Émile Magazine

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Comment continuer à informer en pleine crise du Covid-19 ?

La pandémie de Covid-19 a de lourdes conséquences sur l’organisation du travail, partout dans le monde. Dans ce contexte historique, rapporter la juste information est plus que primordial : pas question, dès lors, pour les journalistes de s’arrêter de travailler. Comment continuent-ils d’exercer leur mission ? Quels risques prennent-ils ? Quelles mesures sont appliquées par les rédactions ? Émile a recueilli le témoignage de plusieurs reporters et correspondants, en poste aux quatre coins de la planète, pour qu’ils nous racontent leur quotidien en pleine crise sanitaire.  

Propos recueillis par Florian Darras et Maïna Marjany

TURQUIE - Gokan Gunes

Gokan Gunes est correspondant de l’AFP en Turquie, à Istanbul, depuis plus de quatre ans. Il est diplômé d’histoire contemporaine à la Sorbonne et de l’École de journalisme de Sciences Po (promo 2015). 

Deux employés municipaux d’Istanbul désinfectent les rues pour lutter contre l’épidémie de Covid-19 (Crédits : Mahmut D/Shutterstock)

C’est devenu un rituel. Chaque soir à 19h00, je me connecte à Twitter et rafraîchis frénétiquement la page du ministère turc de la Santé pour prendre connaissance du bilan quotidien de la pandémie de nouveau coronavirus en Turquie. Depuis son apparition, ce mystérieux virus a chamboulé les priorités, les habitudes et les pratiques du bureau de l'Agence France-Presse (AFP) à Istanbul, où je travaille depuis quatre ans comme reporter. 

Du jour au lendemain, il a chassé nos dossiers brûlants : un nouvel afflux de migrants à la frontière grecque, un regain de tension dans le nord de la Syrie et une guerre par procuration en Libye entre Ankara et ses rivaux régionaux. 

Notre priorité, comme pour chacun des 200 autres bureaux de l’AFP dans le monde, est désormais la couverture de la pandémie. Nos reportages dits “froids”, sans lien avec l’actualité, ont été “mis au frigo” pour ne pas surcharger nos éditeurs à Paris. Adieu, le sujet que je préparais sur les touristes iraniens dans l’est de l’Anatolie. Pour quand, le reportage sur les LGBT du monde arabe réfugiés à Istanbul ? Qui sait.

Mais l’épidémie est aussi une nouvelle mine de sujets qui racontent la Turquie contemporaine. Nous avons par exemple écrit sur l’envoi de matériel médical à l’étranger, qui reflète l’obsession d’Ankara d’améliorer son image et “faire mieux que l’Occident”. Ou encore sur le désarroi des migrants africains coincés à Istanbul, aux portes de l’Europe. Mais aussi sur le retour des dauphins dans le Bosphore depuis l’arrêt quasi-total du trafic maritime.

Rue déserte à Istanbul pendant le confinement (Crédits : Own work, Wikicommons)

Même s’il n’y a pas de confinement obligatoire en Turquie - sauf le week-end -, nous sommes passés au télétravail fin mars, ce qui a changé nos pratiques. À l’AFP, nous sommes une dizaine de reporters, photographes et vidéastes répartis entre Istanbul et Ankara, la capitale. Notre conférence de rédaction hebdomadaire se déroule désormais en ligne, sur l’application Microsoft Teams. Lorsqu’il n’y a pas de coupure de courant, cela fonctionne plutôt bien. Au quotidien, nous utilisons notre groupe WhatsApp ou une messagerie interne pour communiquer. Cette dernière nous permet également de rester en contact avec les éditeurs et rédacteurs en chef à Paris. 

