Covid-19 : quel impact sur le secteur de la culture ?
Entre fermeture des lieux de spectacle, de concerts et d’exposition, et annulation des représentations sans possibilité de reprogrammation, le milieu de la culture et du spectacle est durement impacté par les mesures de confinement liées à l’épidémie. Les conséquences économiques pourraient être dramatiques, avec une perte de chiffre d’affaires estimée à un milliard d’euros dans la filière musicale. Face à cette situation, comment protéger au mieux les artistes et employés de ce secteur ? Et comment le milieu du spectacle s’adaptera-t-il au virage numérique ? Jean-Philippe Thiellay, Président du Centre national de la Musique, répond aux questions d’Émile.
Le secteur culturel, comme beaucoup d’autres secteurs économiques, est durement touché par la fermeture des lieux de spectacles, de concerts, d’exposition. Quelle est la situation du monde du spectacle et de ses acteurs ? Le gouvernement a-t-il pris la mesure des conséquences dévastatrices de la période de confinement sur celui-ci ?
Le milieu du spectacle vivant, et plus particulièrement dans le domaine de la musique, est très durement impacté par la crise actuelle. Si la France est confinée depuis le 17 mars, il ne faut pas oublier que de nombreux spectacles ont été annulés dès le début du mois de mars par plusieurs décisions de police administrative interdisant les rassemblements de plus de 5000, puis de 1000 et enfin de plus de 100 personnes.
Au Centre national de la musique, nous nous sommes penchés très rapidement sur une première mesure de l’impact de la situation actuelle sur l’économie de la filière, car c’est en comprenant l’ampleur des conséquences que l’on pourra y apporter des solutions. Notre première estimation est alarmante : en présumant une suspension de tout spectacle jusqu’à fin mai et également certaines conséquences sur la billetterie sur le reste de l’année, les pertes de chiffre d’affaires pourraient s’élever à environ un milliard d’euros, dont plus de 500 millions de pertes de billetterie.
Le gouvernement a été très réactif face à cette situation, en annonçant diverses mesures de soutien. Pour les TPE/PME du monde de la musique, qui sont très nombreuses, les reports de charges ou d’impôts et la possibilité du chômage partiel sont des outils très puissants, que nous avons voulu compléter, avec notre fonds de soutien. Alors oui, clairement, je trouve que l’État, le service public, au niveau national ou local, avec les opérateurs, ont été réactifs même si ce n’est qu’une première réponse.
Tout le maillage culturel français est figé, des opéras aux musées, des centres chorégraphiques aux théâtres municipaux, des cinémas aux galeries d'art. Quelle stratégie globale et quelle coopération entrevoyez-vous pour sauver ce secteur dont dépend la vie culturelle de demain ?
Les solutions que nous devrons trouver à cette crise inédite devront l’être dans la concertation avec tous les acteurs qui contribuent en temps normal à la vitalité de la culture en France. Pour la filière de la musique et des variétés que le CNM, maison commune de la musique, a vocation à accompagner et à fédérer, c’est avec les représentants des professionnels – ils sont nombreux et variés ! – que nous devons construire un véritable plan de relance.
Bien entendu, les solutions que nous devons trouver dépendront en partie de données que nous ne maîtrisons pas encore : quand le confinement va-t-il prendre fin ? selon quelles modalités ? quand les rassemblements pourront-ils à nouveau être autorisés et avec eux les concerts et les festivals ? Les questions et les scénarios sont incroyablement complexes. Mais cela ne nous empêche pas, d’ores et déjà, d’imaginer comment nous pouvons aider à la reprise de l’activité du secteur, et de proposer, très vite, des solutions, en lien avec l’État et les professionnels.
Cette crise est dramatique. Elle peut aussi permettre de repartir sur d’autres bases, de réexaminer le financement de la musique en France et d’inventer une nouvelle donne. C’est cela que nous devons préparer. Nous devons aussi aider les professionnels à trouver auprès des compagnies d’assurance le soutien auquel les contrats signés avec elles leur donnent souvent droit. J’en appelle à un élan de solidarité avec le monde de la musique, parce que, derrière cette crise, c’est la diversité culturelle française qui est menacée.
Comment, à la tête du Centre national de la Musique, vous êtes-vous mobilisé pour venir en aide à la filière musicale ?
Nous avons souhaité, dès les premiers jours de la crise, envoyer un signal fort à la filière en mettant en place un dispositif d’urgence.
Dès le 18 mars, soit le lendemain de la mise en place des mesures de confinement, le conseil d’administration du CNM a voté la création d’un fonds de secours à destination des TPE/PME du spectacle de musique et de variétés dont la crise met en danger la trésorerie. Ce fonds est doté de 11,5 millions d’euros, dont 10 millions d’euros provenant des ressources du CNM, auxquelles s’ajoute 1,5 million d’euros de la SACEM, de la SPEDIDAM et l’ADAMI. Le soutien, de 8000 € maximum, peut apparaître modeste. Mais les premiers retours montrent que, combiné aux autres mesures, il peut véritablement aider à passer un cap de trésorerie difficile. Par ailleurs, nous avons voulu que l’aide incite, par une augmentation du plafond à 11 500€, à recourir aux dispositifs d’activité partielle pour assurer un revenu aux artistes et techniciens qui ont perdu des contrats.
À ce jour, en deux semaines, nous avons décidé d’aider environ 150 entreprises pour près de 1,3 million d’euros. Les équipes du CNM ont été d’une réactivité remarquable, qui démontre leur engagement aux côtés des professionnels.
Nous travaillons par ailleurs à un élargissement du fonds qui, à ce jour, aide les titulaires d’une licence d’entrepreneur du spectacle. Je souhaite que nous puissions très rapidement aider les entreprises dans le domaine de la musique enregistrée, labels, disquaires etc… Certaines collectivités nous proposent de travailler ensemble pour élargir notre intervention. C’est très positif.
Le ministère de la Culture a lancé la plate-forme #CultureChezNous où sont répertoriées toutes les initiatives permettant de faire venir la culture à domicile pendant le confinement. La conséquence directe est que l’audience de la culture virtuelle bondit, les entreprises font du commerce en ligne, mais les lieux de culture eux-mêmes (musées, salles de spectacles…) ne bénéficient pas financièrement pas de cette audience. Selon vous l’industrie numérique va-t-elle sortir renforcée de cette crise au détriment des lieux traditionnels de culture ? Comment inverser la tendance ?
La richesse incroyable de ce qui est proposé en ligne est formidable, qu’il s’agisse d’initiatives privées ou des propositions des grandes institutions françaises comme internationales. De nouveaux usages auront été adoptés par le public et seront sans doute conservés. Retrouver des représentations théâtrales le soir sur son écran ou voir des spectacles d’humour ou des opéras qu’on n’a pas eu le temps de voir dans l’année donne un plaisir immense.
Mais la culture et le digital, c’est très largement une histoire à écrire et à inventer. Il faudra faire le bilan de tout cela, notamment du point du vue du droit des auteurs et des interprètes, des équilibres économiques de structures souvent fragiles et aussi bien sûr des attentes du public. Mais il ne faut pas se tromper : je crois que, dans le domaine de la musique, quelles que soient les esthétiques, l’expérience du live est irremplaçable : rassembler 20, 2000 ou 20 000 personnes au même endroit pour partager un spectacle et écouter, ensemble, des artistes est, à mes yeux, une des plus belles expériences que l’on puisse imaginer. Elle me manque beaucoup, personnellement, et j’espère que le public se précipitera dans les salles de concert dès que cela sera possible.