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CoucouMamie : "L'intergénérationnel au service de nos aînés"

Maxime et Edwin, deux diplômés de Sciences Po, viennent de créer leur deuxième start-up. CoucouMamie met en place un réseau d’étudiants à destination des personnes âgées vivant loin de leur famille. Convaincu de la nécessité de recréer du lien social, Edwin Galan explique à Émile l’intérêt de leur nouveau projet.

Propos recueillis par Emma Barrier

L’équipe de CoucouMamie et du Smartsitting. (Crédits photo: Le Smartsitting)

CoucouMamie a été créé par deux anciens de Sciences Po. Pouvez-vous nous présenter vos parcours respectifs ?

Maxime et moi-même, Edwin, sommes entrepreneurs depuis cinq ans. Nous avons monté notre première entreprise pendant la dernière année de master à Sciences Po. On s’est retrouvés dans l’envie d’avoir un rôle actif et positif dans la société, pas simplement un boulot quelque part. C’est ce qui nous a motivés pour créer notre première entreprise, Le Smartsitting, avec une double ambition : démocratiser des pédagogies positives type Montessori et revaloriser pour les étudiants le job de babysitter. On a mis en place des gardes d’enfant périscolaires créatives : les enfants s’enrichissent avec des étudiants passionnants (musiciens, artistes, comédiens, bilingues…). On y retrouve les notions d’intergénérationnel et d’éducation culturelle que nous développons davantage dans notre nouveau projet, CoucouMamie. Pour CoucouMamie nous avons été rejoints par Élodie, entrepreneure également, qui travaillait au sein de Doctolib et qui possède également une expérience directe du sujet.

Quel est le concept de CoucouMamie ?

CoucouMamie c’est donc de l’intergénérationnel au service, cette fois-ci, de nos aînés. Celles et ceux de la génération « baby boom » - devenue « papyboom » - qui ont des attentes très fortes sur leur bien-être, restent très actifs et ont envie de vieillir chez eux.

Ce sont les services de convivialité et les activités de CoucouMamie qui les intéressent, car elles se passent directement chez eux, dans leur propre confort, avec des étudiants engagés et passionnés qui ont envie d’échanger et de partager. L’objectif derrière est évidemment de garder nos aînés actifs, impliqués, entourés, et donc en meilleure santé. Nous faisons de tout : des activités musées, couture, jeux de société, cuisine, piano, lecture, sorties…

Nos binômes se rencontrent et se choisissent l’un l’autre. La transmission est mutuelle, nos aînés transmettent et apprennent, et vice-versa. Mais surtout ils passent de bons moments ensemble !

Quand et comment est né ce projet ?

CoucouMamie est né de nos histoires personnelles avec nos grands-mères qui sont pour chacun d’entre nous à plus de 500 km. Surtout, on a vu comment en vieillissant elles sont quasiment devenues « auxiliaires de vie » de nos grands-pères, plus âgés, ce qui les a beaucoup occupées et mobilisées. Nous avons envie de leur permettre de garder du lien social, et si elles ne peuvent plus trop sortir, de faire en sorte que les activités viennent à elles. Elles sont curieuses et merveilleuses !

Évidemment c’est directement lié à l’ambition qui nous anime avec Le Smartsitting : recréer des liens, des rencontres, de l’intergénérationnel positif… On veut reconnecter ceux qui sont éloignés les uns des autres, et ont beaucoup à partager.

Vous partez donc du constat que les femmes âgées deviennent souvent les auxiliaires de vie de leurs maris en vieillissant, les services de CoucouMamie s’adressent-ils également aux hommes isolés ?

Oui ce constat est fait par des sociologues et des spécialistes du vieillissement. Et c’est un constat que je fais avec ma grand-mère, qui s’occupe à temps plein de mon grand-père depuis qu’il a eu un AVC et qu’il est quasiment retourné en enfance.

Que peut-on faire, non pas pour remplacer nos grands-mères dans ces rôles qu’elles ont envie de remplir (car il donne sens à leurs vies), mais pour les aider ? Sans s’imposer ? Sans leur enlever leurs propres choix de vie, et donc leur autonomie ?

