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Brexit et Covid : double peine pour le business ?

Maxime Holder (promo 94) est installé à Londres depuis une dizaine d’années. Il nous raconte l’impact du Brexit sur son activité à la tête des boulangeries PAUL. À l’incertitude générée par les négociations interminables entre le Royaume-Uni et l’UE s’est ajoutée l’épidémie de Covid-19…

Propos recueillis par Bernard El Ghoul et Maïna Marjany

Maxime Holder, président-directeur général des boulangeries PAUL. (Crédits: Nicolas Matheus)

Pour quelles raisons vous êtes-vous installé à Londres ?

C’est l’aventure de notre entreprise familiale qui m’a amené au Royaume-Uni. Dans un premier temps, j’ai suivi les pas de ma famille en France, mais je trouvais que le challenge international était magnifique. Or, internationaliser une entreprise en restant en France et sans l’avoir encore fait, cela me semblait compliqué. En 2000, j’ai donc proposé à ma femme, elle-même franco-britannique, que nous nous installions à Londres. J’y ai ouvert la première boulangerie PAUL le 11 décembre 2000, puis la deuxième, en 2002. Cette année-là, mon père m’a demandé de rentrer en France pour m’occuper des magasins PAUL. 

Je suis retourné à Londres en 2011, avec pour objectif de donner une autre dimension à notre développement international. En quelques années, nous avons réellement franchi un cap puisque, hors Covid, PAUL International aurait dû faire cette année 52 % du chiffre d’affaires du groupe, contre 48 % environ auparavant.

Vous avez donc connu Londres au début des années 2000, puis pendant la période 2011-2016, jusqu’au référendum sur le Brexit. Avez-vous constaté une évolution de la société britannique, la montée d’un sentiment anti-européen ? Pressentiez-vous le vote pour le « Leave » ?

On n’avait pas vraiment anticipé la victoire du « Leave », notamment parce que les pro-Brexit avaient peu de représentants sur le plan politique. Mais en y réfléchissant, il y avait plusieurs indices. Tout d’abord, j’avais remarqué un regain de patriotisme, si je peux utiliser cette expression, mais qui allait au-delà de la nation britannique. Les habitants du Royaume-Uni sont en fait très marqués par une appartenance anglaise, écossaise, irlandaise ou galloise. Je crois également qu’il y a toujours eu une défiance assez importante vis-à-vis de l’Europe. Je voyageais pas mal au Royaume-Uni, puisque je me déplaçais pour développer PAUL en dehors de Londres. J’ai eu l’occasion notamment d’aller en Irlande, ou en Écosse avec l’ambassadeur de France. On avait assisté à l’époque à un discours assez hallucinant du Premier ministre écossais sur les liens entre la France et son pays. Très clairement, il était pro-indépendantiste à 400 % ! 

Je ressentais également, dans les différentes strates de la population, un vrai ressentiment anti-européen, y compris dans des classes très favorisées, comme la noblesse britannique que j’ai eu l’occasion de rencontrer dans des dîners, entre autres. Juste avant le référendum, certains me disaient qu’ils allaient voter pour le Brexit. Quand j’allais rencontrer mes fournisseurs en dehors de Londres, ils me disaient aussi « nous, on va voter pour le Brexit ». Mais il y a souvent une différence entre ce que les gens disent, parfois par volonté de protester, et ce qu’ils votent réellement. Sur le moment, je ne pensais pas que le Brexit passerait. Mais après réflexion, et en analysant rétrospectivement la situation, je pense qu’on avait senti la vague monter. 

L’un des nombreux PAUL de Londres, situé dans l’arrondissement de Kensington et Chelsea. (Crédits: Andriy Blokhin - Shutterstock)

Avez-vous observé des conséquences immédiates à la suite des résultats du référendum de 2016, par exemple sur les activités de PAUL ?

Oui et dans deux domaines. Les premières sur un plan social, humain. Après le référendum, on a été confrontés à… je ne dirais pas du racisme, parce que c’est un peu fort, mais en tout cas des réactions auxquelles les Britanniques ne nous avaient pas habitués. J’ai par exemple eu une altercation verbale dans un club de gym avec quelqu’un qui faisait des choses que je n’appréciais pas. Je le lui ai signalé et, remarquant que j’avais un accent, il m’a dit : « Retourne chez toi ». En 10 ans de vie au Royaume-Uni, c’était la première fois qu’on me disait ça. 

