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Brexit : Entretien avec l'ambassadeur du Royaume-Uni en France

Directeur de cabinet de l’ancien Premier ministre David Cameron de 2010 à 2016, Lord Edward Llewellyn est, depuis quatre ans, ambassadeur du Royaume-Uni en France. Il répond aux questions d’Émile et nous dévoile les contours de la politique diplomatique britannique pour rester au premier plan sur la scène internationale. 

Cette interview, réalisée en novembre 2020, a été publiée dans le n° 20 du magazine Émile.

Propos recueillis par Maïna Marjany

Lord Edward Llewellyn, ambassadeur du Royaume-Uni en France. (Crédits: Ambassade du Royaume-Uni en France)

Les débats autour du Brexit ont-ils intensifié les divisions au sein de la société britannique ? Et comment imaginez-vous le Royaume-Uni de demain ?

Le débat autour de la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne a été dynamique et de nombreuses personnes ont encore des opinions bien arrêtées à ce sujet. Mais lorsque je regarde vers l’avenir, je vois le Royaume-Uni jouer un rôle très actif pour relever les défis mondiaux qui nous toucheront tous.

Tout d’abord, en tant que force du bien, le Royaume-Uni accueillera en juin prochain le G7 et la COP26, au sein desquels nous sommes un membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies, de l’OTAN. Nous sommes l’un des rares pays à atteindre l’objectif de consacrer 2 % de notre PIB à la défense et nous disposons d’un régime national de sanctions en matière de droits de l’homme (dites « sanctions Magnitsky »). Ces dernières nous ont permis d’aller plus loin et plus vite que nos partenaires internationaux pour sanctionner les abus – comme plus récemment ceux impliqués dans la répression en Biélorussie ainsi que dans l’assassinat de Jamal Khashoggi et de Sergeï Magnitsky.

Deuxièmement, en tant qu’innovateurs de premier plan, nous sommes déterminés à mieux reconstruire à partir du Covid-19. Nous avons notamment investi des millions dans la recherche sur le Covid avec le vaccin de l’Université d’Oxford. À titre d’exemple, nous sommes le premier bailleur de fonds mondial de la Gavi – l’Alliance du vaccin (1,85 milliard d’euros sur cinq ans) pour éradiquer les maladies évitables par la vaccination ; et le sommet présidé par Boris Johnson a permis de récolter suffisamment de fonds pour vacciner 300 millions d’enfants. Par ailleurs, nous sommes une destination de premier plan pour la technologie. Un récent rapport d’Ernst & Young, en 2020, a noté une augmentation de 36 % de l’attraction de projets de technologie numérique, soit une part de 30 % des projets européens d’IDE, plus que la France et l’Allemagne réunies.

Enfin et surtout, nous sommes une des premières grandes économies mondiales à légiférer pour un avenir sans carbone. Notre pays joue un rôle essentiel, aux côtés de l’Italie, dans la définition d’une ambition mondiale pour lutter contre le changement climatique. Nous examinerons les progrès réalisés dans le cadre de l’Accord de Paris en décembre, aux côtés des Nations unies, du Chili, de l’Italie et de la France. Quand le Royaume-Uni accueillera la COP26 l’année prochaine, nous réunirons des milliers de décideurs et de dirigeants pour décider d’un nouvel avenir et lutter contre les effets catastrophiques du changement climatique.  

Le Royaume-Uni est déterminé à rester une nation tournée vers l’extérieur et partageant les charges.

Depuis l’entrée en vigueur du Brexit, le 31 janvier 2020, quelles mesures ont été prises par le gouvernement et le réseau diplomatique britanniques pour faire entendre la voix du Royaume-Uni sur la scène internationale ?

Le Royaume-Uni a bien sûr investi pour se projeter sur la scène internationale. Je viens d’exposer quelques-unes des principales façons dont le Royaume-Uni est en tête sur la scène mondiale, et le gouvernement s’est engagé à tenir ses promesses. Le programme « Global Britain », annoncé par le ministre des Affaires étrangères, visait à ouvrir 12 nouveaux postes à l’étranger, notamment à Djibouti, au Niger, une nouvelle mission auprès de l’ANASE et un certain nombre de postes du Commonwealth, et aura créé près d’un millier de nouveaux postes d’ici la fin de l’année.

