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Directeur des services pénitentiaires : "une main de fer dans un gant de velours"

Après des missions de terrain, Claire Nourry (promo 10) occupe désormais des fonctions de pilotage en direction interrégionale. La jeune femme revient sur la diversité de son métier de Directeur des services pénitentiaires (DSP) dans une administration en pleine évolution, très loin des clichés à la Prison Break.     


Les chiffres clés

  • 42 000 personnels

  • 600 Directeurs des services pénitentiaires (DSP)

  • 2 ans : durée de la formation rémunérée de DSP avec une première année « élève-directeur » et la seconde année « directeur-stagiaire ».

  • 186 établissements sur tout le territoire


Claire Nourry, cheffe de service à la direction interrégionale des services pénitentiaires de Paris (promo 10). 

Quel est l’impact de la crise sanitaire sur les métiers de l’administration pénitentiaire ?

C’est une des rares administrations, au moment du confinement, notamment, à avoir continué de fonctionner. Cela dénote un engagement profond des personnels dans leur mission, mais aussi un grand sens du service public. Comme à « l’extérieur », nous nous sommes retrouvés, du jour au lendemain, sans activité, sans parloir… Il a fallu énormément communiquer avec les détenus pour leur expliquer la situation et le pourquoi des nouvelles mesures mises en œuvre pour les protéger et éviter un cluster. Nous avons aussi beaucoup accompagné les personnels pénitentiaires qui continuaient de travailler 24 heures sur 24. Cette période a cependant été un moment historique en termes de baisse des effectifs dans les établissements. Grâce à certaines mesures prises par le gouvernement, il y a eu de nombreuses libérations anticipées et un ralentissement dans les entrées en détention, notamment en région parisienne. Au centre pénitentiaire de Fresnes, où j’exerçais à cette période, nous avons par exemple réussi, à compter d’avril 2020, à ne plus avoir de cellule triple. Un gain en termes de conditions de détention, mais aussi de conditions de travail pour les personnels. L’administration pénitentiaire a su relever pleinement le défi de la crise sanitaire. 

Vous êtes dans cette administration depuis 11 ans. Quelles en sont les principales évolutions ?

Cette administration est en constante évolution depuis 20 ans. C’est d’ailleurs ce qui m’a motivée à la rejoindre. Elle s’est beaucoup rajeunie et féminisée. Il y a désormais une grande diversification des métiers, quelles que soient les fonctions, du surveillant au directeur, et la possibilité d’une carrière variée. Aujourd’hui, par exemple, l’administration pénitentiaire assure les extractions judiciaires des détenus entre les établissements et les tribunaux. Elle a aussi pris à bras-le-corps les questions du traitement de la radicalisation en détention avec une professionnalisation des agents sur le volet de la prise en charge, mais aussi du renseignement. Autre évolution : la multiplication des possibilités de recours pour les détenus sur un certain nombres de décisions prises pendant leur détention. C’est important, car la prison avait cette image de zone de non-droit. Le projet de création de nouvelles places va également permettre de désencombrer les maisons d’arrêt, ce qui favorisera une prise en charge plus individualisée, 
mais aussi la modernisation des structures. Améliorer les conditions de détention, c’est améliorer les conditions de travail des agents. 

Quelles sont les missions d’un Directeur des services pénitentiaires ?

Un DSP peut alterner des postes opérationnels purs – en établissement – avec des postes de pilotage et de conception – en administration centrale ou interrégionale. Au quotidien, en établissement, le métier est tourné vers l’humain, avec la prise en charge des personnes qui nous sont confiées par l’autorité judiciaire. Cela veut dire les accueillir dans de bonnes conditions, prévenir les violences et le risque suicidaire, donner du sens au temps carcéral et préparer leur sortie. En parallèle, c’est aussi le management des personnels ainsi que toute une dynamique de pilotage plus globale : gestion de service, mise en place de projets, développement concret des politiques publiques, budget, RH… La prison est comparable à une petite ville, on y gère tous les pans de la vie des personnes que l’on garde : repas, activités, soins, culture, enseignements, etc. Nous travaillons ainsi avec de nombreux partenaires : autorités judiciaires, préfets, maires, associations, avocats, Éducation nationale, ministère de la Santé, services pénitentiaires d’insertion et de probation…

Les qualités requises pour l’exercer ?

Il faut d’abord être animé d’un vrai sens du service public, mais surtout aimer l’humain, car nous gérons beaucoup de personnes, que ce soit les détenus, mais aussi nos agents. Être DSP, c’est aussi être équilibriste : il y a la règle, mais il faut savoir l’appliquer de manière intelligente. Je dis souvent aux agents qui débutent qu’un bon pénitentiaire, c’est « avoir une main de fer dans un gant de velours ». 
Il faut aussi être rigoureux, savoir gérer les urgences, son stress, être capable de décider, de s’adapter et de prendre du recul, car nous sommes confrontés à la violence et à la fragilité humaine. 

Le milieu carcéral suscite de nombreux fantasmes quant à son environnement dangereux. Qu’en est-il ?

De façon générale, cela se traduit par la mise en œuvre de mesures de sécurité et de contrôle des personnes et des locaux. Mais notre approche n’est pas la même selon les établissements et les risques identifiés. Entre le très sécuritaire centre pénitentiaire de Condé-sur-Sarthe et le régime ouvert de Casabianda, en Corse, où les détenus peuvent librement circuler en journée, réintégrant le soir leur cellule, le travail et la notion de sécurité sont très différents. Si la sécurité fait partie de notre métier, au quotidien, elle ne nous obsède pas. On pense aussi « prise en charge ». C’est l’humain que l’on gère avant tout, avant le délinquant Ð même si son dossier judiciaire n'est jamais oublié.

