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Face à la crise, peut-on compter sur les réserves citoyennes ?

Face au sentiment d’impuissance partagé après la crise et au besoin de renfort ressenti par les établissements publics, la solution pourrait venir d’un dispositif souvent méconnu : les réserves citoyennes, qui permettent à des volontaires de s’engager en soutien. Mais pour cela, il est nécessaire de repenser l’organisation de ces réserves. Adam Baïz (promo 2013), économiste, et Clément Foutrel (promo 20), étudiant en sciences économiques et sociales à l’EHESS, défendent dans cet article l’idée d’une plateforme unique de l’engagement.


Adam Baïz (promo 2013)

Polytechnicien, Adam Baïz s'est spécialisé en économie à Sciences Po et l'Ensae. En parallèle d'une thèse, il a d'abord travaillé au ministère de l'Environnement. Aujourd'hui, il coordonne l'évaluation des politiques publiques à France Stratégie, et enseigne à l'École d'Affaires Publiques de Sciences Po.


Clément Foutrel (promo 2020)

Diplômé du Master Politiques publiques de Sciences Po, Clément Foutrel termine actuellement un Master de recherche en sciences économiques et sociales à l'EHESS, Paris Dauphine et Mines ParisTech.


Au tournant de 2021, les sondages ont été sans appel : la crise sanitaire a lourdement affecté notre santé psychologique. Un salarié sur deux déclare être en situation de détresse psychologique (baromètre Opinionway du 16 décembre 2020), 40 % des 18 - 24 ans disent souffrir d'un trouble anxieux généralisé (sondage Ipsos du 28 janvier 2021), près d'un tiers des Français estiment avoir renforcé leurs addictions (sondage Odoxa-Backbone du 19 janvier 2021), près de 75 % de la population éprouvent un sentiment d'impuissance (sondage Ifop/Aladom du 17 mars 2021), etc. Et ces chiffres sont en hausse, surtout chez les plus jeunes. Ce n'est pas si étonnant. La crise sanitaire a bouleversé notre quotidien, nos études, nos emplois, nos déplacements, nos relations. Elle a aussi créé l'étrange sentiment que chacun est responsable du cours des choses, et toutefois individuellement impuissant pour l'infléchir. L'anxiété qui en découle n'est pas nouvelle. Ces dernières années, elle nous prend déjà en tenaille - nous, les individus lambdas - face au chômage, à la menace terroriste ou encore au réchauffement climatique. Alors que faire pour lutter contre l'anxiété, face aux crises ? 

Une partie de la réponse nous semble être dans la question : faire. Permettre à chacun d'agir et de se sentir utile. Car si nous avons besoin d'être soutenus par la société, la crise a aussi renforcé l'envie d'être solidaire pour la majorité d'entre nous (sondage Ipsos du 4 juin 2020). Il faut donner corps à cet élan fraternel : chacun, quels que soient son âge et ses compétences, peut aider. Pour cela, il existe le tissu associatif. Face aux crises, il existe aussi ce dispositif trop peu connu encore : les réserves citoyennes. 

Sous des dénominations diverses, les réserves citoyennes regroupent des personnes volontaires pour intervenir en renfort à des structures établies (hôpitaux, établissements scolaires, armées, etc.), et souvent face à des urgences, qu'il s'agisse d'épidémies, de catastrophes naturelles ou encore d'attentats. La France en compte une quinzaine : la réserve sanitaire, la réserve citoyenne de l’éducation nationale, les réserves militaires, la réserve des sapeurs-pompiers, etc. Selon la réserve, les missions sont diverses : soutenir une campagne de vaccination, accompagner une sortie périscolaire, participer à une opération militaire ou encore aider des personnes dépendantes à faire leurs courses. Bien entendu, certaines missions exigent des qualifications spécifiques, pour injecter un vaccin par exemple. Et dans ce cas, elles donnent généralement lieu à une rémunération, là où le bénévolat est autrement la règle. 

En principe, il suffit de remplir un dossier de candidature, et de s'engager un certain nombre de jours par an. Ainsi, depuis le début de la crise Covid-19, la réserve sanitaire, qui comptait 21 000 membres, a reçu près de 25 000 candidatures supplémentaires. Et pourtant, moins de 10 % d'entre eux ont été effectivement mobilisés en 2020. Ce paradoxe touche plusieurs réserves, depuis plusieurs années, et s'explique par une raison principale : la majorité des candidats ne vérifient pas les conditions requises (diplôme, âge, etc.), ou ne correspondent pas aux urgences du moment. Et même lorsqu'ils pourraient répondre à des besoins immédiats et nombreux, la plupart des réservistes disparaissent des radars si on les a trop longtemps laissé de côté. Un gâchis...

Depuis l'été dernier, nous avons échangé avec des acteurs et des responsables de différentes réserves (sanitaire et civique en particulier) et du monde associatif. Et il est apparu indispensable de mieux les coordonner entre elles. Elles y gagneraient en visibilité et en efficacité. Deux options sont envisageables. La première serait de fusionner toutes les réserves en un dispositif unique, à l'instar de ce que proposait le rapport Sauvé-Onesta à la suite des attentats de 2015. La réserve civique a été créée en 2017 avec cette ambition, mais les spécificités des réserves existantes ont eu raison de ce projet de fusion. La deuxième option ne présenterait pas cet écueil : il s'agirait simplement de créer une plateforme unique de l'engagement citoyen.

Capture d’écran du site jeveuxaider.gouv.fr (ministère de la Culture)

Sur un site internet unique, toutes les réserves auraient à indiquer leurs missions et les éventuelles compétences requises. De son côté, tout citoyen pourrait s'y connecter, et à travers un moteur de recherche, indiquer ses appétences (environnement, éducation, etc.), ses disponibilités (temporelles et géographiques) et si besoin ses compétences. En cochant sur les missions proposées qui l'intéressent, il serait aussitôt mis en relation avec les organismes concernés qui, réciproquement, auraient aussi la possibilité de prendre directement contact avec les personnes potentiellement intéressées et disponibles. Fini la logique de silos : au même endroit, les citoyens et les réserves pourraient se rencontrer sans avoir à multiplier les démarches administratives. En outre, cette plateforme gagnerait à accueillir les missions des acteurs associatifs (en reprenant éventuellement le site "jeveuxaider.gouv.fr" de la réserve civique), et s'articuler avec le projet du Service National Universel (SNU) pour les 15-17 ans. Au sein d'un comité de pilotage, les réserves et le Haut Conseil à la Vie Associative pourraient se réunir, pour veiller à mieux servir les besoins locaux, à répartir plus efficacement les ressources, et à mobiliser plus régulièrement les personnes motivées. 

Portées par une plateforme unique et en soutien au monde associatif, les réserves citoyennes renoueraient avec leurs pleines vocations tout en gagnant en ampleur. Chacun de nous y trouverait plus facilement des occasions de servir l'intérêt général, pour atténuer les crises et pour les prévenir de façon graduelle. On y trouverait aussi l'opportunité de rencontrer des gens de tout horizon, et à leurs contacts de développer des compétences nouvelles tout au long de sa vie. Finalement, tout l'esprit de la Fraternité ?