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La Bretagne face au Covid-19

Aux quatre coins de la France, la crise sanitaire et économique n’est pas forcément vécue de la même manière. La région de la Bretagne est, pour le moment, moins touchée par l’épidémie. Quelle est la situation sur place ? Comment l’économie locale résiste-t-elle ? Jacqueline Martin Guégan, co-présidente de la section régionale Bretagne de Sciences Po Alumni, répond aux questions d’Émile.

Phare de l’île de Bréhat, Bretagne (Crédits : Pixabay)

Quand les premiers cas de Covid-19 sont-ils apparus au sein de votre région ? Quel est le stade d’avancée de l’épidémie à l’heure actuelle ?

La région Bretagne a été touchée par le Covid-19 dès le 1er mars, avec des cas « importés » signalés près de Lorient (région d’Auray-Quiberon). Les malades ont été hospitalisés à Vannes. Les établissements scolaires de ce secteur ont été très rapidement fermés. De nouveaux cas sont apparus en Ille-et-Vilaine, et simultanément autour de Brest. Dans les Côtes-d’Armor, les premiers cas n’ont été constatés qu’à la mi-mars, suite à l’arrivée d’une famille de trois personnes venant de l’Oise, testées positives et hospitalisées à Saint-Brieuc. Le Centre Bretagne n’a pas été touché, peut-être en raison de la faible densité urbaine et de la prépondérance de l’habitat individuel. 

Des mesures drastiques de confinement ont été prises, dans les quatre départements bretons, à compter du 17 mars. 

Au 7 avril, la Bretagne reste relativement épargnée par la pandémie, en raison de l’éloignement des zones de contamination, mais aussi grâce à l’application précoce du principe de distanciation et des mesures-barrière, tous les cas initiaux s’étant révélés suite aux retours des vacances de février. Avec les réserves tenant à l’absence de prise en compte des patients asymptomatiques non diagnostiqués par des examens de virologie, les chiffres sont les suivants : 

Au 6 avril, 1342 personnes atteintes (dont 104 décès et 108 malades actuellement en réanimation), soit 0,04% d’une population de 3,329 millions d’habitants. La surmortalité par rapport à la même période de 2019 ne représente que 2% (à comparer aux 11% de la région Île-de-France et aux 19% du Grand Est).

La région est-elle bien équipée pour faire face à l’épidémie ? Quelles sont les principales difficultés rencontrées ? 

Il y a une relative sous-dotation médicale dans les parties rurales de la région, mais les métropoles (Brest-Quimper, Lorient-Vannes, Rennes-Saint Malo) sont équipées de structures hospitalières publiques et privées de qualité reconnue. L’activité dans ces hôpitaux est actuellement calme, d’autant que les actes non urgents ont été déprogrammés pour assurer une capacité maximale dans les services d’urgence et de réanimation. Cela permet l’accueil des malades transférés des régions plus touchées.

Hôpital de Vannes, Bretagne (Crédits : Stéphane Batigne/Wikicommons)

Le service de pneumologie de l’hôpital de Vannes a mis en place une technique remarquable (oxygène à haut débit) qui évite l’intubation, a moins d’effets secondaires et réduit la durée d’hospitalisation des patients en détresse respiratoire. Cette technique est maintenant appliquée au CHU de Rennes.

Par contre, la pénurie d’équipements de protection est patente non seulement chez les soignants, mais aussi chez tous ceux qui travaillent dans l’assistance aux personnes âgées, et chez les pharmaciens, infirmiers libéraux… Une très forte solidarité entre médecins hospitaliers, libéraux, mais aussi secteurs industriels de la santé, a été constatée par l’ARS.

Les autorités locales (municipalités, régions) ont-elles pris des mesures particulières pour faire face à cette crise sanitaire ?

Le Conseil Régional a mobilisé 100 M€ pour cette crise, destinés à soutenir les entreprises et à développer des systèmes d’aides. Tout en renforçant les mesures de confinement pour les particuliers (interdisant les activités nautiques et l’accès aux bords de mer, suite à l’arrivée des « parisiens »), les Préfets sont montés au créneau  pour protéger la filière agro-alimentaire, pour que les filières d’approvisionnement industriel ne soient pas cassées, et pour promouvoir une appréciation individuelle et responsable des situations. Le Préfet du Finistère : « une entreprise ne doit pas se tirer une balle dans le pied et se mettre en détresse ». Celui du Morbihan a appelé « tous les concitoyens qui pourraient poursuivre leur travail à s’y employer vigoureusement dans la mesure de leur possible et dans le respect des décisions du président de la République et du Gouvernement ».

Le secteur de l’hôtellerie-restauration (20 000 emplois en Bretagne) est bien sûr le plus touché : en début de saison la trésorerie est au plus bas et il faudra verser des salaires malgré un chiffre d’affaires inexistant. Un collectif Resto Ensemble s’est constitué pour diffuser les informations relatives à la crise et aux démarches à engager.

On constate dans la plupart des secteurs, selon les sondages effectués, une baisse d’activité de 50 à 70%. Malgré les évolutions bienvenues du droit du Travail, malgré la cohésion des filières professionnelles, les reports de charges et les prêts mis en place, l’inquiétude est très forte notamment sur la prise en compte de l’indemnisation au titre de l’activité partielle (dont les critères sont complexes) et sur les risques juridiques auxquels s’exposent les employeurs : par exemple celui lié à l’obligation récemment imposée de fournir à tous les travailleurs un masque… alors qu’il n’y en a pas et que ceux qui vont être livrés sont réservés au personnel soignant. Autre exemple, le risque induit par la difficulté de suivre les nouvelles dispositions législatives, leur date d’application, leur interprétation.

Quel impact est à prévoir sur l’économie bretonne ?

La crise sanitaire actuelle risque d’accélérer le décrochement de parties du territoire breton investies dans un modèle de développement périmé (le modèle productiviste agro-alimentaire). Elle pénalise aussi les circuits courts en plein développement mais fragiles.

En revanche, le dynamisme des PME et des petites entreprises innovantes doit être souligné. On en a parlé au plan national : Hemarina, 40 salariés, basée à Morlaix, qui a mis au point une molécule issue d’un ver arénicole marin, capable d’acheminer 40 fois plus d’oxygène que l’hémoglobine humaine. Le procédé, déjà utilisé pour préserver les greffons en attente d’implantation, est en test sur 10 patients hospitalisés à Bichat affectés par un symptôme de détresse respiratoire. NG Biotech, basée à Guipry (Ile-et-Vilaine) a créé un test sérologique du Covid-19.

D’autres sociétés tournent aussi à plein régime, le laboratoire Gilbert à Plouédern qui produit du gel hydroalcoolique, Hill-Rom à Auray (lits médicalisés). D’autres entreprises plus traditionnelles ont réorienté leur production (Dolmen, Guardtex, Armor Lux) pour fabriquer des masques, visières, valves pour respirateurs et équipements de protection médicaux. Solidaires et adaptables !

Après qu’un bilan aura été fait de la situation sanitaire et économique du territoire, un des enjeux de l’après-crise en Bretagne sera de bien orienter les soutiens aux entreprises. Il faudra aussi empêcher que se reproduise l’échec de SPERIAN (à Plaintel près de St Brieuc), fabricant de masques de protection, rachetée par Honeywell et fermée en 2018, machines détruites pour qu’aucun concurrent ne s’avise de reprendre l’activité. Un projet de relance est en cours, piloté par la Région, le département des Côtes d’Armor et le fondateur d’Armor Angels, pour relancer à court terme une structure qui pourrait produire 20 millions de masques par mois.