Nous avons actuellement 280 missions à l’étranger. Bien sûr, il n’y a pas que les réseaux diplomatiques qui comptent (mais ne dites pas à mes collègues que j’ai dit cela…). Le Royaume-Uni dispose d’une série d’atouts redoutables dans le monde entier – de la ville de Londres au British Council en passant par les universités, la science et la recherche. Pour information, 20 % des meilleures universités du monde se trouvent au Royaume-Uni et Sciences Po elle-même a des partenariats avec 25 universités britanniques et six doubles diplômes ; il y a une marque nationale très forte et un ensemble de valeurs qui traversent tout ce que nous faisons.

Certains Français craignent que le Brexit n’altère les relations entre la France et le Royaume-Uni. Que leur répondez-vous ? Les liens tissés entre les deux pays à travers l’Histoire vont-ils résister à ce divorce entre le Royaume-Uni et l’UE ?

Le Royaume-Uni et la France partagent une puissante amitié, soutenue par nos valeurs communes et nos intérêts mutuels. Notre engagement en faveur de cette amitié est inébranlable et je pense que les actes sont plus forts que les mots.

En tant que voisins, alliés et partenaires, notre relation est l’une des plus longues, des plus complexes et, sans doute, des plus importantes, et nous continuerons à travailler en étroite collaboration sur tout un éventail de questions, y compris la politique étrangère, la sécurité, les biens mondiaux, la science et l’innovation. Pour avoir une idée de cette histoire, il suffit de regarder la visite du président Macron à Londres pour marquer le 80e anniversaire de l’appel du général de Gaulle, en juin, où le président a été reçu par le Premier ministre et Son Altesse Royale le prince de Galles, et a remis à la ville la Légion d’honneur. Je pense aussi au Mémorial de Normandie, construit pour reconnaître le sacrifice des troupes britanniques et leurs alliés, tout autant que des civils français lors de la campagne du Débarquement. Même si le Royaume-Uni se retire des institutions politiques de l’Union européenne, il ne quitte pas l’Europe pour autant. Sachez que la France et nous-mêmes serons toujours des partenaires naturels sur la scène mondiale.

Ensemble, nous continuerons à montrer l’exemple en tant que membres européens permanents du Conseil de sécurité des Nations unies. Nous travaillons en étroite collaboration avec la France et l’Allemagne sur l’accord nucléaire avec l’Iran (JCPoA), afin de contrer les menaces de prolifération des armes chimiques, de continuer à assurer la sécurité européenne – y compris à la frontière orientale de l’OTAN –, de nous efforcer de résoudre le conflit en Syrie et de coopérer dans la lutte contre le terrorisme.

En novembre dernier, nous avons célébré le dixième anniversaire de la signature du traité de Lancaster House, l’un des accords de défense bilatéraux les plus proches au monde. Ce partenariat est visible au Sahel, où nos deux armées travaillent déjà ensemble, et en Estonie, où des forces françaises sont déployées dans le cadre britannique de la présence avancée renforcée de l’OTAN et où nous contribuons tous deux à des missions de police aérienne dans la mer Baltique. Chaque jour, nos forces de l’air travaillent ensemble pour protéger notre espace aérien contre toute incursion ou attaque terroriste. 

Notre partenariat commercial continue lui aussi de se renforcer. Au cours des quatre derniers trimestres, le commerce bilatéral entre le Royaume-Uni et la France s’est élevé à plus de 74,5 milliards de livres sterling.

Mais ce sont les histoires humaines qui sous-tendent notre histoire et notre avenir communs. Plus de 300 000 citoyens britanniques vivent en France et autant de Français au Royaume-Uni, qui ont créé des relations et des familles franco-britanniques – moi y compris ! Et avec plus de 18 000 étudiants français de l’enseignement supérieur au Royaume-Uni et, à l’exception de cette période Covid, 12 millions de visiteurs britanniques en France chaque année (plus que dans tout autre pays du monde), je pense que ces liens solides de personne à personne vont se poursuivre ! 



Découvrez un grand entretien sur les négociations post-Brexit avec Clément Beaune, secrétaire d’État chargé des Affaires européennes.