Vous êtes une des premières DSP à avoir fait Sciences Po. Cette formation est-elle un atout pour exercer votre métier ?

Lors de mon master Carrières judiciaires et juridiques, j’ai participé à un projet collectif sur la psychiatrie en milieu carcéral, mené par Hélène Bellanger. C’est ce qui m’a incitée à présenter le concours de l’ENAP (*École nationale d'administration pénitentiaire). Sciences Po m’apporte une rigueur de raisonnement, une méthodologie de travail, mais aussi une capacité d’analyse et de prise de décision. Cette formation m’a aussi appris à être créative et à oser faire les choses. Un atout dans l’administration pénitentiaire, qui offre une grande autonomie à ses DSP. Nous pouvons facilement y proposer des projets qui sortent de l’ordinaire. 

Un conseil à adresser aux étudiants ? 

Faites des stages et passez le concours ! L’administration pénitentiaire est très attachante, car il y a une grande solidarité au sein des équipes. DSP est aussi un des rares métiers où l’on arrive à un haut niveau de responsabilités très tôt. J’étais numéro deux de Fresnes – la deuxième plus grande prison de France – à 31 ans… Un peu vertigineux, mais passionnant. 


Trois questions à… Victoire Perlade

Victoire Perlade, directrice au centre pénitentiaire de Fresnes, la deuxième plus grande prison de France (promo 16).  

Vous avez terminé l’ENAP en 2019. Ce qui vous a conduite en « détention » ? 

En intégrant Sciences Po, j’avais une idée précise : celle d’entrer dans la fonction publique afin de travailler sur les grands enjeux sociétaux. J’ai intégré le master Affaires publiques à Paris [désormais Politiques publiques, NDLR] au cours duquel j’ai réalisé un stage dans un établissement pénitentiaire. Un univers pour moi inconnu. J’y ai découvert une organisation, des professionnels et des carrières très intéressantes, en lien avec mes études. Je me suis inscrite à la Prép’ENA en vue de préparer les concours administratifs et celui de DSP. Bien que moins reconnu, ce dernier me permettait d’avoir un poste à responsabilités à la sortie de l’école dans un domaine professionnel qui m’intéressait particulièrement. 

Au quotidien ? 

Nous sommes en prise directe avec l’actualité et les questions de société. En ce moment, par exemple, on s’intéresse au procès « V13 » [celui des attentats du 13 novembre, NDLR], comme à l’effectivité du droit de vote en prison tel qu’annoncé lors des dernières élections régionales ; des sujets qui ont un impact fort en détention. En tant que DSP, on a la capacité d’avoir une action très concrète, tout en modelant son poste « à sa main » avec une grande capacité d’initiative. C’est un métier de terrain, de relationnel et de management. On travaille en pluridisciplinarité avec des médecins, psychiatres, des personnes du monde de la culture… Concernant la population pénale, on croise des individus aux univers très différents, avec des parcours de vie complexe. C’est un métier riche qui induit une grande variété de rencontres et où chaque problème a une solution humaine.

Ce que votre formation à Sciences Po vous apporte dans votre métier ? 

La curiosité, une grande adaptabilité et une ouverture d’esprit. Malgré ce que l’on pourrait croire, il ne faut pas forcément avoir fait des études juridiques pour devenir DSP. Avec le master Politiques publiques, on est armé pour s’y épanouir, capable de toucher à tous les sujets du métier.


Trois questions à… Theo Gomez

Theo Gomez, adjoint au chef d’établissement du centre pénitentiaire de Château-Thierry, un établissement spécialisé dans les détenus souffrant de troubles psychotiques (promo 17).  

Vous avez terminé l’ENAP en 2019. Ce qui vous a conduit en « détention » ? 

Lors de mon master Politiques publiques, j’ai effectué un stage à la Direction de l’administration pénitentiaire, précisément à la constitution du renseignement pénitentiaire. En 2017, à la suite des attentats, le renseignement pénitentiaire s’est professionnalisé dans les prisons avec des moyens juridiques, humains et matériels. Mon stage portait sur la préfiguration de ce nouveau réseau. Pendant une semaine, j’ai eu l’occasion d’entrer pour la première fois en détention, en tenue de surveillant, à la maison d’arrêt de Nanterre. Une expérience riche qui m’a incité à passer le concours. 

Au quotidien ? 

J’aime les problématiques auxquelles nous sommes confrontés : celles de la sécurité intérieure – auprès des détenus, des agents et de la société –, mais aussi celles qui sont liées à la réinsertion avec des dispositifs culturels, de formation, etc., pour « normaliser » la détention et préparer la sortie. Le volet humain y est très riche. Nous sommes en contact avec la population pénale tout en ayant un enjeu managérial très fort avec les agents. Il faut savoir gérer l’urgence en même temps que des projets de fond – conception d’une nouvelle activité, aménagement d’un nouveau secteur de détention, etc. Mais le DSP n’est pas seulement un directeur de prison. Il peut être en poste en direction interrégionale et en direction centrale et ainsi alterner des missions opérationnelles et de conception. 

Sciences Po vous a-t-elle bien préparé au concours d’entrée ? 

Absolument. DSP est un métier très généraliste – on gère les RH, un budget autant que la détention. Sciences Po offre cette pluridisciplinarité. De plus, cette école, même si elle évolue, entretient une culture de service public que l’on retrouve au sein de l’administration pénitentiaire. Je retourne d’ailleurs régulièrement à Sciences Po pour faire passer les oraux blancs du concours de DSP et, au prochain semestre, expliquer les enjeux pénitentiaires dans le master Carrières judiciaires et juridiques.

Publi-reportage initialement publié dans la rubrique “Trajectoires” du numéro 23 d’Émile, paru en novembre 2021.


Recrutement

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