En revanche, le contact avec les sources est devenu plus difficile. Très peu de conférences de presse sont désormais organisées, et il n’est plus possible d’aller déjeuner au restaurant ou de se rendre à la soirée de tel ou tel consulat. Si les reportages sont toujours autorisés, nous en faisons beaucoup moins. Dans la mesure du possible, nous faisons nos interviews par téléphone ou sur Zoom. Pour les reportages dans des zones considérées comme risquées, un hôpital par exemple, nous devons obtenir l’aval de la rédaction en chef. Lorsque nous sortons, nous portons un masque et des gants fournis par le bureau. Pour les interviews, nous accrochons notre micro à l’extrémité d’un monopode, nous servant de cette perche improvisée pour maintenir une distance avec les personnes interrogées.Mettre la main sur des équipements de protection n’a pas été une mince affaire. Soupçonnant leur gouvernement de minimiser l’ampleur de l’épidémie, les Turcs ont très tôt dévalisé les boutiques de masques et produits désinfectants. Après plusieurs jours de recherches infructueuses, l’un de nos photographes a déniché plusieurs cartons de masques, lunettes et blouses de protection. La pandémie représente donc un défi éditorial et logistique qui a bousculé la vie du bureau.

Il reste beaucoup de choses à raconter, mais je dois vous laisser : il est bientôt 19h00. 


ÉTATS-UNIS - Loïc de la Mornais

Loïc de la Mornais est correspondant permanent aux États-Unis pour France Télévisions. Diplômé de Sciences Po et de l’école supérieure de journalisme de Lille, il a auparavant été grand reporter pour France 2 puis correspondant permanent au Royaume-Uni pour France Télévisions.

Affiche remerciant le personnel soignant, sur le pont de Park Avenue entre Rutherford et Lyndhurst dans le New-Jersey , 1er avril 2020. (Crédits : Erin Alexis Randolph/Shutterstock

Nous avons des lignes et des consignes qui nous ont été données par notre direction de l’information à Paris, et on les suit. Aux États-Unis, dans certains États comme le Maryland, où se trouve Washington DC, on trouve des mesures assez strictes de confinement, mais ça n’est pas contrôlé comme en France. La police ne nous empêche pas de nous déplacer. Les Américains ne l’accepteraient pas. Pour eux, c’est le communisme d’être empêché d’aller à un endroit !

Les magasins sont fermés et on nous incite à rester chez soi, mais il est tout à fait possible, en l’occurrence pour nous, de partir en reportage. On le fait de manière mesurée, à chaque fois sur validation et en concertation avec la rédaction en chef à Paris. Même si on part beaucoup moins en reportage, nous sommes allés plusieurs fois à New York, ainsi que dans l’État de Géorgie, dans l’ouest à Las Vegas et dans les grands parc américains… À chaque fois avec les mesures de protection. Il restait au bureau de Washington des équipements, notamment des masques, en prévision d’incendies par exemple. On a pu racheter quelques combinaisons aussi. 

Nous ne nous approchons pas des personnes interrogées, et pour cela on a un avantage : comme nous interrogeons des personnes en anglais, et que les interviews sont ensuite doublées en français, nous n’avons pas besoin de nous approcher très près pour avoir une bonne qualité de captation audio.

À New-York, les métros sont désinfectés pour lutter contre la diffusion de l’épidémie de Covid-19 (Crédits : MTA New-Yrok City/Wikicommons)

Également, on ne va plus au bureau la plupart du temps. On a divisé le bureau deux équipes qui ne se croisent pas, puisque nous sommes deux correspondants autonomes. Cela change de d’habitude, puisque nous étions habituellement toujours ensemble au bureau. Même au sein des équipes, à part avec le JRI-monteur avec lequel je pars parfois en reportage, la plupart du temps nous travaillons à distance. Pour monter un reportage, Fabien, mon monteur, me projette son logiciel de montage sur mon écran, et on peut travailler comme on l’aurait fait dans une salle de montage classique. J’enregistre ensuite de mon côté mon commentaire brut depuis mon Iphone, avec un micro spécial pour obtenir une meilleure qualité de son, je lui envoie pour qu’il puisse le coller sur les images, et enfin on peut envoyer le reportage à Paris.

