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Steven Nzonzi : "On me disait que je ne jouerais pas en équipe de France"

Dans le cadre de son dossier sur la place du sport dans notre société, Émile s’est entretenu avec deux sportifs de haut niveau : Steven Nzonzi, footballeur de 32 ans, et Perrine Laffont, skieuse de 22 ans. Passé par deux clubs du championnat anglais, puis par le FC Séville et l’AS Roma avant de signer, en septembre dernier, au Qatar avec le club d’Al-Rayyan entraîné par Laurent Blanc, Steven Nzonzi a intégré l’équipe de France en novembre 2017. Six mois plus tard, il gagnait la Coupe du monde, jouant notamment un rôle déterminant en finale, après avoir remplacé N’Golo Kanté à la 55e minute.

Propos recueillis par Maïna Marjany 

Steven Nzonzi à la Coupe du monde de Moscou durant le match France-Danemark, le 26 juin 2018. (Crédits : Marco Iacobucci / Shutterstock)

Comment avez-vous commencé à jouer au football ? Était-ce une vocation ?

C’est mon père qui m’a poussé à faire du sport. Quand j’avais six ou sept ans, il m’a demandé de choisir entre le foot et le basket. Il m’a donné un délai de réflexion de quelques semaines et j’ai choisi le foot. J’ai d’abord débuté en tant qu’amateur au Racing Club de Paris [aujourd’hui Racing Club de France, NDLR], à Colombes. Au début, c’était vraiment pour le plaisir, je ne pensais pas en faire mon métier.

Et comment cela s’est passé ensuite ? À quel moment cela a-t-il basculé ? 

J’ai été repéré par des entraîneurs un peu avant 12 ans et j’ai signé au PSG. Je voyais des professionnels s’entraîner, j’allais au stade voir des matchs… En tant qu’enfant, ça me faisait rêver et, petit à petit, je me suis dit que je pouvais en faire mon métier. Mais quand on a 12 ans, on ne réalise pas forcément tout le travail que ça demande !

Avez-vous réussi à concilier facilement études et sport de haut niveau ?

Heureusement, les filières sport-études, qui sont assez nombreuses en France, permettent d’allier les deux. Mais c’est difficile, le rythme est intense, surtout quand on prend de l’âge et que les entraînements demandent plus d’énergie et de travail. En général, on étudiait le matin et en début d’après-midi, puis on enchaînait sur les entraînements, à partir de 17 h. Ensuite, il fallait encore réviser ou finir les devoirs pour le lendemain. La fatigue s’accumule vite à ce rythme-là… Il nous arrivait de dormir en classe [Rires, NDLR] ! Moi, mon père m’a poussé à avoir le bac. Pour lui, les études passaient avant tout, car on n’est jamais sûr de faire carrière dans le foot. J’ai eu mon bac STMG, puis j’ai arrêté, c’était trop difficile de mener les deux de front.

Les changements de clubs réguliers, les déménagements, le mercato… Est-ce stressant à vivre ou le prenez-vous comme une aventure ?

Ça dépend de l’âge et de chaque personne, bien sûr. À 32 ans, j’ai un peu de recul et je dirais que de 20 à 28 ans, c’est excitant : on découvre de nouveaux pays, de nouveaux challenges, de nouveaux championnats… Mais arrivé à un certain âge, c’est difficile, c’est même épuisant mentalement. Quand tu dois changer de ville voire de pays tous les ans ou tous les deux ans, c’est compliqué, encore plus pour ceux qui ont une famille : il faut que la personne avec qui tu partages ta vie accepte de déménager, changer constamment les enfants d’école, etc. Ça n’a pas été un problème pour moi, puisque je fais passer ma carrière avant tout. 

Jusqu’à présent, vous aviez évolué dans des clubs européens. Pourquoi avoir signé avec le club qatari Al-Rayyan, en septembre dernier ? 

Encore une fois, je pense que c’est lié à mon âge. Je vais avoir 33 ans, j’ai beaucoup joué en Europe, je suis allé en Angleterre pendant six ans et en Espagne pendant trois ans, et ce sont pour moi les meilleurs championnats. J’ai joué la Ligue des champions cinq ans de suite. J’ai un peu tout vécu et je pense en avoir fait le tour. Quand le challenge du Qatar s’est présenté, j’ai trouvé ça très intéressant et je voulais découvrir quelque chose d’autre en fin de carrière. 

Quelle est la place du football au Qatar ?

Comme dans presque tous les pays du monde – peut-être un peu moins aux États-Unis –, le foot est très regardé ici. Tous les matchs sont retransmis à la télé et même si la culture est différente de la nôtre en Europe, je ne suis finalement pas tellement dépaysé par le style de vie au Qatar.

Et d’un point de vue sportif, c’est challengeant ?

