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Émeric Bréhier : "Les résultats de ces municipales sont très décevants pour les stratèges du RN"

Le second tour des municipales a été annoncé, sauf hausse des cas de contamination de Covid-19, pour le 28 juin. Ce battement historique entre le premier et le second tour des municipales nous permet de nous pencher sur le cas du Rassemblement national (RN). Formation d’opposition vigoureuse sur le plan national, le parti de Marine Le Pen semble rencontrer plus de difficultés à s’insérer au niveau local. Émeric Bréhier, ancien député de Seine-et-Marne, aujourd’hui directeur de l’Observatoire de la vie politique de la Fondation Jean Jaurès, analyse pour Émile les résultats du premier tour du RN, leurs évolutions et leurs perspectives.

Émeric Bréhier (Crédits : Wikicommons)

Dans les dernières enquêtes d’opinion, le Rassemblement national apparaissait comme le principal parti d’opposition à Emmanuel Macron. Les résultats du premier tour des municipales du 15 mars dernier ont-ils conforté la formation de Marine Le Pen dans les territoires ?

Ces municipales sont extrêmement étonnantes. D’abord il faut relever qu’à l’instar de  l’ensemble des partis politiques de ce système qu’il honnit, le Rassemblement national établit une bonne performance puisque tous ses maires, dans les villes de plus de 10 000 habitants, sont réélus ou en passe de l’être. C’est tout de même une sacrée performance. Là aussi, il y a eu indéniablement une prime aux sortants.

Pour autant, et on le verra, les résultats de ces municipales sont très décevants pour les stratèges du RN. Il a ainsi présenté près de 40% de listes de moins que lors des précédentes élections municipales. Comme les dirigeants du Rassemblement manient aussi bien les éléments de langage que les autres, ils ont expliqué que cette baisse était le fruit d’une stratégie volontariste quant au choix des candidates et des candidats, ne voulant pas reconnaître les déceptions ou les avanies rencontrées en 2014. Pourquoi pas ? Mais dans ce cas de figure, l’échec est encore plus patent, tant dans l’ensemble des régions, les scores des listes estampillées RN sont en baisse significative par rapport à celles de 2014.

Comment s’est déroulé ce scrutin dans les municipalités déjà détenues par le Rassemblement national ? Si l’on compare aux élections de 2014, quels enseignements en tirez-vous ?

Tous les maires sortants, élus sous l’étiquette du FN en 2014, ont été réélus dès le premier tour, ou sont en bonne place pour l’être, lors d’un second tour estival, si tant est que ce second tour se tienne bien le 28 juin prochain. Plus encore, les maires sortants du FN-RN, ou proches d’eux, voient tous leurs scores fortement progresser. Ainsi, à Hayange, Fabien Engelmann passe de 30,4% à 63,14% des suffrages exprimés ; à Villers-Cotterêts, Franck Briffaut passe de 32,04% à 53,47% ; à Hénin-Beaumont, Steeve Briois de 50,25% à 74,21% ; à Beaucaire, Julien Sanchez de 32,84% à 59,51% ; à Béziers, Robert Ménard de 44,88% à 68,74% ; à Fréjus, David Rachline de 40,3% à 50,61% ; au Pontet, Joris Hébrard de 34,65% à 57,21%. À Mantes-la-Ville, le maire sortant augmente de 50% son score passant de 21,65% à 33,72%, à Cogolin, Marc-Étienne Lansade échoue de peu au premier tour avec 47,5% contre 39,03% en 2014. Pascal Verrelle au Luc, quant à lui, plafonne à 37,96%. relevons néanmoins, mais je ne suis pas certain que cela soit pour déplaire à Marine Le Pen, Les Bompard connaissent un certain recul, à Orange (47,6% pour Jacques Bompard contre 59,82% en 2014) comme à Bollène (44,74% pour Marie-Claude Bompard contre 49,34% six ans auparavant), même s’ils demeurent tous deux évidemment en situation favorable. Force est donc de constater que les maires RN, à l’instar des autres maires sortants, ont été reconduits dans leurs fonctions, sans beaucoup d’hésitation de la part de leurs concitoyens. Bien sûr, c’est souvent le cas des maires dont c’est le premier mandat, mais si l’on souhaitait, ou appréhendait, un signe de la normalisation du personnel politique RN, en voici un supplémentaire. 

Mairie d’Hénin-Beaumont, où le maire RN Steeve Briois a été réélu au premier tour des municipales avec 74,21% des suffrages exprimés (contre 50,25% en 2014). (Crédits : Wikicommons)

Constatez-vous des différences notables selon les territoires ou la taille des communes ?

