Quentin Eveno est passionné de sport et de photographie argentique. Fin 2019, il a lancé le projet Analog Sport, destiné à former des jeunes à la photographie sportive en vue des Jeux 2024, et pour lequel il a remporté le 1er prix du Concours Talents 2024 organisé par la Ville de Paris et Paris 2024. Il raconte à la rédaction d’Émile son parcours et la mise sur pied de ce projet à fort impact social.

Propos recueillis par Maïna Marjany et Emma Barrier

Durant votre parcours professionnel, quand vous est-il venu à l’esprit de concilier vos deux passions, sport et photographie ?

Ces deux passions m’ont toujours intéressé au fil de ma scolarité à Sciences Po. J’ai eu la chance de faire mon année de mobilité à Rio de Janeiro pendant les Jeux Olympiques et Paralympiques de 2016. J’ai pu mettre en place des programmes sportifs et culturels auprès de jeunes adolescents dans deux favelas de Rio de Janeiro. J’ai tout de suite compris le rôle important que pouvait jouer le football et l’art dans la société brésilienne.

Ensuite, j’ai intégré l’École d’affaires publiques pour me spécialiser dans les politiques publiques sportives, tout en me perfectionnant à la photographie en dehors des cours. Après Sciences Po, j’ai intégré PwC pour travailler sur tous les sujets en lien avec le sport, notamment l’impact qu’il peut avoir sur la société. C’est au fil de mes missions et des rencontres que j’ai voulu photographier et documenter l’ensemble des acteurs sportifs. 

En décembre 2018, j’ai créé sur Instagram le compte Analog Football : le premier média international dédié à la photographie argentique et au football. J’ai commencé par poster mes photos, puis celles des amis et petit à petit, le média est devenu une référence en photographie sportive. Nous avons plus de 12 000 followers dans le monde, nous sommes suivis par des clubs, médias, marques et nous avons même été cités par le Jeu de Paume [centre d'art dédié à la diffusion de l'image, situé au cœur du jardin des Tuileries à Paris, NDLR] dans leur série « Image et Sport ». Pour la petite anecdote, j’ai lancé ce média dans la cafétéria du 27, rue Saint-Guillaume entre deux révisions de Droit administratif !

Comment est né le projet Analog Sport ? Quel est son concept ?

Un an après la création et le succès d’Analog Football, j’ai voulu transformer le média en projet associatif pour y associer des jeunes d’Île-de-France et leur permettre de vivre cette belle aventure artistique. Fin 2019, j’ai co-fondé Analog Sport, la première association d’éducation et d’intégration à travers la pratique de la photographie sportive. Cette association a pour objectif d’initier et de former gratuitement pendant dix mois des jeunes à la pratique de la photographie sportive, en argentique et en numérique, à travers la réalisation de reportages de clubs ou d’événements sportifs.

Ce projet s’inscrit dans un contexte particulier. Tout d’abord celui des Jeux Olympiques et Paralympiques (JOP) de Paris 2024 : Analog Sport a pour ambition de former d’ici trois ans des jeunes capables de photographier les JOP 2024 et ainsi de figurer parmi les garants de l’héritage et de la mémoire des Jeux. Ensuite, le manque de diversité au sein de la profession de photographe sportif : ce métier connaît encore aujourd’hui un manque de diversité et en particulier une sous-représentation des femmes. 

En 2020, le projet Analog Sport a rassemblé six jeunes de 15 à 18 ans motivés par la pratique de la photographie sportive. En 2021, nous avons lancé deux nouvelles promotions à Paris avec 11 jeunes au total : ces jeunes sont encadrés et suivis gratuitement tout au long de l’année. 

Selon vous, quel rôle jouent le sport et la photographie dans le processus d’intégration des jeunes (photographes) ?

L’intégration des jeunes est d’abord sociale et culturelle. Ce projet donne aux jeunes un accès privilégié au secteur de la photographie et leur permet de comprendre cet univers. Nous avons par exemple visité une exposition aux Magasins Généraux et échangé pendant plus de deux heures avec la commissaire d’exposition et Monsieur Bonheur, un des photographes exposés. Les jeunes ont l’opportunité d’être au contact de personnes influentes du secteur et nous souhaitons reproduire ce genre de rencontres pour les promotions à venir. 

L’intégration est aussi scolaire : Analog Sport souhaite s’appuyer sur le sport et la photographie pour renforcer la réussite éducative des jeunes en améliorant, par exemple, leurs compétences rédactionnelles, leur expression orale ou encore leur niveau d’anglais. Sur nos réseaux, nous communiquons uniquement en anglais. Nous demandons aux jeunes de s’exprimer et de rédiger en anglais lorsqu’ils veulent publier un article sur notre site. 

Enfin, elle est aussi professionnelle : nous faisons découvrir aux jeunes les métiers du sport et de la culture en les mettant en relation avec les partenaires du projet et en les aidant dans leurs demandes de stages. Nous souhaitons faire bénéficier ces jeunes de notre réseau, pour susciter des vocations et offrir des opportunités aux jeunes qui souhaitent s’orienter vers une carrière de photographe sportif en leur permettant de bénéficier gratuitement de conseils de professionnels. 