Le niveau est différent, un peu plus bas qu’en Europe. Il y a de très bons joueurs locaux, mais la formation n’est pas la même donc nous, les joueurs européens, nous devons nous adapter, c’est un vrai challenge. Si on ajoute à cela les températures élevées pour les matchs et les entraînements, on a plein de défis à relever !

Comment avez-vous construit votre carrière ? Êtes-vous accompagné par un agent, un cabinet de conseil ? 

Mon cabinet de conseil, c’est mon père. Il a vu plus de matchs que n’importe qui, il me suit depuis que j’ai 10 ans et me conseille au quotidien. Mon père a toujours été un passionné de foot, il y jouait plus jeune et quand il a vu que j’avais des qualités intéressantes, ça l’a poussé à s’intéresser encore plus à ce sport. Tout le côté « professionnel », je le laisse donc plutôt à mon père et je me concentre davantage sur le football. Je dirais que c’est un travail d’équipe ! Ma mère aussi est très présente. Avoir ma famille autour de moi, c’est très important. 

Comment avez-vous été contacté pour intégrer l’équipe de France ? Et comment le vit-on : comme une consécration ou juste comme une nouvelle étape ? 

J’imagine que c’est différent pour chaque joueur, mais pour ma part, je l’ai appris après la diffusion de la liste à la télé. C’est arrivé quand j’avais 28 ans, j’avais fait pas mal de belles saisons et je n’avais jamais été contacté auparavant pour intégrer l’équipe de France, donc ça ne me préoccupait pas plus que ça. Mais d’un coup, j’ai reçu plein de messages de mes proches et j’ai appris que j’avais été sélectionné.

Je ne l’ai pas vraiment vécu comme une consécration. Être sélectionné, c’est exceptionnel, c’est beaucoup de bonheur – pour soi-même et son entourage – et c’est une grande fierté de représenter son pays. Tout dépend où on place la barre, mais sachant d’où je viens, je dirais plutôt que c’était le fait de signer en tant que professionnel qui était une consécration. 

Vous aviez été sollicité auparavant et pendant plusieurs années pour défendre les couleurs de la République démocratique du Congo, le pays d’origine de votre père. Le choix entre la France et le Congo a-t-il été difficile à faire ? 

Pas vraiment, parce que je connais assez peu mon pays d’origine et que ce sont des choix avant tout motivés par des raisons professionnelles. Quand on me dit que je ne peux pas faire quelque chose, ça me pousse à essayer de réussir. Je recevais pas mal de convocations du Congo et en même temps, plusieurs personnes me disaient que de toute façon, je ne jouerais pas en équipe de France ; je voulais donc y arriver et progresser pour atteindre ce niveau-là.

Steven Nzonzi le 5 mai 2016 lors demi-finale de la Europa League, à Séville (Crédits : Aleksandr Osipov)

Comment gérez-vous le rapport aux médias ? Font-ils peser une pression supplémentaire ?

Ce que j’aime, c’est jouer au foot et gagner des matchs. Faire sa promotion sur les plateaux télé ou les réseaux sociaux, ce n’est pas mon truc, même si aujourd’hui, ça devient un business ! Répondre aux interviews, ça ne me dérange pas, mais le reste, j’évite au maximum. Et puis le monde du journalisme sportif est assez particulier, on n’hésite pas à te taper dessus dès qu’un match est moins bon. 

J’ai également compris que ça ne servait à rien de regarder sur le web quelle note on a après un match, parce que sinon, tu te prends la tête pour des futilités. Tu peux faire un très bon match, mais si l’équipe perd, on va quand même te pointer du doigt. 

Les carrières de sportifs de haut niveau sont en général assez courtes. Comment envisagez-vous la suite ? Commencez-vous à vous préparer dès maintenant ? 

J’ai encore quelques années dans les jambes, je me sens bien physiquement pour le moment. Je n’ai donc pas envisagé la suite, mais, petit à petit, je vais commencer à explorer les possibilités, voir ce que je vais faire : peut-être rester dans le foot, faire des formations, passer certains diplômes ou bien me réorienter, on verra. 

Finalement, entre les années de sacrifices et les belles victoires, est-ce que vous trouvez que la balance est positive ?

Oui, mais de nombreuses personnes ne réalisent pas que ça demande énormément de sacrifices, c’est mentalement très fatigant. Il y a plein de joueurs qui arrêtent prématurément leur carrière pour cette raison. À un moment donné, tu peux craquer. Mais malgré les sacrifices, on a aussi la chance de vivre des choses exceptionnelles : on joue dans des stades pleins, on fait sourire les gens, on leur donne de la joie, c’est plus que positif. Si c’était à refaire, je n’hésiterais pas. D’ailleurs, si je n’avais pas joué au foot, je ne sais pas ce que j’aurais fait ! 

Cet entretien a initialement été publié dans le numéro 23 d’Émile, paru en novembre 2021.