On continue aussi à faire des directs, depuis mon jardin ou depuis l’extérieur. Régulièrement je retourne devant la Maison Blanche quand le sujet est politique et inclut Donald Trump. J’ai un logiciel spécial sur mon smartphone installé par France Télévisions, avec à nouveau un micro spécial, et je peux faire mon reportage seul, sans croiser personne.

L’écrasante majorité des sujets est liée au coronavirus. Nous avons pu néanmoins traiter parfois d’autres sujets. La semaine dernière, le 13h a voulu aérer les téléspectateurs en lançant une petite série, Dans le rétroviseur, qui décrypte un évènement historique qui s’est produit à la date du jour. Pour le 28 avril, on a donc réalisé un reportage sur la vente de la Louisiane française le 28 avril 1803 aux jeunes États-Unis d’Amérique.

Après, je ne vais pas vous dire que nous sommes dans une période normale. L’élection présidentielle qui doit avoir lieu en novembre est pour l’instant complètement passée à la trappe, et la diffusion des « sujets-magazines » qu’on avait en stock a été stoppée. Pour le dernier sujet diffusé à l’antenne avant que ça ne devienne du tout-coronavirus, nous étions parti à l’extrême-nord de l’Alaska pour un sujet sur le réchauffement climatique et ses effets sur les populations des Inuits d’Alaska.

On fait également des sujets qui ne sont qu’indirectement rattachés au coronavirus : sur les places touristiques mondiales désertées comme la Place rouge ou Pise, nous avions traité des grands parcs américains. C’est lié évidemment à l’actualité du coronavirus, mais ce ne sont pas des sujets sur les salles d’hôpitaux ou des polémiques politiques liées au coronavirus comme on en a beaucoup ici aux États-Unis.


RUSSIE - Luc Lacroix

Formé à l’école de journalisme de Sciences Po, Luc Lacroix est aujourd’hui correspondant pour France Télévisions à Moscou. Il a auparavant été correspondant pour l’AFP à New York, et rédacteur en chef adjoint des éditions nationales du 19/20 de France 3.

La Place Rouge de Moscou s’est vidée de ses visiteurs suite à la quarantaine imposée par les autorités, laissant la police - masquée - seule dans les rues de la capitale russe. (Crédits : Shutterstock)

La communication avec le reste de la rédaction à Paris n'a pas fondamentalement changé puisque par nature nous ne nous voyons pas et échangeons en continu par courriel, téléphone et Whatsapp. Ce qui a changé, c'est que de chaque côté nous avons plus de contraintes de fabrication qu'à l'habitude. En revanche, le travail au sein de l'équipe a été modifié en profondeur puisque l'on respecte les consignes et qu'on limite nos déplacements au maximum. Tout le travail de préparation se fait donc chacun chez soi en échangeant par téléphone, mails, etc. On fait même des montages à distance.

Pour faire notre travail de reporter, nous avons toutefois besoin d'aller sur le terrain pour montrer ce qu’il se passe. Dans ces moments, nous portons systématiquement des masques et nous respectons une distance de sécurité. On privilégie les interviews et les tournages en extérieurs. La priorité reste la sécurité. Notre pire crainte est de transmettre le virus aux personnes que l'on vient interviewer. C'est le bureau qui achète les masques et le gel hydroalcoolique. Je ne vois pas de différences majeures entre les journalistes basés en France et notre situation en Russie. Il a cependant fallu s'adapter aux règles locales, en faisant par exemple enregistrer la voiture avec laquelle nous travaillons pour qu'elle ait le droit de circuler même pendant le confinement.

Pour le moment, nous traitons uniquement des sujets en rapport avec l’épidémie. Cette crise sanitaire est une actualité qui recouvre toutes les autres et cela se comprend car elle a profondément modifié les vies de milliards de personnes sur la planète.