Pourquoi avoir choisi de former de jeunes photographes à la photographie argentique (et non à la photo numérique, davantage utilisée aujourd’hui, notamment dans les médias) ?

Nous avons choisi de concentrer notre formation sur la photographie argentique pour plusieurs raisons. Premièrement, parce que nous sommes convaincus que nous pouvons, à travers l’argentique, transmettre des valeurs et des émotions aux jeunes plus facilement qu’en utilisant la photographie numérique. La rigueur tout d’abord : les 36 poses d’une pellicule nécessitent de l’application, de la précision dans la manière de prendre chaque photo. Ensuite la patience : alors que notre génération est de plus en plus pressée, l’argentique est un excellent moyen de travailler la patience. Les jeunes attendent deux semaines avant de découvrir leurs photos. Enfin, la gestion de l’échec : l’argentique est un hymne à la persévérance et à l’exigence. Apprendre à échouer et à réessayer est un des objectifs du projet. 

Deuxièmement, nous avons créé ce projet pour proposer des photos différentes de ce qu’on peut voir aujourd’hui dans les médias. Nous ne formons pas ces jeunes au photojournalisme mais à la photographie : aujourd’hui la photographie sportive se résume principalement à prendre en photo les meilleures actions d’un match et les diffuser le plus rapidement sur les réseaux. Notre objectif est de proposer une vision artistique du sport et l’argentique est un réel atout. 

Enfin, nous pensons que de débuter la photographie en argentique est formateur et pourra être toujours utile aux jeunes dans leurs futures carrières, même s’ils photographient en numérique. Nous leur conseillons de jongler entre les deux.

Quelle est l’issue de cette formation ?

Nous souhaitons, à l’issue de la formation Analog Sport, fournir une expérience professionnelle aux jeunes qui souhaitent s’orienter vers le secteur du sport ou de la culture. Cela peut passer par un stage, une embauche, ou une expérience pendant l’année qui aura un impact décisif dans le parcours du jeune (shooting, reportages, rencontre…). 

Pour vous donner un exemple, le Groupe SNCF a souhaité mettre en avant les athlètes féminines de son Dispositif Athlètes de haut niveau à travers une opération photo originale en collaboration avec l’association Analog Sport. Les filles de l’association ont été sélectionnées pour réaliser un shooting à Paris et à Lyon avec des athlètes olympiques et paralympiques. Tout au long de l’opération, les filles de l’association vont être accompagnées et conseillées par la photographe Catherine Cabrol, marraine de l’opération. Cette expérience sera significative pour les filles de l’association et pourra les aider après la formation. 

Enfin, nous n’attendons pas obligatoirement de ces jeunes qu’ils deviennent photographes professionnels : nous souhaitons avant tout nous servir du sport et de la photographie pour aborder avec eux un certain nombre de sujets et garantir leur épanouissement personnel. Si des jeunes souhaitent aller plus loin dans la photographie, nous leur proposons d’intégrer notre média et de couvrir différents événements sportifs de la Région pour gagner en expérience. 

Pourquoi avoir participé à l’appel à projets Talents 2024 ? Les valeurs de l’olympisme étaient-elles fondamentales pour vous ? 

Participer à un appel à projets organisé par la Ville de Paris et Paris 2024 était nécessaire pour notre association. Il rassemble les meilleurs projets d’Île-de-France et représente un réel atout et tremplin pour tous les jeunes entrepreneurs.

Le projet Analog Sport s’inscrit dans les thématiques de l’inclusion et de la solidarité. Nous sommes convaincus que les valeurs de l’olympisme associées à celles de la photographie argentique (la rigueur, le contact humain, l’échec, la patience…) peuvent permettre aux jeunes d’être plus solidaires et plus inclusifs. 

Sur l’inclusion, le projet a pour ambition de décloisonner la pratique de la photographie argentique et en particulier la photographie sportive en permettant à des jeunes d’accéder à une formation entièrement gratuite et de bénéficier d’une visibilité sans précédent à travers nos réseaux sociaux. Sur la solidarité, ce projet a pour but d’émanciper les jeunes, de les ouvrir sur nos enjeux actuels et sur d’autres horizons, humains ou professionnels. 

Que représente pour vous l’obtention de ce prix ? Que va-t-il vous permettre d’accomplir ? 

C'est une grande fierté d'avoir remporté cet appel à projets et de voir aussi qu'autant de jeunes s'engagent dans cette période difficile. Avoir le soutien de la Ville de Paris et de Paris 2024 était essentiel pour notre projet. Pour la première fois de l'histoire des Jeux, nous proposons à des jeunes issus des collectivités Terre de Jeux d'être les photographes « officiels » de l'événement. Il était essentiel pour nous d'écrire cette histoire avec la ville hôte et le comité d'organisation. 

Ce prix va nous permettre de former plus de jeunes sur le territoire tout en leur fournissant un matériel de qualité. Il nous permet également d’activer un déploiement à l’échelle nationale et internationale : cette année, nous allons lancer deux nouvelles promotions à Marseille et à Rio de Janeiro, dans la favela de Providencia en étroite collaboration avec la Casa Amarela, centre culturel crée par l’artiste JR.