C’était un ressenti un peu compliqué et une source d’inquiétude pour les Européens. Cette inquiétude et l’incertitude qui régnait autour du Brexit ont eu des conséquences très concrètes. Chez PAUL, à Londres, environ 70 % de nos effectifs en production et dans les magasins sont non-britanniques. Après le référendum, on a constaté des départs massifs dans nos équipes : 50 % de mes boulangers originaires d’Europe de l’Est ont par exemple décidé de partir. D’autres Européens aussi, effrayés d’être mis dehors ou confrontés à des démarches administratives trop lourdes. 

Le second domaine dans lequel les conséquences sont visibles, c’est celui de la logistique. Trouver un stockage au Royaume-Uni ou en Angleterre était devenu un enjeu démoniaque puisque tout le monde se préparait à des problématiques d’importation. On a fait des stocks de secours, qu’il a fallu renouveler tous les trois mois, car les négociations n’avançaient pas. 

Je n’ai pas à me prononcer sur le bien-fondé du Brexit puisque je ne suis pas citoyen britannique et que ce pays m’a merveilleusement accueilli. Je m’abstiens donc de tout commentaire personnel. Mais, en tant que dirigeant, c’est compliqué, puisque le business a horreur de l’incertitude. Qu’on nous dise simplement à quelle sauce on va être mangés ! Si demain, il y a 10 % de taxes à l’entrée, je ne sais pas comment je vais continuer à importer mes produits. Historiquement, on achète nos matières premières en France, parce qu’on a un volume d’achats important, qu’on est une entreprise française et qu’on prépare des produits à partir de jambons français, de beurre français, etc. Par ailleurs, nos sites de production de viennoiserie sont dans le nord de la France, des camions traversent la Manche tous les deux jours pour livrer des marchandises. Les problématiques logistiques sont donc très importantes pour nous. D’autant plus dans le contexte du Covid, qui ne nous permet pas d’élasticité sur les prix.

Justement, la crise du Covid a engendré plus d’incertitude et de difficultés économiques. Quelles en sont les répercussions pour vous ?

Il est certain que l’épidémie de Covid impacte fortement l’activité du retail. Dans le monde entier, on est en moyenne à moins 10 %-moins 20% de notre activité d’avant la crise. Londres a eu l’un des taux de reprise les plus faibles au monde. À la rentrée, avant le reconfinement, nous étions à moins 40 % de notre activité. Ce qui s’explique par plusieurs facteurs. Londres est habituellement la ville la plus visitée au monde, elle a été vidée de ses touristes étant donné la mesure de quarantaine obligatoire. Ensuite, vu le prix des loyers ici, énormément de personnes habitent en dehors de la ville et font la navette tous les jours. Désormais, ces gens travaillent de la maison, ils restent donc à l’extérieur de Londres et n’y font plus leurs courses. 

Notre deuxième inquiétude au Royaume-Uni, c’est qu’avec les mesures de lockdown mises en place au printemps dernier, beaucoup d’Européens, quel que soit leur job, ont décidé de passer cette période sur le continent. On a assisté à un exode de nos employés, qu’ils soient italiens, espagnols, français, portugais, grecs, etc. Ils ne voulaient pas être enfermés dans les logements londoniens, ce qui se conçoit. Le problème, c’est qu’ils ne sont pas revenus ! Un jour, le Covid s’arrêtera. Il faudra essayer de rouvrir rapidement l’ensemble de nos magasins. Avec qui allons-nous le faire ? En fait, c’est l’ensemble du secteur de la restauration qui est assez inquiet. Que vous alliez chez Prêt À Manger ou chez Starbucks, vous êtes rarement servi, à Londres, par un Britannique, mais par une personne pouvant venir de partout dans le monde. Que se passera-t-il si ces personnes ne reviennent pas après le Covid ? D’autant plus si de nouvelles législations sont mises en place pour contrôler l’immigration dans le cadre du Brexit. Comment l’activité économique du secteur va-t-elle pouvoir reprendre ?


Bio express

  • 1992  Maîtrise en droit des affaires (Paris II)

  • 1994  Diplômé de Sciences Po, filière Éco-Finance

  • 1995  Formation Métiers au sein du groupe PAUL

  • 1996  Auditeur au sein de Arthur Andersen

  • 1998  Retour dans le groupe PAUL

  • 2000  Ouvre la première boulangerie PAUL à Londres

  • 2002 à 2018  Occupe successivement les fonctions de directeur du réseau succursaliste, directeur de la franchise France et patron du réseau international

  • 2018  Nommé président-directeur général des boulangeries PAUL