Les hommes isolés sont malheureusement moins nombreux à toquer à notre porte, mais nous les accueillons bien évidemment avec joie !

Aperçu du site de CoucouMamie.

Quelle est la différence entre CoucouMamie et un service de soins à domicile ?

Concernant le type d’activités effectuées, CoucouMamie est assez loin des services de soins à domicile ou d’auxiliaire de vie. Nous nous inscrivons en amont de ces services : nous sommes dans la prévention de la perte d’autonomie et dans le renforcement des sociabilités et des activités de loisir.

Mais nous intervenons aussi en complément, par exemple dans l’après-midi après que l’infirmière soit passée, pour un moment ludique et sympathique.

Chacun de ces services a son expertise et son rayon et, malheureusement, souvent les auxiliaires de vie ou les infirmières n’ont pas le temps de s’asseoir et d’échanger avec leurs clients et patients. Nous on prend ce temps-là car on est justement là pour ça.

Dans un contexte de pandémie, en quoi la création de binôme intergénérationnel est-elle importante ?

Les binômes intergénérationnels sont la matérialisation du liant, du soin. Concrètement, des jeunes (ou des moins jeunes), viennent une ou deux fois par semaine chez nos aînés. Un peu comme ce qu’avait essayé de faire La Poste, mais différemment. Ils font des activités en tous genres. Et c’est donnant-donnant : les jeunes repartent avec autant qu’ils apportent, et vice-versa. C’est aussi l’occasion pour nos aînés, qui ont une culture du bénévolat, de l’aide, de la participation citoyenne, etc. d’aider les plus jeunes à financer leurs études. Car ceux-ci sont aujourd’hui bien souvent cantonnés dans des jobs étudiants… qui ne les valorisent pas et les payent au lance-pierre. Le système est vertueux pour chacun. Le travail est un vecteur de citoyenneté.

Pourquoi avez-vous décidé de mettre le lien social au cœur de vos deux projets ?

Ce sont nos histoires personnelles, mais aussi un constat assez simple : c’est l’humain qui est la clef de voute de nos sociétés, pas la technologie ou autre chose. Aujourd’hui en France les enjeux sont considérables concernant le vieillissement de la population, les fractures intergénérationnelles, l’accroissement des inégalités, la paupérisation de la classe étudiante, l’isolement de nos aînés… et en toile de fond une planète dont on ne prend pas assez soin. Cela ressemble à un inventaire à la Prévert et 2020 nous a remis tout ça en pleine figure.

Au centre de tout ça, il y a le soin. Des autres, de ce qui nous entoure, etc. On ne peut pas passer à côté de ça, et on se considère comme de petites chevilles ouvrières : on veut faire notre part, mettre quelques briques et un peu de liant.

Ce nouveau type de services à la personne a-t-il vocation, à terme, à remplacer le fonctionnement des EHPAD ?

La loi Grand Âge et Autonomie est en cours de préparation par le Gouvernement, après celle de 2016 sur le vieillissement. L’objectif principal de cette loi et des politiques publiques est le maintien à domicile. 90% des plus de 75 ans souhaitent vieillir chez eux.

Évidement les EHPAD restent des acteurs clés de cet écosystème du bien-vieillir, notamment pour les grandes dépendances. Mais ils ne correspondent pas à tous les publics.

Qu’est-ce que cela signifie pour le domicile ? Qu’il faut inventer cette galaxie d’acteurs du soin qui favorisent le maintien à domicile, empêchent la perte d’autonomie et permettent à nos aîné(e)s de rester en bonne santé : c’est-à-dire entourés. Mais ça commence tôt, très en amont, et surtout ça ne marche que si nos aînés eux-mêmes ont un regard positif sur les activités à domicile. Ce n’est pas quelque chose qu’on met en place, chez eux, à leur place. Ce sont des services qui ne peuvent marcher que s’ils sont plébiscités par nos aîné(e)s eux-mêmes. C’est pourquoi CoucouMamie est construit avec nos grands-parents, pour eux. Nous sommes très attentifs à ne pas penser à leur place !