On constate globalement dans l’ensemble des régions un affaissement du nombre de listes présentées en 2020. Même si bien évidemment, celui-ci est moins important dans les régions forces du RN que sont les Hauts de France, PACA et l’Occitanie. Et encore faut-il, là aussi entrer un peu plus dans le détail car dans toutes les régions, le RN est présent dans des villes où le FN était absent en 2014, ce qui a contrario signifie qu’il est absent en 2020 dans un nombre de villes encore plus important que ne pourrait le laisser penser la chute de 40% du nombre de listes. Le RN est ainsi absent de villes où il avait pourtant obtenu en 2014 de très bons résultats.

Quant aux communes où il est présent en 2020 comme en 2014, son effondrement est partout à relever. Il perd 47% des voix à Dijon, 38% à Besançon, 49% à Rennes, à Mulhouse 45%, à Metz 45%, à Reims 65%, à Vitry-le-François 65%, à Forbach 69% (de 35,94% à 4,31% pour la liste RN auxquels on doit rajouter les 9,79% obtenus par Florian Philippot, l’ancien numéro deux du parti de Marine Le Pen), à Épinal 69%, à Béthune 43%, Liévin 41%, Crépy-en-Valois 50%, Noyon 33%, Armentières 62%, Lille 60%, Tourcoing 52%, Roubaix 54%, à Rouen 49%, Le Havre 45%, Argentan 61%, Évreux 46%, à Poitiers (5,7% contre 11,97%), Villeneuve-sur-Lot (15,33% contre 26%), Floirac (10,11% contre 19,19%), Cognac (7,53% contre 16,39%), à Lyon, -56%, à Valence -50%, à Clermont-Ferrand -53%, à Annecy -46%, -42% à Castres, -65% à Montpellier, -47% à Toulouse, -34% à Nîmes, -42% à Nantes, -44% à Saint-Nazaire, -60% au Mans, à Sorgues -70%, La-Seyne-sur-Mer -45%, Aix-en-Provence -47%, Arles -65%, La Ciotat -41% ou encore Grasse -61%.

En Île-de-France, l’effacement est, là aussi, confirmé par la faiblesse des scores rencontrés par les seules 13 listes – sur 255 communes – que le RN-FN parvient à présenter aux suffrages tant en 2014 qu’en 2020. Ainsi, à Chelles, la chute est de 70%, aux Mureaux de 70%, à Courbevoie de 49%, à Noisy-le-Grand de 78%, au Plessis-Trévise de 54%. Au final, alors qu’en 2014 sur les 369 listes présentées, 317 (85,9%) avaient dépassé les 10% des suffrages obtenus lors du premier tour, permettant ainsi de se qualifier pour le second tour (si celui-ci était nécessaire), ce n’est plus le cas que dans 136 (51,9%) des 262 communes en 2020 où le Rassemblement national participe aux joutes électorales.

Le difficile ancrage local de cette formation politique ne correspond pas à l’efficacité électorale sur le plan national. Comment l’expliquez-vous ?

Répondre à cette question implique d’élargir notre champs de vision. En réalité, que semblent nous indiquer le premier tour de ces élections municipales bien spéciales compte tenu de la crise sanitaire ? D’abord, contrairement aux précédentes, il n’y pas « une » mais bien « plusieurs » oppositions. Du coup, la capacité des forces d’opposition à bénéficier du vote sanction à l’encontre des forces gouvernementales a été répartie, différemment selon les territoires et les situations politiques de chaque commune, entre les forces politiques. Il n’y avait pas un seul et même camp politique incarnant l’opposition. Ensuite, la prime aux sortants, à ce stade, semble avoir été plus importante encore que lors des précédentes municipales. On peut donc s’attendre à une plus grande stabilité encore du personnel municipal.

Enfin, et c’est un élément qui méritera d’être confirmé, ou pas, il semble bien que nous voyons à ce stade le maintien de deux système électoraux : l’un « local » où prédomine les forces politiques de « l’ancien monde » autour du Parti socialiste et des Républicains. Même si ici le jeu des alliances de LREM brouille singulièrement la lecture politique des résultats. Les directions des deux partis sus mentionnées devront s’en souvenir pour procéder à des conclusions politiques de ce scrutin. L’autre système politique est « national » où semblent prédominer les deux grands perdants, au final, de ces élections municipales : le Rassemblement national et la République en Marche. Si la stratégie d’implantation nationale du RN a échoué lors de ces dernières municipales, il serait néanmoins faux, et dangereux, de considérer que le RN est en recul dans le pays.