ROYAUME-UNI - Charlotte Durand

Charlotte Durand est  journaliste généraliste au bureau de Londres de l’AFP. Elle a auparavant travaillé au bureau de Toulouse, ainsi qu’au service de fact-checking et réseaux sociaux de l’AFP. Elle est diplômée de l’École Normale Supérieure de Lyon et de l’École de journalisme de Sciences Po.

Photographes et vidéastes continuent de se rendre sur le terrain. Ici lors d’un rassemblement de soutien au personnel médical devant le Chelsea and Westminster hospital à Londres. (Crédits : Shutterstock)

En ce qui concerne la rédaction de l'AFP à Londres, l'ensemble des journalistes textes et des desks photos et vidéos travaillent désormais depuis chez eux, 100% en télétravail. Au Royaume-Uni, les journalistes font pourtant partie des travailleurs clés autorisés à continuer de travailler, mais cette décision a été prise par notre cheffe de bureau en accord avec la rédaction à Paris. Les photographes et les vidéastes continuent eux d'aller sur le terrain, mais sans non plus trop se mettre en danger. Les reportages dans les zones à haut risque (hôpitaux, morgues, etc.) sont discutés avec la rédaction en chef centrale, à Paris.

Au début, nous étions un peu sceptiques sur la façon dont nous allions travailler à distance. Mais il faut avouer que c'est au final totalement gérable et que lorsqu'on traite l'actualité d'un pays pour l'étranger, la plupart des passages obligés restent de l'institutionnel. Tout passe donc par des communiqués ou des conférences de presse retransmises en direct. Pour le côté reportage et la pâte humaine, sans doute ce qu'on aime tous le plus dans le journalisme, on ronge un peu notre frein en écrivant depuis les photos et les vidéos de nos collègues sur le terrain, qui fournissent un travail formidable, ce qui permet de maintenir de bons récits de terrain tout en limitant le nombre de personnes en contact potentiel avec le virus et le nombre d'équipement à prévoir. Et on se rattrape en faisant davantage de "papiers d'angle" comme on les appelle chez nous, sur des sujets moins terrain mais plus intellectualisés (pourquoi les communautés noires, asiatiques ou d'autres minorités ethniques sont plus touchées par le virus ? etc.)

Concernant les équipements de protection, je ne préfère pas en parler car n'allant pas sur le terrain, je ne sais pas quel est l'état actuel de nos stocks et ce qui est possible dans les faits. En revanche, bien avant que l'épidémie ne touche le Royaume-Uni, nous avions déjà des consignes très précises de la rédaction en chef à Paris, sur quel équipement porter, quels gestes adopter, etc. On a reçu aussi les masques adéquats avant l'annonce du confinement. Donc théoriquement, l'agence prend tout à sa charge. Parfois j'ai l'impression que notre agence était plus prête à faire face à la crise que le gouvernement français. Je pense que c'est dû au fait que la rédaction en chef avait déjà dû se poser ces questions depuis longtemps, forte de son expérience avec nos équipes à Wuhan, qui ont travaillé dans le premier épicentre de la crise. 

Pour ce qui est de la communication avec l'ensemble de la rédaction, on fonctionne de manière assez fractionnée selon les métiers. Tous les journalistes textes généralistes (anglais, français et espagnols) sont regroupés dans un groupe WhatsApp, où se trouvent aussi les chefs des différents services, dont ceux de la vidéo et photo. C'est comme ca que se font la plupart de nos échanges instantanés, au quotidien. Les mails sont présents mais pour les suivis au long cours, ou pour se forwarder des communiqués et dialoguer avec la rédaction en chef à Paris ou les autres bureaux européens, quand ils ont besoin d'aide. Nous avons aussi une système de messagerie interne, Cisco, que nous utilisons principalement pour dialoguer en direct avec la rédaction en chef à Paris lors des weekends (car nous sommes alors seuls de permanence) ou les desks, qui relisent chacune de nos dépêches et qui nous contactent par ce biais si besoin.

