entre la France et l’Allemagne, ou la Grande-Bretagne et l’Italie. Dans les guerres de religion déjà, la Suisse a tenté la synthèse en cherchant le compromis. Cette valorisation de la responsabilité individuelle trouve ses fondements dans la faiblesse de l’Etat, avec un héritage constitutionnel très fort oû le rôle des cantons et du Fédéralisme contrebalance celui du gouvernement Bernois.
Au quotidien, qu’est-ce que cela change pour vous ?
Les villes sont semi-désertes et l’activité résiduelle varie d’un canton à l’autre. Les enfants sont à la maison mais des cours à distance sont données pour les lycéens, et les collégiens. Les écoles primaires quant à elles organisent un suivi des classes par des moyens informatiques, tous les élèves de plus de 10 ans ont un ordinateur fourni par l’école pour faire leurs devoirs et échanger avec leurs enseignants.
Des mesures ont été décidées pour les indépendants, les TPE ou les PME qui composent plus de 80% du tissu économique suisse favorisant le chômage partiel, des indemnités économiques, et le report des paiements de charges sociales. Egalement les poursuites et action en justice en cas de difficultés de paiement ont été supprimées. La Suisse est une économie assez libérale qui ne fonctionne pas de manière centralisée ou sur la base d’une structure de grands groupes, mais grâce à un tissus de TPE, PME et PMI très diffus sur le territoire ; l’économie suisse est très dépendante de son commerce extérieur avec l’UE, et va souffrir de l’absence d’activité dans certaines entreprises, due à un choc de l’offre ou à une baisse drastique de la demande.
Concernant les produits de première nécessité, l’approvisionnement en produits alimentaires est bien géré et il n’y a pas de pénuries dans le réseau de magasins alimentaires encore ouverts. Les stations-services, garages, et certains commerces de vente à emporter (gastronomie) fonctionnent encore, et la demande de services de livraison à domicile a explosé.
Quelle est la situation médicale en Suisse ?
Les autorités Suisses (OFSP = Ministère de la Santé) ont dédié aux hôpitaux publics le traitement des cas de Covid-19 et une coopération public-privé s’est mise en place pour traiter les opérations de chirurgie ambulatoire et repousser les interventions médicales non urgentes.
Dans le Canton de Zürich, le plus peuplé en Suisse, les hôpitaux publics ne sont pas surchargés et ont des stocks de masques et matériels de protection. Par ailleurs, l’armée Suisse avait un stock de masques de réserve qui a été libéré en partie pour le secteur de la santé. Enfin, les médecins non spécialistes des maladies infectieuses ou pulmonaires sont priés de rester en réserve au cas ou, et sont mis pour certains en congés ou en chômage partiel.