Même s’il doit exister des différences selon les bureaux, nous avons des consignes communes concernant la sécurité sur les lieux de reportages, surtout ceux à haut risque où tout doit passer par la rédaction en chef centrale, à Paris. L'organisation pratique est laissée à l'appréciation de chaque chef de bureau. À Londres, la rédaction s'est confiné en même temps que celle de Paris, alors que le début officiel du confinement anglais était une semaine après la France. En revanche, j'aurais tendance à dire que les pigistes ont un statut un peu différent. Ce sont des journalistes qui travaillent seuls dans des zones éloignés du bureau (pour le bureau de Londres, nous avons un pigiste en Ecosse et un autre en Irlande) et qui sont multicasquettes, contrairement aux journalistes des bureaux centraux, où nous avons tous une seule spécialité (texte, vidéo, photo). Ils continuent donc à faire beaucoup de reportages, notamment en texte, ce qui n'est plus notre cas, mais c'est parce qu'ils font souvent aussi les photos et vidéos qui vont avec. 

Devant les supermarchés à Londres, la distanciation sociale est de mise pour limiter la diffusion de l’épidémie de Covid-19 (Crédits : Own work/Wikicommons)

Dès la première semaine de confinement la rédaction en chef centrale nous a demandé de mettre la pédale douce sur tous les sujets non liés au Covid. À la base, c'était surtout dû à des problèmes techniques : nos services de relecture à Paris étaient un peu dépassés par l'ampleur de la production alors qu'ils venaient tous de passer en télétravail. 

En outre, on a un peu l'impression en ce moment que tous les autres sujets n'intéressent pas vraiment et que, s'ils étaient publiés maintenant, ne recevraient pas l'attention qu'ils méritent. C'est surtout valable pour tous les sujets froids, les magazines ou sujets insolites. Avant l'épidémie, j'étais en train de préparer deux papiers liés, un papier d'angle sur les nouvelles façons d'appréhender la mort au Royaume-Uni et un témoignage d'une death doula, ces personnes qui aident les gens atteints de maladie en phase terminale à accepter l'idée qu'ils vont mourir. Autant dire que ces deux histoires ne vont pas paraître maintenant ! Ca n'a pas été dit concrètement, mais j'ai de moi-même mis tout ça en stand-by.

Mais on continue quand même un peu à traiter d'autres choses que le Covid, surtout les deux sujets qui passionnent les foules quand il est question du Royaume-Uni : les négociations post-Brexit (même si c'est en ce moment beaucoup sous l'angle des retards à cause du nouveau coronavirus) et... la famille royale, of course ! Outre ces deux exceptions, et peut-être les démêlés judiciaires de Julian Assange, on ne traite presque que de l'épidémie... Mais ce n'est pas pour autant qu'on s'ennuie ou que c'est répétitif ! C'est une crise tout à fait protéiforme, qui touche à tant d'aspects de la société. C'est l'occasion de parler sciences, politique, système de santé et économie évidemment, mais aussi immigration (car une grande partie du système de santé britannique repose sur du personnel immigré), disparités sociales, inégalités raciales, solitude du grand âge, élans de solidarité, religion, système D des musées, traditions britanniques, etc. La période est difficile, mais elle éclaire plein de choses sous un angle différent, permet de se poser de nombreuses questions et fait émerger de belles histoires aussi. En ce moment, les Anglais se passionnent pour "Captain Tom", un ancien combattant de 99 ans qui a récolté plus de 32 millions d'euros pour le NHS (système de santé britannique) en promettant de faire 100 tours de son jardin en déambulateur, avant d'atteindre ses 100 ans. Il est devenu un véritable héros britannique, une figure pour la nation, salué par le Premier ministre et la famille royale, et chaque semaine se lance dans quelque chose de différent (chanson, record du monde, etc.). C'est aussi agréable de suivre des sujets positifs comme celui-là, même si cela reste lié à la crise. 


ESPAGNE - Henry de Laguérie

Henry de Laguérie est correspondant à Barcelone pour Europe1, Le Parisien et la RTBF (Radio-Télévision belge de la Communauté française). Il a été formé à l’École de journalisme de Sciences Po (promo 2005).

Vue de Barcelone (Crédits : Pixabay)

Je suis correspondant depuis pas mal de temps, j’avais donc déjà l’habitude de m’organiser à distance avec les rédactions qui m’emploient et de travailler depuis chez moi : c’est mon bureau habituel depuis que je suis à Barcelone. J’ai plusieurs employeurs car je suis en freelance, les principaux sont Europe1 et la RTBF, et ils ont des politiques différentes concernant les sorties pendant l’épidémie. 

Dans le cadre d’Europe 1, il y a eu la consigne de ne pas sortir et de ne faire uniquement de la radio à distance. J’ai cependant l’avantage d’avoir une ligne numéris à la maison, ce qui me permet d’être souvent en direct sur Europe1 avec une qualité équivalente à celle du studio.  

Avec la RTBF, j’ai une relation de travail plus éloignée, je suis complètement en freelance. Le problème de ce système, c’est qu’évidemment les entreprises ne sont pas responsables s’il nous arrive quelque chose. Au début, les sorties étaient autorisées sur la base du volontariat. Je suis sorti la première fois cinq jours après le début du confinement total (un confinement sans sport ni possibilité de sortir ses enfants). J’ai réalisé pour eux des reportages télévisés, avec une collègue. Nous avions des masques et des gants et essayions de respecter les distances de sécurité. Ca n’a pas été facile, il faut être concentré en permanence, ce n’est pas naturel de parler à un mètre des gens. On a dû aussi racheter du matériel, des perches, des masques, des gants… J’ai également fait un duplex depuis le centre de Barcelone, via une entreprise extérieure qui assurait la liaison technique. Pour travailler, ils m’ont fourni une lettre en anglais qui prouve que je suis journaliste ; ici les journalistes ont le droit de circuler.

La manière de travailler a évolué en deux mois. Au début, tout le monde était très inquiet, et c’était mon cas aussi la première fois où je suis sorti. Maintenant, je fais attention mais cette peur a disparu. Mardi dernier, je suis allé tourner dans un hôpital, je m’étais juste assuré que l’hôpital nous fournirait le matériel et les consignes à respecter. Je fais confiance aux gens qui nous accueillent et ça s’est bien passé. 

Ce qui a été compliqué, c’est qu’en tant que correspondant étranger on passe derrière les médias locaux, notamment pour accéder aux hôpitaux dont l’accès était assez restreint aux journalistes. Certains m’ont dit n’accueillir que la chaîne régionale, celle du gouvernement catalan. De plus, les trois premières semaines, il n’y avait aucun moyen de filmer des images dans les hôpitaux, les seules images que l’on obtenait étaient celles filmées par le personnel soignant avec des smartphones. 

Une autre différence est peut-être le format de communication des autorités publiques ici en Espagne. On a des conférences de presse toute la journée des ministres. Ils ont voulu montrer qu’ils faisaient preuve de transparence, mais n’ont pas toujours quelque chose à dire, ça se termine donc parfois par des couacs. Il y a eu une surcommunication qui fait qu’on perd parfois un peu le fil. 

Le Camp Nou, célèbre stade du FC Barcelone, s’est vidé de ses supporters suite à l’arrêt du championnat espagnol à cause de l’épidémie de Covid-19. (Crédits : Pixrepo)

Je n’ai fait que des sujets liés (de manière directe ou indirecte) à l’épidémie… Est-ce que le foot espagnol va reprendre ? Est-ce qu’on pourra partir en vacances en Espagne cet été si les frontières sont fermées ? Des sujets plus légers sur des Allemands qui exigent de retourner aux îles Baléares, les sorties des enfants… Une fois j’ai fait un papier sur un scandale de corruption qui concerne l’ancien roi d’Espagne, le père du roi actuel. Mais même cela, c’était difficile de ne pas le rattacher au coronavirus, et de ne pas s’étonner que le roi ait communiqué là-dessus au moment de la crise, peut-être pour noyer le poisson. Il m’est arrivé aussi de parler de la gestion politique de la crise : les tensions entre les indépendantistes catalans et Madrid, les tensions entre les régions, la communication politique, etc. Mais comme tout est focalisé autour du coronavirus, il n’y a aucun sujet sans rapport avec le coronavirus. L’activité parlementaire ne compte que quelques députés parce que c’est le coronavirus, l’activité économique c’est une crise épouvantable parce que c’est le coronavirus. On ne peut pas y échapper. Et je ne m’en plains pas. En tant que journaliste, on parle de ce qui se passe, et ici c’est la vie des gens à 100%.  


CHINE - Justine Jankowski

Diplômée de l’école de journalisme de Sciences Po (promo 2016), Justine Jankowski a été journaliste vidéo pour TF1 et France 5, avant d’être en poste à Pékin, où elle est désormais correspondante pour France TV.

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Contrôle de température dans le métro de Pékin. (Crédits : Eigenes Werk/Wikicommons)

Mon travail est devenu très statique, nous qui avions l'habitude de partir en tournage aux quatre coins de l'Asie chaque semaine, nous nous retrouvons désormais cloués au bureau ! Impossible de quitter la province sous peine de devoir faire une quarantaine de 14 jours au retour, et de ne pas pouvoir sortir de sujets. Nous tournons donc un maximum de reportages à Pékin, équipées d'un masque.

À Pékin il y a des contrôles de température partout, les chauffeurs se protègent avec une bâche en plastique, le masque suffit donc à rassurer et nous protéger. Ces masques ont été achetés par le bureau, et du gel hydroalcoolique a aussi été mis à disposition. 

Justine Jankowski est contrôlée à l’entrée de sa résidence. (Crédits : France Télévisions)

Les risques que nous courrons sont moins d'attraper le virus que de se faire arrêter par la police. Les autorités sont particulièrement à cran depuis le début de la pandémie, et elles ont déployé leur réseau de bénévoles du Parti dans toute la ville. Ils sont là pour surveiller les allers et venues et que tout le monde porte bien son masque.

Un jour nous sommes parties tourner un sujet sur les villages qui se barricadent eux-mêmes aux alentours de la capitale. Beaucoup de villageois que nous avons essayé d'interviewer ont refusé, méfiants, et ils ont fini par nous dénoncer à la police qui nous a demandé d'effacer nos images.

Depuis fin janvier et le confinement de la ville de Wuhan je n'ai pas traité d'autres sujets que celui du Covid-19. Nous avions bien sûr d'autres reportages, déjà tournés, en attente de diffusion sur des sujets culture et société ; mais il serait délicat de les mettre à l'antenne en ce moment, surtout venant de Chine... Et la pandémie touche finalement tous les aspects de la vie : on traite non seulement du nombre de cas quotidien, des mesures de confinement, des malades et des guéris mais aussi des conséquences sur l'économie, des jeux de pouvoir entre la Chine et l'Occident (par exemple avec la diplomatie du masque), de l'augmentation de nombres de demandes de divorce à Wuhan pendant la quarantaine... Donc bien sûr, tout est traité à travers le prisme de l'épidémie de coronavirus, mais les thèmes restent variés.

Cependant, pour être honnête, j'ai, comme beaucoup d'autres journalistes je pense, hâte de m'occuper de sujets plus légers... Mais c'est l'actualité du jour, elle concerne le monde entier, elle bouleverse des vies, alors nous ne pouvons pas arrêter d'en parler.